Pour de nombreux observateurs, les élections législatives iraniennes qui ont eu lieu en mars et avril 2008 ne représentaient, en raison de leurs résultats prévisibles, aucun enjeu politique réel. En effet, on s’attendait à ce que les fondamentalistes [1] qui, depuis 2003, ont gagné toutes les élections municipales, législatives et enfin présidentielle, emportent dans la foulée ce scrutin. De la sorte, les commentaires et analyses des résultats de ces élections produits par les experts furent assez succincts, voire laconiques. Sans examiner les votes en eux-mêmes, ils se sont fondés sur les résultats globaux déclarés par le Ministère de l’intérieur et commentés par les factions en lice pour déclarer gagnants les « ultra-radicaux » ou « ultraconservateurs », selon les termes les plus couramment employés en Europe et en Amérique du Nord pour désigner les factions fondamentalistes.
Cependant, ce scrutin s’est déroulé dans un contexte socio-politique et économique particulièrement tendu, en relation évidente avec le contentieux entre la République islamique et les puissances occidentales et ses implications sur les échanges du pays. Les divergences entre les deux factions des fondamentalistes, fondées essentiellement sur des rivalités personnelles, qui n’ont cessé de s’intensifier depuis notamment l’élection d’Ahmadinejad à la présidence de la république en 2005, étaient à leur paroxysme en ce printemps 2008. Les factions « réformatrices » et modérées, n’ayant pas encore réussi à s’organiser efficacement, avaient laissé le champ libre aux fondamentalistes. La crise économique structurelle qui affecte le pays depuis une trentaine d’années [2] a été aggravée par les sanctions internationales consécutives à la politique intransigeante du gouvernement iranien sur la question nucléaire depuis 2005. Enfin et surtout, le mécontentement s’était généralisé dans une population exaspérée par les luttes acharnées des factions alors même que rien de tangible n’était mis en œuvre contre la diminution drastique de son niveau de vie. Ces éléments de contexte ont bien entendu joué un grand rôle dans ces élections, rendant très improbables les analyses couramment proposées et nécessitant une analyse critique approfondie des résultats.
Cette analyse doit naturellement prendre en compte, en tout premier lieu, le puissant arsenal mis en place par les détenteurs actuels de l’appareil d’État afin d’assurer aux candidats fondamentalistes une large victoire. Certes, dans le système politique de la République islamique, l’intervention des factions au pouvoir dans la procédure électorale est assez fréquente [3] et son ampleur varie en fonction du type de scrutin et de la représentation des enjeux politiques du moment que se fait chacune des factions en compétition. Mais les initiatives prises par les fondamentalistes pour les législatives de 2008 sont d’une ampleur inédite, notamment pour ce qui concerne les dispositifs permettant d’éliminer les adversaires « sérieux ». Or ces mesures ont mis en lumière les incertitudes des fondamentalistes sur leur capacité à remporter ces élections, et contredisent par leur seule existence la théorie selon laquelle celles-ci auraient été « sans enjeu » – tout au moins pour les fondamentalistes.
En outre, la lecture critique et l’analyse détaillée des données de ce scrutin révèlent une toute autre vérité que l’apparente continuité de la « vague fondamentaliste » initiée en 2003. Contrairement à ce que l’on a laissé croire, les fondamentalistes, divisés en deux factions ayant présenté chacune sa propre liste à ces élections, ont obtenu des résultats bien inférieurs à ceux qui leur avaient été attribués un peu vite. De fait, leur différend a conduit à une ouverture inattendue du champ électoral, notamment en direction de candidats sans étiquette politique, appelés « indépendants ». Par conséquent, la huitième législature iranienne est d’une composition singulièrement hétéroclite, comprenant, d’une part, les élus de chacune des deux factions fondamentalistes - ni l’une ni l’autre n’ayant pu obtenir une majorité - et ceux présents sur les deux listes [4] et, d’autre part, les élus « indépendants », ceux des deux autres factions politiques (dits « réformateurs » et « modérés ») et enfin ceux dont la candidature a été soutenue à la fois par l’une de ces dernières et par l’une ou l’autre, parfois les deux, factions fondamentalistes.
Les résultats de ces législatives et la composition du présent parlement mettent donc tout particulièrement en évidence la complexité du jeu électoral en Iran, qui ne se résume pas, pour l’heure, à une partition écrite à l’avance. Ses règles, ni démocratiques, puisque fermées à l’opposition, ni totalitaires, puisque ouvertes à toutes les factions du pouvoir, voire aux personnes considérées comme faisant partie du « système », ont entraîné cette fois une situation critique et complexe qui a échappé aux analyses jusqu’alors publiées sur ces législatives – alors même que l’analyse des rapports de force politiques en Iran et la question de l’adéquation de la société et de ses institutions revêtent une importance cruciale dans l’appréhension de la « question iranienne » par les puissances occidentales.
Afin de mieux appréhender cette situation, nous proposons de décrire, tout d’abord, la procédure électorale et les moyens supplémentaires que les fondamentalistes ont mis à leur propre disposition pour augmenter leurs chances de remporter ce scrutin. Cela dans le but de rendre compte de l’envergure de ces mesures et, par là même, de l’incertitude des fondamentalistes sur leur victoire. Nous présenterons ensuite les quatre principales factions politiques engagées dans la course à ces législatives et la répartition des candidats entre ces factions, source de la confusion qui s’était emparée des esprits pour les conduire à des conclusions erronées. Puis, à l’aide de l’outil d’analyse démographique nous estimerons le taux de participation des électeurs qui sera confronté à celui présenté par le Ministère iranien de l’intérieur. Il va de soi qu’un écart important entre ces deux estimations changera radicalement l’analyse et la représentation de ce scrutin. Par la suite, la composition de la huitième législature et les rapports de forces entre les factions seront examinés, afin de connaître de manière détaillée les résultats de ce scrutin. Enfin, nous étudierons les votes par région pour tenter de dessiner la géographie électorale et les zones d’influence de chacune de ces factions. L’enjeu étant de mettre en lumière, derrière les apparences d’un pouvoir fermé et d’une société passive, la possibilité, à l’occasion d’une ouverture « accidentelle » de la compétition électorale, d’une politisation active au sein du corps civique iranien.
1. La procédure électorale et ses modifications récentes
Selon les lois électorales iraniennes, le Conseil de surveillance de la Constitution et le ministère de l’intérieur ont la charge de respectivement superviser et organiser les élections. L’une des prérogatives de ce Conseil [5] est d’examiner et de donner son agrément sur l’habilitation des candidats aux diverses élections. Il vérifie aussi la régularité de ces élections et le cas échéant peut les invalider. Il arrive aussi qu’au terme d’un scrutin, le Conseil, sous divers prétextes, invalide les résultats de certaines circonscriptions afin de récupérer les sièges ainsi redevenus vacants, au profit de ses candidats favoris [6]. Depuis notamment la fin de la guerre Iran/Irak, ce Conseil n’a cessé d’abuser de son pouvoir, en rejetant la candidature des personnalités qui ne se situaient pas clairement dans les mouvances islamiques proches de ses membres, et plus précisément du Guide [7].
Quant au ministère, il doit constituer un « Bureau national des élections » à la direction duquel le ministre nomme une personne « compétente » relevant de son autorité. Il s’agit d’un poste clé pour les élections. C’est sous la responsabilité du directeur du Bureau, et en étroite collaboration avec le Conseil, que les préfets et gouverneurs forment les « conseils exécutifs » [8] dans les circonscriptions, dont le principal est celui du chef-lieu de province. Les « conseils exécutifs », après avoir fait contrôler [9] les antécédents et le casier judiciaire des candidats, vérifient si ceux-ci remplissent les conditions requises, stipulées par la loi, pour valider ou non leur candidature. A cet égard il importe de rappeler que deux des conditions d’éligibilité des candidats (article 49 du projet de lois électorales), ont été très souvent à l’origine d’invalidation de candidatures. Il s’agit des conditions suivantes :
Ayant la foi en l’islam et un engagement réel à son égard ;
Ayant foi en les fondements de la République islamique d’Iran et en sa Constitution ;
Dans la mesure où ces conditions n’obéissent pas à des critères objectivement vérifiables, les membres des « conseils exécutifs » décident, selon leurs propres appréciation et interprétation, si le candidat remplit ou non ces deux conditions. Il va sans dire que les appréciations de ces notables, hommes de confiance des préfets et donc du Bureau et du Conseil, sont étroitement liées à leurs penchants idéologiques et politiques.
En cas d’invalidation des candidatures, les candidats concernés doivent être informés dans les 24 heures qui suivent la décision et leurs dossiers, auxquels sont joints les arguments et justificatifs du « conseil exécutif », doivent être rapidement envoyés au Conseil (article 51 de la loi électorale). Celui-ci peut entériner ou désapprouver la décision du « conseil exécutif ».
Bref, l’un des points les plus importants de la procédure électorale en Iran est la présélection par élimination des candidats avant même l’ouverture des campagnes électorales. Mais en dépit de ce puissant levier, le gouvernement d’Ahmadinejad et le septième parlement, constitué essentiellement de fondamentalistes inquiets de leur propre sort lors des législatives de 2008, ont cru devoir mettre en place des dispositifs supplémentaires, dans le but de renforcer leurs chances de gagner ces élections.
Le parlement, tout d’abord, a modifié en juillet 2007 un certain nombre d’articles de la loi électorale relatifs aux élections législatives. Ces modifications concernent, en premier lieu, les conditions d’éligibilité des candidats. Selon la nouvelle loi (article 28), les candidats doivent :
« avoir la foi et un engagement réel à l’égard de l’islam et du régime sacré de la République islamique d’Iran »,
« exprimer leur dévouement à la Constitution et au principe progressiste du gouvernement omnipotent du jurisconsulte (velâyat-e motlagheye fagih) »,
et être titulaires d’au moins une maîtrise [10] (bac +6) [11], alors que la loi précédente n’exigeait qu’un niveau minimum d’études équivalent à l’ancien Deug français (bac+2).
Concernant les deux premières conditions, déjà à l’origine de nombreuses invalidations, les modifications consistaient à insérer une soumission effective à des principes auxquels seuls les fondamentalistes s’étaient jusqu’alors engagés à rester fidèles. Le profil du candidat éligible a été ainsi rapproché de celui d’un fondamentaliste, pour faciliter l’élimination des candidats des factions adverses.
Quant au niveau d’instruction, les fondamentalistes pouvaient se permettre, sans risque, une telle hausse étant donné que cette faction politique est essentiellement composée de membres des associations et sociétés islamiques des cadres, ingénieurs, médecins, universitaires [12], etc. A l’évidence cette décision des fondamentalistes était destinée à diminuer le nombre de candidats dans le camp de leurs adversaires, plus hétérogènes de ce point de vue. Ils visaient aussi à réduire la possibilité de nombreuses candidatures dans les provinces périphériques, où le niveau d’études de la population s’avère de manière générale moins élevé qu’ailleurs. Les fondamentalistes, qui n’avaient pas un ancrage solide dans ces provinces, pouvaient ainsi espérer y « parachuter » avec succès des candidats.
L’âge minimum du droit de vote a également été modifié pour passer de 15 à 18 ans. Les jeunes adolescents qui semblaient ne pas adhérer aux projets des fondamentalistes et en conséquence risquaient de voter pour leurs adversaires, ont été ainsi exclus des élections législatives – ce qui trahit un manque de confiance dans les générations montantes.
Enfin un quatrième amendement, aussi important, concernait les votes nuls. Jusqu’alors les bulletins qui comportaient des noms illisibles [13] étaient considérés comme nuls et n’étaient pas comptabilisés avec les voix exprimées. L’article 20 de la nouvelle loi apporte une nuance importante : si, sur un bulletin de vote, certains noms sont illisibles, mais d’autres lisibles, ces derniers doivent être pris en compte pour le ou les candidats concernés, et le vote n’est par conséquent pas considéré comme nul. La loi ne stipule pas que ces noms doivent être accompagnés de leur code, permettant d’identifier les candidats. Il va sans dire que cet amendement laissait les mains libres aux « conseils exécutifs » pour comptabiliser des voix en faveur des candidats soutenus par le gouvernement, en prétendant lire leurs noms et par là même gonfler le taux de participation.
De son côté, en août 2007, le gouvernement nomma Alireza Afshar, chef adjoint de l’état-major des armées, à la direction du « Bureau national des élections » au Ministère de l’intérieur. Il succédait à Mojtaba Samereh Hachemi, pourtant un proche d’Ahamadinejad, qui avait été l’objet de vives critiques en raison des résultats des élections municipales de novembre 2006, qui avaient échappé au courant fondamentaliste soutenu par Ahamadinejad, notamment à Téhéran. Le nouveau directeur du Bureau avait sans doute la mission de veiller à ce que de tels résultats ne se reproduisent pas.
L’invalidation massive de candidatures (3200 sur 7168 candidats inscrits), dont celles de personnalités de premier plan et de députés sortants du camp « réformateur », voire de délégués du Guide, indique que les « conseils exécutifs » qui travaillaient par l’intermédiaire des préfets et gouverneur sous la direction du nouveau directeur du « Bureau national des élections », faisaient même du zèle pour mener à son terme leur mission. L’importance numérique des invalidations lors de cette première étape, avant même l’examen des dossiers des candidats par le Conseil, fut telle que Rafsanjani et Khatami, les deux ex-présidents de la République, et Karoubi, l’ex-président du parlement sous Khatami (tous les trois, par ailleurs, chefs de file des factions « modérée » et « réformatrice »), demandèrent l’intervention de l’ayatollah Khamenei, le Guide en personne, pour arrêter l’hémorragie. Les négociations auraient abouti à un compromis dans la mesure où le Conseil n’approuva finalement pas toutes les invalidations décidées par les « conseils exécutifs », donnant son agrément à 4954 candidats, soit 69 % des candidats inscrits. En contrepartie, les deux factions semblent s’être engagées à se taire pendant les deux tours du scrutin et notamment à ne pas contester les taux de participation que le Ministre de l’intérieur annoncerait. Il faut peut-être rappeler que ce genre de compromis au sommet est assez fréquent en Iran et sert à maintenir un certain « équilibre » dans les rapports de forces entre les factions, dont le Guide profite amplement pour s’imposer comme arbitre (alors même que son impartialité est toute théorique).
Certes, l’intervention du Guide pour permettre à une partie des candidats réformateurs et modérés de passer l’épreuve de la présélection, a légèrement entamé le projet hégémonique des fondamentalistes. Mais les dispositifs que ces derniers s’étaient octroyés pour avoir la mainmise sur l’ensemble de la procédure électorale devaient normalement leur garantir la victoire.
2. Les quatre principales factions politiques en lice
Pour les 4954 candidats ayant réussi l’examen préliminaire du Ministère de l’intérieur et du Conseil, 290 sièges étaient offerts, auxquels toutefois il faut retirer les 5 sièges réservés aux minorités religieuses [14]. La plupart des candidats appartenaient à des associations variées ou à des formations et organisations politiques nationales ou locales, dont une partie s’était regroupée dans quelques grandes coalitions. Même un certain nombre de candidats qui s’étaient déclarés « indépendants » avaient créé leur propre coalition à l’échelle nationale, appelée « Coalition des candidats indépendants du pays ». La compétition électorale se restreignait cependant aux quatre principales factions qui, selon toutes les prévisions, devaient se partager les sièges. Il s’agit des deux factions fondamentalistes, de celle des « réformateurs » et de celle des « modérés ».
Les fondamentalistes, divisés en deux factions, étaient représentés par le Front uni des fondamentalistes et par la Coalition élargie des fondamentalistes. Le premier était constitué de six groupes et associations politiques, dont le courant proche d’Ahmadinejad, appelé « La bonne odeur de servir ». La seconde comprenait treize groupes et associations, dont les deux courants des partisans de Larijani et de Ghalibaf, les rivaux malheureux d’Ahmadinejad au premier tour de l’élection présidentielle de 2005 [15]. Avec l’élection d’Ahmadinejad à la présidence de la République, leur rivalité s’est intensifiée de sorte que lors des municipales de 2006, ces derniers ont présenté une liste distincte de celle de « La bonne odeur de servir » et réussi à remporter des sièges dans de nombreuses circonscriptions, notamment celle de Téhéran. Cette rivalité s’est donc prolongée malgré les interventions de dignitaires de l’État, instigateurs de la formation de la faction des fondamentalistes. Il s’est donc révélé impossible de réconcilier ces rivaux, qui ont pris le risque de présenter à ce scrutin deux listes séparées.
La Coalition des réformateurs comprenait, elle, une trentaine de groupes et organisations politiques, dont celle proche de Khatami, et celle des partisans de Karoubi, rival malheureux d’Ahmadinejad au premier tour de l’élection présidentielle de 2005. Rappelons que les réformateurs qui étaient à la tête de l’exécutif (de 1997 à 2004), du législatif (2000-2004) et d’une majorité des municipalités (1999-2003) constituaient les principaux adversaires des fondamentalistes. C’est la raison pour laquelle, lors de la présélection par les « conseils exécutifs » et le Conseil, la candidature de nombreuses personnalités influentes (anciens députés et ministres) de cette coalition, qui souhaitaient se présenter dans les grandes circonscriptions comme celles de Téhéran, d’Ispahan, de Chiraz ou de Machhad, a été rejetée dans la mesure où elle risquait de mettre en difficulté les fondamentalistes, notamment ceux du Front uni. L’intervention du Guide auprès du Conseil ne visait pas à réhabiliter ces personnalités [16], mais les autres candidats, moins connus et donc moins dangereux.
Enfin, le Parti de la modération et du développement, rangé derrière Rafsanjani, prônait la modération et se voulait un courant intermédiaire entre les fondamentalistes et les réformateurs, à l’image de la position politique de Rafsanjani. C’est sans doute grâce à l’influence de celui-ci que cette formation fraîchement créée a pu participer à cette compétition électorale en se hissant au rang des trois premiers participants. Par ailleurs, en raison de ses positions critiques à l’égard d’un certain nombre d’organisations faisant partie de la coalition des réformateurs, les fondamentalistes lui avaient réservé un traitement de faveur.
Faute d’un système de partis en Iran [17], ces factions concurrentes [18] constituées en coalitions à partir d’organisations associatives, corporatives, professionnelles, éducatives, etc. étaient dépourvues de véritables structures de base et de moyens organisationnels, et n’étaient donc pas en mesure de présenter des candidats dans toutes les circonscriptions. Ainsi, même le Front uni des fondamentalistes n’avait investi que 253 candidats pour les 285 sièges à pourvoir, soit 32 candidats de moins. La situation était encore plus critique pour la Coalition élargie des fondamentalistes, dont la liste ne comptait que 244 candidats, soit un déficit de 41 par rapport aux sièges à pourvoir. Les listes des « réformateurs » et « modérés » étaient plus nettement déficientes, dans la mesure où une partie de leurs candidats n’avaient pas pu passer l’épreuve de la présélection. La liste de la Coalition des réformateurs comprenait ainsi 206 candidats seulement, et celle du Parti de la modération, 138.
Le fait que les deux plus puissantes formations politiques, bénéficiant du soutien de toutes les institutions de l’État islamique, ne soient pas parvenues à désigner autant de candidats que de sièges à pourvoir n’est pas nouveau. Tout au long de l’histoire de la République islamique, les factions au pouvoir ont éprouvé les mêmes difficultés et par conséquent ont bien malgré elles laissé un petit espace « libre » dans le champ électoral. Cela pourrait expliquer en partie la participation relativement importante des petites formations politiques locales ou des « indépendants » aux élections législatives et municipales.
Le nombre insuffisant de candidats, lié au problème structurel des factions ou bien à une stratégie adoptée volontairement par celles-ci, a sans doute favorisé le développement de la pratique des investitures multiples. Cela permet de confirmer que dans le jeu électoral de la République islamique, les personnalités l’emportent en général sur les « projets » ou les « orientations », ceux-ci se révélant le plus souvent très mal définis dans les plateformes des coalitions politiques constituées à l’occasion des élections.
Ainsi, sur la liste du Front uni des fondamentalistes, on comptait 68 candidats qui étaient aussi présents sur la liste de la Coalition élargie des fondamentalistes. Il est certain qu’au-delà de leurs divergences, un accord tacite en prévision notamment du partage des circonscriptions a été conclu entre ces deux groupes. À titre d’exemple, Larijani au lieu de se présenter dans la circonscription de Téhéran où il était domicilié, s’est présenté dans celle de Qom. Ce « parachutage » a été officiellement justifié par la lettre que la Société des enseignants religieux de Qom, qui comprend les plus grands et influents dignitaires religieux, avait adressée à Larijani [19] pour l’inviter à se présenter dans la circonscription de Qom. Mais en réalité, Larijani visant la présidence du parlement, devait se présenter dans une circonscription où il pouvait être tête de liste et également certain de gagner les élections dès le premier tour. Dans la circonscription de Téhéran, il n’avait aucune chance d’obtenir ce résultat, étant donné l’intransigeance du Front uni des fondamentalistes qui, ayant déjà déterminé sa propre liste pour cette circonscription, cherchait à travers ce scrutin à la reconquérir en se donnant tous les moyens possibles et imaginables pour y parvenir. L’arrangement entre les deux groupes a donc été trouvé par l’intermédiaire de la Société des enseignants religieux de Qom : Larijani a été nommé tête de liste de la Coalition élargie des fondamentalistes et second sur la liste du Front uni des fondamentalistes dans la circonscription de Qom.
La liste du Front uni comprenait encore 10 candidats qui étaient aussi présents sur la liste du Parti de la modération et du développement, tandis que 12 autres candidats étaient présents sur les trois listes. Celle de la Coalition élargie partageait également des candidats, d’une part, avec le Parti de la modération (12 candidats), et d’autre part avec la Coalition des réformateurs (12 candidats). Par ailleurs, ces trois formations avaient ensemble investi 5 candidats. Enfin, 21 candidats étaient soutenus conjointement par la Coalition des réformateurs et le Parti de la modération et du développement. Tout cela contribuait sans doute à jeter la confusion dans l’esprit des électeurs. Ceux-ci devaient se demander si les querelles et luttes acharnées de ces formations étaient bien fondées et quel sens il fallait accorder à ces compromis électoraux.
3. La participation aux législatives de 2008
La forte participation des électeurs à ce scrutin constituait un enjeu de première importance pour l’ensemble des factions. Pour les fondamentalistes, tout d’abord, elle leur permettait d’acquérir la légitimité nécessaire auprès de la communauté internationale, dans le contexte du bras de fer avec les puissances occidentales, États-Unis et Union européenne, sur la question nucléaire. Cela d’autant qu’ils avaient gagné les élections municipales de 2003 et législatives de 2004 avec une participation d’à peine 50 %. Pour les « réformateurs » et « modérés », ensuite, la forte participation était indispensable pour tout simplement remporter un maximum de sièges au parlement. Rappelons qu’ils avaient commencé à perdre les élections dès 2003 en raison de la défection d’une grande partie de leur électorat, déçu des promesses non tenues et qui avait décidé de ne pas se rendre aux urnes [20]. De fait, la participation des Iraniens aux élections constitue, en général, l’enjeu principal pour la République islamique. Elle la considère comme un plébiscite pour le régime et sa Constitution, qui se renouvelle à l’occasion de chaque élection. Ainsi, tous les protagonistes ont essayé par tous les moyens de mobiliser les électeurs autour de ce scrutin.
Faute de listes électorales en Iran [21], le taux de participation est généralement évalué, de manière approximative, par le « Bureau national des élections » qui rapporte le nombre total des bulletins de vote exprimé au nombre total de la population qui a atteint l’âge de voter. Il faut peut-être préciser qu’il n’existe aucun moyen permettant de vérifier les statistiques relatives aux voix exprimées et qu’une surestimation ou une sous-estimation du nombre d’électeurs potentiels entraîne dans le premier cas la sous-évaluation et dans le second la surévaluation du taux de participation.
Au lendemain du premier tour de ces législatives, le Ministère de l’intérieur, contrairement à son habitude, n’a pas présenté les statistiques détaillées [22] et s’est contenté de déclarer que le taux de participation s’élevait, selon lui, à 60 % des électeurs. Ce taux, ni exagérément élevé ni trop bas, semblait convenir aux fondamentalistes pour être crédités de la légitimité qu’ils cherchaient à obtenir. N’étant pas contesté par les « modérés » et « réformateurs », en raison de leur engagement auprès du Guide, le taux de participation de 60 % a été retenu par de nombreux observateurs occidentaux comme étant bel et bien celui du premier tour. Mais notre estimation, fondée sur une approche démographique, révèle une participation beaucoup plus faible à ce scrutin. Il va sans dire que l’analyse change selon que l’on admet l’une ou l’autre estimation. La question est donc d’importance, et mérite un examen plus détaillé.
La différence entre les deux estimations tient à l’évaluation du nombre total d’électeurs potentiels. Quelques semaines avant les élections, le ministre de l’intérieur, interrogé sur les bulletins de vote vierges à imprimer, avait évalué ce nombre à 43,8 millions. Mais selon notre estimation, fondée sur les résultats du recensement iranien de 2006 [23], il aurait fallu imprimer près de 49,5 millions de bulletins. Une différence de 5,7 millions d’électeurs, soit 12 % de la population en âge de voter, sépare ces deux estimations. Bien évidemment le gouvernement ne pouvait pas ignorer le chiffre de la population âgée de 18 ans et plus en Iran en 2008, son organe producteur de statistiques, le Centre de Statistiques d’Iran, celui-là même qui réalise les recensements, le lui ayant sans doute présenté. Mais en se fondant volontairement sur les estimations d’un autre organisme [24], le gouvernement a préféré le revoir autant que possible à la baisse, étant donné son incertitude sur la mobilisation des électeurs et donc sur le taux de participation réel. Si le gouvernement a réussi à faire passer son évaluation du nombre d’électeurs comme plausible, c’est parce que pour la plupart des observateurs, la population âgée de 18 ans et plus semblait effectivement moins nombreuse que celle âgée de moins de 18 ans. À l’évidence, ces observateurs ignoraient que, en raison de la rapide évolution démographique du pays, ce rapport s’était inversé et qu’en 2008, la population âgée de 18 ans et plus constitue près de 68 % de la population totale.
Quant au nombre total des voix exprimées, indispensable pour estimer le taux de participation au scrutin, le Ministère de l’intérieur s’est refusé à le déclarer officiellement. Cela montre une nouvelle fois la ferme volonté du pouvoir de dissimuler les véritables statistiques relatives à ces élections, qui le discréditeraient aussi bien en Iran qu’à l’étranger. En l’absence de statistique officielle, ce sont les journaux et sites internet d’information proches du pouvoir qui se sont chargés de le communiquer : il varierait entre 22,8 et 24,4 millions, tandis que la somme des votes exprimés par circonscription serait de 24,0 millions. Quoi qu’il en soit, le doute plane aussi sur ces chiffres dans la mesure où les « conseils exécutifs » de la plupart des circonscriptions, en empêchant les représentants des formations politiques non fondamentalistes d’assister au décompte des votes, se sont offert la possibilité d’ajouter des bulletins de vote supplémentaires en faveur de leurs candidats et par là même d’augmenter le nombre de voix exprimées. Même en nous basant sur ces chiffres douteux, le taux de participation au scrutin se situerait, par rapport à la population réelle, entre 45 et 48 %. Mais il importe de préciser que les Iraniens, écrasés par une très grave crise économique et de plus en plus lassés du blocage de la situation politique et de la lutte pour le pouvoir des diverses factions – sans la moindre lueur d’une alternative séduisante –, ont plutôt tendance à bouder les urnes depuis quelques années [25] Tenant compte de cet état de fait et des fraudes électorales dénoncées ici et là, le taux de participation au premier tour du scrutin se situerait donc plutôt entre 40 et 45% ; moins élevé par conséquent que lors des élections législatives de 2004. Dans tous les cas, nous sommes très loin du taux de 60 % proclamé par le Ministère de l’intérieur.
Pour ce qui concerne le taux de participation au second tour, il nous est impossible de l’estimer dans la mesure où le Ministère n’a même pas déclaré la somme des voix exprimées par circonscription. L’absence des statistiques officielles est sans doute, là encore, un aveu indirect de la faible participation des électeurs. Il est vrai que le second tour ne représentait pas les mêmes enjeux (82 sièges à pourvoir seulement), mais dans certaines circonscriptions, en particulier celles de plusieurs capitales des provinces, les jeux semblaient être encore assez ouverts. Cela n’aura donc pas constitué un facteur de mobilisation pour les électeurs. Par exemple dans la circonscription de Téhéran où 11 sièges étaient à pourvoir, seulement 750 000 électeurs [26] sur 6,7 millions auraient participé au scrutin, soit un taux de participation dérisoire de 11 % ; selon notre estimation, il a été de 28 % au premier tour du scrutin.
L’abstention de plus de la moitié des électeurs au premier tour et d’une majorité écrasante d’entre eux au second tour est un signal fort envoyé à toutes les factions au pouvoir. Elle signifie le mécontentement de plus en plus profond des Iraniens vis-à-vis de la situation socio-économique en général, et de la situation politique en particulier. Il va sans dire que la défection de l’électorat entame non seulement la légitimité de ces factions, mais aussi celle de l’État islamique. Elle soulève aussi la question de la représentation, dans la mesure où ces élus, déjà présélectionnés par le Conseil, ne représentent qu’une frange très étroite de la population. Question d’importance, pourtant négligée dans les analyses des résultats des dernières élections, trop rapidement considérés par les observateurs occidentaux comme l’expression de la volonté et l’orientation de la société iranienne.
4. Composition de la huitième législature et les rapports de force entre les factions
Au lendemain du premier tour, les quatre factions ont crié victoire. Mais la réalité était plus complexe, en raison des nombreux candidats présents sur plusieurs listes à la fois, et des candidats « indépendants ». Sur 200 élus au premier tour, 41 étaient « indépendants » (20,5 % des élus) et 68 présents sur deux, voire trois listes (34 % des élus). Alors que ces derniers (54 % des élus du premier tour de ce scrutin) n’avaient pas défini clairement ni leur position ni leur orientation politique, chacune de ces quatre factions, en les comptant pour son propre camp, a prétendu à la victoire.
Les résultats du second tour ont confirmé la configuration hétéroclite de la huitième législature (voir graphique page suivante).
Nombre de sièges gagnés par les candidats selon leur étiquette politique
(Législatives de 2008 en Iran)
Sources : Ministère iranien de l’intérieur et listes des candidats selon leur étiquette politique.
Alors qu’au second tour, rappelons-le, 82 sièges étaient à pourvoir, les indépendants en remportèrent 30, constituant au total un groupe de 71 élus indépendants au parlement. Quant aux candidats présents sur deux, voire trois listes à la fois, ils gagnèrent 14 sièges et en totalisèrent 82. Autrement dit, sur 285 députés fraîchement élus, 154 (soit 54 % des élus) étaient, du point de vue de leur position politique, inclassables.
Ils allaient donc peser de tout leur poids dans les rapports de force à établir, d’une part entre les élus du Front uni et ceux de la Coalition élargie, et d’autre part entre les élus fondamentalistes et ceux des formations des « réformateurs » et des « modérés ». D’autant que ni le Front uni ni la Coalition élargie, comme on peut le constater sur le graphique, n’ont remporté ces élections – contrairement à ce qu’ils avaient déclaré. Ainsi, on compte seulement 72 élus sur les 163 candidats présents seulement sur la liste du Front uni (soit 44 % de leurs candidats) et 30 sur 135 candidats présents seulement sur la liste de la Coalition élargie (soit 22 % de leurs candidats). C’est en effet grâce à la victoire des 42 candidats présents sur les deux listes que les députés fondamentalistes, toutes tendances confondues, sont parvenus à remporter 144 sièges, soit 50 % de l’ensemble. Cela n’était bien évidemment pas suffisant pour dominer l’assemblée. Les deux groupes fondamentalistes étaient donc contraints non seulement à s’entendre, mais encore à chercher des alliances avec les élus inclassables, pour constituer une fraction majoritaire un tant soit peu solide.
Conscients de la fragilité de leur position, les fondamentalistes trouvèrent assez vite un compromis. A la veille de la séance d’inauguration du nouveau parlement (le 21 mai 2008), ils se réunirent pour élire celui qui serait leur candidat à la présidence du parlement. Les porte-parole des factions fondamentalistes déclarèrent que « 228 élus fondamentalistes avaient participé à cette réunion » [27]. À les croire, ils auraient réussi à obtenir l’adhésion de 84 élus inclassables, étant donné que les fondamentalistes, toutes tendances confondues, n’avaient que 144 élus. Dans sa conférence de presse, organisée au lendemain de cette réunion, le secrétaire exécutif du Front uni des fondamentalistes déclara que le Front avait invité à cette réunion « de nombreux élus indépendants, mais aussi des élus amis ». Quoi qu’il en soit, à l’issue de cette réunion, les groupes fondamentalistes, alliés du moment, purent annoncer la formation de la « fraction majoritaire fondamentaliste » au parlement, qui comprendrait 210 à 220 députés fraîchement élus – sans pourtant révéler l’identité de ces derniers. Par la même occasion, ils présentèrent Larijani comme le candidat de cette fraction pour la fonction de président du parlement. Celui-ci fut donc aisément élu président du parlement le 31 mai 2008 [28]. Ainsi, pour la première fois dans l’histoire de la République islamique, un élu de Qom, et non de Téhéran, soutenu fermement par la Société des enseignants religieux de Qom, accéda à la présidence du parlement. Il va sans dire que ce soutien fut déterminant dans sa désignation comme candidat des fondamentalistes à la présidence du parlement, et donc pour son élection à ce poste.
Le doute plane cependant sur la capacité de cette fraction, formée à la hâte, à préserver son unité. Ce scepticisme à l’égard de la solidité de la fraction majoritaire s’explique par les fortes dissensions internes et notamment les enjeux politiques qui ont divisé les groupes rivaux et les diviseront encore dans les échéances à venir. En effet, leur unité sera très rapidement mise à l’épreuve par la relation qui s’établira entre le nouveau parlement et le gouvernement d’Ahmadinejad. Si le parlement s’oppose à la politique menée par ce gouvernement ou le met en difficulté, le courant pro-Ahmadinejad, et peut-être même le Front uni dans son ensemble, se désolidariseront de cette majorité. Alors que pendant longtemps (notamment lors de la campagne électorale), la Coalition élargie et leur chef de fil, Larijani, avaient affiché clairement une position hostile à ce gouvernement, il paraissait difficile qu’ils puissent faire autrement une fois élus au parlement. Tout dépendrait alors de Larijani à qui, selon les accords conclu [29], serait revenue la tâche de tenir ses troupes, afin d’éviter que des incidents n’éclatent entre les deux formations principales de la majorité. Toutefois, même s’il parvenait à les contrôler, une autre épreuve, tout aussi importante, attendrait cette fraction dans les 6 mois à venir, avec la préparation de l’élection présidentielle de 2009. D’ores et déjà, deux députés de la majorité, dont Larijani, sont susceptibles de se présenter à cette élection. Dans ce cas de figure, ils se trouveront en compétition avec Ahmadinejad qui, lui-aussi, devrait se présenter à sa propre succession. La fraction majoritaire risquerait alors d’évoluer en fonction de la position que l’un ou l’autre courant la composant prendrait par rapport à ces candidats issus du même camp.
La Coalition des réformateurs, quant à elle, a remporté 22 sièges et le Parti de la modération et du développement, 5. En additionnant les 8 sièges gagnés par les candidats sur les deux listes, ces deux formations en totalisent 33. Par ailleurs, on compte 17 élus qui étaient présents à la fois sur la liste de la première ou du second et sur celle de la Coalition élargie des fondamentalistes. Impossible de déterminer la tendance politique effective de ces élus, qui font partie des 154 inclassables qui, selon les circonstances, se rallieront à l’une ou l’autre formation. Néanmoins, les réformateurs et modérés paraissaient assez satisfaits de leur score et dès le lendemain du second tour, eux aussi ont entamé des négociations, notamment avec les élus inclassables, pour former la fraction minoritaire du parlement. Au départ, ils prétendaient que la fraction minoritaire constituerait 25 % des députés nouvellement élus. Ils avaient même déclaré qu’ils présenteraient un candidat à la présidence aussi bien que des candidats aux vice-présidences et aux secrétariats du parlement. Finalement, ils se sont contentés de confirmer la formation de cette fraction, sans présenter de candidats. Ils n’ont d’ailleurs pas précisé si cette formation comprendrait bien 25 % des députés, et n’ont pas communiqué non plus l’identité des membres de cette fraction. Par conséquent, le positionnement des élus inclassables, notamment celui des indépendants par rapport à ces deux fractions, n’est pas encore clarifié.
Quoi qu’il en soit, la fraction minoritaire semble être composée d’élus très modérés du point de vue politique, dans la mesure où elle n’a jusqu’à présent pas cherché à se démarquer de la fraction majoritaire. Bien au contraire, elle a même voté, rappelons-le, pour Larijani, candidat de la fraction majoritaire à la présidence du parlement. Pour justifier ce choix, elle est allée encore plus loin en déclarant [30] : « sachant qu’un président du parlement élu avec le maximum de votes des députés gagne plus d’importance au sein des communautés politique et internationale, la fraction minoritaire a décidé de voter pour Larijani ». Pour les réformateurs et modérés, il s’agissait de poursuivre la même politique qu’ils avaient esquissée pendant la campagne électorale, à savoir une certaine connivence avec la Coalition élargie des fondamentalistes, bien que celle-ci n’ait jamais dissimulé son hostilité à leur égard. Ce faisant, ils ont continué à brouiller leur image auprès de leurs électeurs pour lesquels cette alliance, même tactique, avec des adversaires déclarés des réformes, ne pouvait être justifiée. Les calculs politiques à courte vue des élus réformateurs et modérés, au mépris de leurs électeurs et de leurs prises de position contre les fondamentalistes, les conduisirent ainsi à s’incliner d’emblée face à la fraction majoritaire. Il ne faut donc pas s’attendre à ce que cette fraction minoritaire, qui n’a même pas encore défini ses propres contours, apparaisse en tant que telle au parlement.
Au-delà de cette complexité de la composition du parlement et des rapports de force en son sein, ce qui semble aussi très important à souligner est que les fondamentalistes, notamment le Front uni des fondamentalistes, en dépit de tous les moyens dont ils disposaient, ne sont pas parvenus à s’assurer une large victoire et une domination sans conteste. Il leur a sans doute manqué la clairvoyance pour anticiper les séquelles de leur division et aussi la réaction de l’électorat à l’offre politique biaisée qu’ils lui avaient imposée.
5. Les votes par région
Alors même que les « comités exécutifs » et le Conseil avaient donné leur agrément à tous les candidats des deux factions fondamentalistes, en raisons des problèmes structurels et organisationnels que nous avons expliqués plus haut, la liste du Front uni des fondamentalistes et celle de la Coalition élargie des fondamentalistes étaient absentes de 29 circonscriptions pour les premiers et de 38 pour les seconds. Pour ce qui concerne les réformateurs et modérés, à leur problème structurel et organisationnel s’ajoutait celui de l’élimination d’un grand nombre de leurs candidats avant même l’ouverture de la campagne électorale. Dès lors, la Coalition des réformateurs ne put présenter de candidats dans 108 circonscriptions et le Parti de la modération et du développement dans 113. Les réformateurs notamment furent systématiquement absents dans pratiquement la moitié des circonscriptions de toutes les provinces et tout particulièrement dans les provinces périphériques où leurs candidats avaient obtenu de très bons scores au premier tour de l’élection présidentielle de 2005.
Pour donner un aspect « compétitif » à ces élections et aussi pour tenter de diviser encore les votes des réformateurs, le Conseil a validé la candidature de nombreux candidats « indépendants » ou appartenant à de petites formations politiques, dans diverses circonscriptions. Les fondamentalistes ne prenaient pas au sérieux ces candidats, assez méconnus du public. Ils semblaient être d’autant plus rassurés que les candidats n’avaient qu’une semaine pour leur campagne électorale, alors que les lois restrictives sur la publicité électorale (telles que l’interdiction d’utiliser des grandes affiches, panneaux, pancartes, des caravanes publicitaires avec haut-parleurs ou encore d’ouvrir des permanences dans les villages et les chefs-lieux dans les campagnes, etc.) ne leur permettaient pas de se faire bien connaître auprès des électeurs.
C’était faire preuve d’une bien mauvaise appréciation de la réalité du terrain, et d’une forte cécité au regard de la maturité développée par la société iranienne dans le cadre des institutions contraintes de la République islamique – comme l’attestent les évolutions socioculturelles profondes des trente dernières années [31]. L’électorat a saisi l’occasion de ces élections pour exprimer son mécontentement, en apportant ses voix aux candidats indépendants. Dans 52 circonscriptions, comme celles d’Isfahan, d’Ahvaz, d’Abadan ou celles des capitales des provinces périphériques, les candidats indépendants ont été élus contre les candidats du Front uni, de la Coalition élargie ou contre les deux ensemble. Ils ont de même battu les candidats « réformateurs » et « modérés » dans 17 circonscriptions, notamment dans celles où ces derniers gagnaient habituellement, comme à Boucher (sud), Tabriz (nord-ouest) ou Isfahan (centre). De plus, nous constatons que dans la plupart des circonscriptions des régions périphériques, l’élection d’un candidat indépendant est allée de pair avec une participation relativement forte des électeurs. Il se peut, bien sûr, qu’un certain nombre de candidats « indépendants » aient été proches des fondamentalistes ou à l’inverse des réformateurs. Mais quoi qu’il en soit ils n’ont pas été investis par ces factions et les électeurs ont voté pour eux en tant qu’« indépendants ». Par ailleurs, la multiplicité des candidats investis par deux, voire trois factions à la fois, qui n’exprimait que l’opportunisme de ces dernières et leurs calculs à court terme, a sans doute accentué la tendance des électeurs à voter pour les indépendants en signe de désapprobation. Ce serait une erreur de croire que les programmes ou projet de ces derniers, disparates et encore moins précis que ceux des factions du pouvoir, ont pu séduire les électeurs. Leurs suffrages en direction des candidats indépendants doivent sans doute être principalement interprétés comme un vote de protestation contre toutes les factions du pouvoir dont la rivalité stérile n’a fait que monter au cours de ces dernières années. Le décalage entre la dégradation continue des conditions socio-économiques de la société iranienne et la crispation des luttes politiques autour d’enjeux de pouvoir immédiats est trop évident pour ne pas avoir pesé sur ce scrutin, et biaisé ses résultats dans un sens bien différent de celui souhaité par ses organisateurs.
Les élus indépendants, dont le nombre (71 au total) est quasiment égal à celui du Front uni et plus que le double de celui de la Coalition élargie, apparaissent ainsi comme les principaux rivaux potentiels des fondamentalistes. Dans 25 provinces sur 30, on peut compter au moins un élu indépendant, leur nombre culminant à 7 dans la province d’Azerbaïdjan occidental (au nord-ouest de l’Iran) et à 6 dans chacune des provinces d’Isfahan (centre), de Fars (centre-sud) et de Téhéran (centre), toutes trois particulièrement importantes du point de vue des enjeux économiques, sociaux et politiques. Les votes pour les indépendants, complexes dans leur répartition, semblent ainsi se répandre de l’ouest à l’est et du nord au sud, dans toutes les provinces sauf cinq. La géographie électorale des indépendants est donc assez diffuse et met en évidence le fait qu’une partie significative de l’électorat, quelle que soit son origine régionale, leur a apporté sa voix.
Le Front uni des fondamentalistes, quant à lui, a réalisé son meilleur score dans la circonscription de Téhéran, avec 20 élus dont 10 dès le premier tour. Toutefois ces résultats sont l’objet de contestations et, vu l’importance de cette circonscription, méritent que nous les présentions de manière approfondie, pour chacun des deux tours. Alors que 30 sièges étaient à pourvoir dans cette circonscription, outre les 10 candidats du Front Uni, ce sont 8 autres candidats présents sur les deux listes du Front uni et de la Coalition élargie, et un candidat présent sur la liste du Front uni et du Parti de la modération et du développement, qui ont été élus dès le premier tour. Arrivent au second tour en ballottage favorable encore 11 candidats du Front uni, suivis par un candidat de la Coalition élargie, 7 candidats présents sur les deux listes de la Coalition des réformateurs et du Parti de la modération et du développement et 3 candidats de la seule Coalition des réformateurs. Le Front uni a sans doute usé et abusé de tous les dispositifs réguliers (voire irréguliers) pour s’assurer une telle victoire dans cette circonscription politiquement sensible, enviée par toutes les factions et particulièrement suivie par les observateurs internationaux. C’est au moment du comptage des votes exprimés qu’ils seraient notamment intervenus. En effet, dès le lendemain du premier tour, des protestations se sont élevées pour dénoncer l’irrégularité de la procédure imposée par le « conseil exécutif » de cette circonscription qui aurait empêché les délégués des « réformateurs » et des « modérés » d’assister au décompte de votes. La Coalition élargie, pour sa part, a choisi une manière plus discrète pour contester ces résultats, en déclarant qu’au second tour elle ne soutiendrait que son unique candidat. Les chefs de file des réformateurs, Khatami et Karoubi, quant à eux, ont adressé, le 19 mars (5 jours après le premier tour), une lettre [32] au Conseil de surveillance de la Constitution pour exprimer leurs inquiétudes sur la présentation officielle des résultats de cette circonscription, en demandant le recomptage partiel des votes en présence des candidats ou de leurs délégués. Sans surprise, le Conseil n’a pas répondu à cette lettre. Fort de ce soutien implicite du Conseil, le Font uni a recommencé ses manœuvre dès le lendemain du second tour. Au total, 10 candidats du Front uni et un candidat de la Coalition des réformateurs ont été élus. Cette circonscription ne compte donc aucun élu de la Coalition élargie.
Selon notre analyse, il s’agissait pour le Front uni d’une démonstration de force à destination de la Coalition élargie principalement. À travers ce scrutin, il a en effet reconquis non seulement la capitale, gagnée par les formations composant la Coalition élargie lors des élections municipales de 2006, mais, en outre, il a montré à ces dernières, et particulièrement à l’actuel maire de Téhéran, Ghalibaf, l’un des futurs candidas à la présidentielle de 2009, qu’il avait repris le contrôle de cette circonscription stratégique. Le Front uni a eu la même « réussite » dans les circonscriptions de Machhad (nord-est) et Chiraz (centre-sud), capitales de provinces développées et très importantes du point de vue socio-économique et politique. Et l’on n’a compté aucun élu pour la Coalition élargie dans ces deux circonscriptions, qui semblaient pourtant, au vu des résultats des élections municipales de 2006 et du bon score de Ghalibaf au premier tour de 2005, avoir une inclination marquée pour cette formation politique.
La stratégie du Front uni paraît finalement assez simple. En faisant éliminer, autant que possible, les « réformateurs » et « modérés » lors de l’étape de la présélection par le Conseil, il a pu aisément déployer ses forces contre la Coalition élargie pour remporter une victoire à la fois numérique et symbolique, en s’attachant particulièrement aux circonscriptions d’importance. Les provinces dans lesquelles il a obtenu le plus de sièges sont situées principalement au centre, centre-sud, nord-est et dans l’est. Les votes pour le Front uni apparaissent ainsi assez concentrés dans les régions allant, très schématiquement, de l’est vers le centre. Or, la plupart de ces régions, d’un poids politique considérable, sont parmi les plus développées du point de vue socio-économique et démographique. Les réseaux locaux de soutien créés dans ces régions dans la suite de l’activisme économique et militaire des Gardiens de la révolution [33], via leurs différents organismes, ont sans doute été mobilisés en faveur des candidats du Front uni. Dans ce contexte particulier, où le choix des électeurs dans une grande partie de ces circonscriptions était assez limité et où leur participation n’était pas suffisamment forte, la mobilisation de ces réseaux s’est avérée déterminante [34]. Ce sont probablement les mêmes circonstances qui ont permis au Front uni de faire une percée inattendue dans les provinces suitées à l’ouest, comme Kermânchâh, où les réformateurs obtenaient habituellement un bon score. Le gouvernement d’Ahmadinejad, qui n’a cessé depuis 2005 d’accorder à certains organismes dirigés par les Gardiens de la révolution des privilèges considérables dans le domaine économique, a fini par avoir le soutien de la plupart des réseaux pour ce scrutin. Il ne faut cependant pas croire que ces réseaux sont dirigés de façon unitaire ou sont à la disposition d’une seule tendance fondamentaliste. En fonction des négociations et des concessions, ils peuvent se regrouper et être mobilisés en faveur de l’une ou de l’autre des coalitions.
Les votes pour la Coalition élargie des fondamentalistes sont pour leur part répartis dans les provinces allant du centre vers l’ouest, ce qui jusqu’alors correspondait, à quelques exceptions près, à la géographie électorale des « réformateurs ». En effet, profitant de l’absence de ces derniers dans 50 % des circonscriptions de chacune de ces provinces où ils faisaient habituellement de très bons scores, la Coalition a pu gagner quelques positions notamment dans le Khûzistân (sud-ouest), en remportant 7 sièges. Dans cette province frontalière avec l’Irak, où plusieurs départements ont gardé de lourdes séquelles de la guerre Iran/Irak, les Gardiens de la révolution avaient installé un réseau d’influence qui, depuis la fin de la guerre, est mobilisé lors des élections en faveur des candidats soutenus par les organismes proches des Gardiens de la révolution ou par les Gardiens eux-mêmes. Pour ce scrutin, le réseau avait donc choisi d’apporter ses voix aux candidats de la Coalition élargie. Dans 5 circonscriptions, ses candidats ont été élus face aux candidats du Front uni et dans les deux restants, ils ont été élus faute de concurrents, aucune des trois autres factions n’y ayant présenté de candidats.
Pour ce qui concerne les votes de la Coalition des réformateurs, ils sont très dispersés dans l’espace, pour la simple raison que ces derniers, rappelons-le, n’ont pas pu présenter de candidats dans pratiquement la moitié des circonscriptions. Dans ces conditions, il est difficile pour ne pas dire impossible de discerner les tendances régionales des votes « réformateurs ». Nous constatons simplement que la plupart de leurs élus se situent dans les régions périphériques, où les scores des « réformateurs » sont généralement bons. Il serait toutefois hasardeux de parler d’une permanence géographique de l’électorat « réformateur », étant donné l’échec de leurs candidats face aux candidats indépendants dans les circonscriptions où ils l’emportaient jusqu’alors assez régulièrement.
Quant au Parti de la modération et du développement, il n’a eu que 5 élus, dont 2 dans la province de Guilân (nord) d’où est originaire son chef. Ce parti est entré dans la course aux législatives sous l’impulsion décisive de Rafsanjani, qui cherchait à évaluer l’adhésion populaire à la tendance politique qu’il proposait. Mais son mouvement, qui n’a pas hésité à « partager » des candidats aussi bien avec les « réformateurs » qu’avec le Front uni ou la Coalition élargie, a plutôt semé la confusion dans les esprits et détourné l’électorat de lui apporter ses voix.
Les législatives de 2008 n’ont donc dégagé la géographie électorale que des « indépendants » et du Front uni. Pour ce qui concerne le premier ensemble, cette géographie apparaît assez diffuse, comprenant la majorité des provinces à l’exception des circonscriptions les plus stratégiques. Il n’y a donc pas de « terrain politique » spécifiquement favorable aux « indépendants ». L’ordre de grandeur des sièges remportés par les indépendants dépendait de la configuration électorale de chacune de ces régions. L’électorat a voté là où il le pouvait pour un indépendant, considéré comme « candidat hors-système », dans le but d’exprimer désapprobation, voire colère en direction du pouvoir.
Quant à la géographie politique du Front uni, elle correspond pratiquement à celles des trois candidats fondamentalistes rivaux, à savoir Ahmadinejad, Ghalibaf et Larijani, dans la configuration déjà rencontrée lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2005. C’est en effet cet événement qui a conduit à la division des voix que les réseaux de soutien mobilisés dans ces régions devaient leur apporter. À l’occasion du scrutin de 2008, le Front uni a réussi à accaparer la majorité des votes en sa faveur dans ces régions en écartant la Coalition élargie. Tout ceci met en évidence le fait que les réseaux sociopolitiques issus de la Révolution ne suivent pas une ligne politique bien déterminée par rapport à l’un ou l’autre courant fondamentaliste. Leur soutien peut évoluer en fonction des compromis et des enjeux que représente chaque scrutin. C’est la raison pour laquelle, à notre sens, cette géographie électorale du Front uni dessinée lors des législatives de 2008 doit être considérée comme les zones d’influence de l’ensemble de la mouvance fondamentaliste – avec les réserves mentionnées plus haut sur les conditions du scrutin et la réalité de la participation civique.
Il conviendra donc de se montrer particulièrement attentif à la dynamique politique complexe qui fera basculer ces réseaux en direction de l’un des candidats fondamentalistes à la présidentielle de 2009.
Conclusion
La victoire des fondamentalistes a donc été très relative, et discutable dans ses réalités arithmétiques. Ces élections ont en fait mis à nu la fragilité de la position des deux factions fondamentalistes, dont les divisions et les choix stratégiques erronés ont conduit à une composition parlementaire inédite. Contrairement à ce qu’elles avaient laissé croire, aucune d’entre elles n’a obtenu la majorité. Désormais, elles sont contraintes à s’entendre et à compter sur le ralliement des autres députés dont la tendance politique n’est pas identifiée comme fondamentaliste, pour pouvoir maintenir une fraction majoritaire susceptible d’assurer la cohérence de la ligne politique du régime dans un contexte interne et externe particulièrement tendu. Cette coalition délicate est ainsi exposée à la très forte probabilité d’une série de crises périlleuses, étant donné la dissension profonde entre les uns et les autres, exacerbées encore par les ambitions personnelles des chefs de file.
Ce scrutin a aussi révélé les calculs politiciens des « réformateurs » et des « modérés » qui, pour récupérer une part du pouvoir ou éviter d’en être totalement évincés, ont perdu par leurs propres erreurs et maladresses tous les scrutins depuis 2003. Alors que durant des mois avant la campagne électorale, ils n’ont cessé de justifier la nécessité de la présence d’une fraction minoritaire réformatrice au parlement, aujourd’hui les députés « réformateurs » et « modérés » se font remarquer par leur silence assourdissant. Leur désir de conserver une parcelle du pouvoir dans le cadre des institutions de la République islamique est tellement fort qu’ils se révèlent incapables d’affirmer leur identité en tant que réformateurs et opposants organisés à la majorité fondamentaliste. Ils sont allés même jusqu’à s’effacer devant la fraction majoritaire et à voter pour son candidat à la présidence du parlement, sous prétexte de vouloir contribuer au crédit de celui-ci auprès de la communauté internationale.
Plus importante encore est l’élection des candidats « indépendants », qui ont réussi à remporter 25 % des sièges au parlement. Peu importe l’orientation politique qu’ils s’approprient aujourd’hui, leur élection en tant qu’« indépendants » était l’expression d’un mécontentement généralisé d’une partie importante de l’électorat. Elle symbolise l’échec de toutes les factions au pouvoir et le rejet de la part de bon nombre d’électeurs du système politique iranien. Cela d’autant que, pour contester ce même système ou s’en désolidariser, plus de la moitié des électeurs, au premier tour, et une majorité écrasante d’entre eux, au second tour, ne se sont pas rendus aux urnes.
On l’a bien compris, ces législatives étaient pour les factions rivales l’étape préliminaire de l’élection présidentielle de 2009. Elles ont ainsi laissé se définir les rapports de force entre ces factions et permis à chacune d’entre elles d’évaluer ses propres capacités pour obtenir l’adhésion de l’électorat. Vu le message que les électeurs ont envoyé à travers ce scrutin – à condition de savoir le lire et d’en accepter les leçons –, un candidat hors-système aurait manifestement plus de chances d’être élu dans un scrutin ouvert que le candidat de n’importe laquelle de ces factions. Cette hypothèse ne pourra évidemment pas être vérifiée, dans la mesure où c’est le gouvernement d’Ahmadinejad qui aura la charge d’organiser l’élection présidentielle de 2009. Tirant les enseignements de ces élections législatives, il ne laissera certainement pas de tels candidats entrer dans la course. Aussi, le Conseil sera probablement très sévère à l’égard des candidats des « réformateurs » et des « modérés ». Ces derniers doivent donc être très lucides dans leur choix, pour éviter l’élimination de leurs candidats lors de l’étape de la présélection. Alors que pour l’élection présidentielle de 2005, les « réformateurs » et « modérés » se sont offert le luxe de se diviser en présentant quatre candidats et en ont payé le prix fort, aujourd’hui ils sont en train de négocier pour désigner un seul candidat.
Quant aux deux factions fondamentalistes, elles ne peuvent plus se permettre de se diviser au risque de se fragiliser davantage, voire de perdre les élections. Mais il nous paraît très improbable qu’elles parviennent à s’entendre. D’ores et déjà, quatre noms – Ahmadinejad et Adel du Front uni et Larijani et Ghalibaf de la Coalition élargie –, circulent comme « présidentiables ». Les tractations internes ont été intensifiées depuis ces derniers mois. Ahmadinejad a commencé assez tôt et a même concédé aux Gardiens de la révolution des contrats gaziers et pétroliers colossaux pour obtenir la faveur des réseaux de soutien que gèrent diverses organisations de cette institution. Par ailleurs, il aurait conclu un accord tactique avec Larijani pour faire écarter Adel [35] de la candidature à la présidence du parlement, et s’occupe à présent du cas de Ghalibaf. Ce dernier, depuis son échec en 2005, compte les jours pour se représenter en 2009. Au cours de ces dernières années, il n’a pas ménagé ses efforts pour consolider ses réseaux d’influence. Il ne semble donc pas prêt à se retirer de la course facilement. Enfin, Larijani, dont l’ambition n’est un secret pour personne, préfère pour le moment ne pas trop évoquer son projet, en raison de son statut du président du parlement. À l’instar des autres candidats, il prépare toutefois activement la course à la présidentielle. À notre sens, les querelles personnelles à l’intérieur de chacune des deux factions et le conflit entre celles-ci devraient éclater au grand jour dans six mois, à l’approche des échéances de la présidentielle, au moment où les candidats pressentis devront se déclarer. Or ces déclarations de candidatures devront nécessairement se positionner clairement sur le contentieux entre la République islamique et les puissances occidentales sur la question nucléaire, d’une part, et la menace d’une attaque militaire contre l’Iran, de l’autre. Pour les candidats opposés à la reconduction d’Ahmadinejad, cette occasion devrait leur permettre de remettre en cause la politique du gouvernement et de se présenter chacun comme l’homme de la situation, voire l’homme du « gouvernement de l’unité nationale ». Leur rivalité mettrait ainsi fin à l’unité de la fraction majoritaire au parlement et pourraient entraîner une crise de régime qui, le contexte aidant, pourrait précipiter l’Iran dans un devenir politique particulièrement inquiétant.