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Essai Société

Dossier : L’empire du foot

La fabrique des footballeurs


par Julien Bertrand , le 30 juin 2010


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Le sociologue Julien Bertrand a mené l’enquête dans le centre de formation d’un grand club de football français. Son étude déconstruit l’image du talent sportif comme don, et celle du football comme voie privilégiée d’ascension sociale pour les jeunes issus des milieux populaires.

Le spectacle offert par la Coupe de Monde de football entretient l’idée, plus ou moins confuse, que le footballeur réalise sur le terrain un talent naturel dont le geste parfait veut être la plus belle incarnation. Mais la célébration du « génie » des idoles ne doit pas faire oublier qu’elles sont savamment produites – la grâce ne doit pas faire oublier que le football est un métier, dont l’apprentissage a ses règles et ses exigences. On ne naît pas footballeur, on le devient. Au football, l’accès à cette élite repose sur une socialisation longue et intensive, d’autant plus exigeante que derrière l’apparente facilité des gestes se cache un travail de longue haleine nécessitant un sens de l’effort et de la persévérance. Ce n’est qu’à la suite d’un long cheminement incertain, les confrontant à une concurrence précoce à l’intérieur d’institutions spécialisées, que quelques rares apprentis ouvrent les portes du professionnalisme. À partir d’une enquête dans une de ces institutions, il est possible de reconstruire la fabrication de ces parcours, qui se révèlent bien plus périlleux que ne le laisse penser l’image, souvent invoquée, du football comme voie d’ascension sociale pour les jeunes issus des classes populaires.

Enquête au sein du système de formation

Les parcours des footballeurs se réalisent, dans la majorité des cas, à l’intérieur d’un système de formation qui s’est fortement organisé et institutionnalisé au cours des dernières décennies. L’apprentissage est l’objet d’une importante action de la Fédération (F.F.F.) en matière de formation des entraîneurs et de repérage des joueurs développant des qualités sportives, par le biais des sélections en équipe « jeune » de niveau départemental, régional ou national, et par la prise en charge directe d’un travail de formation précoce via treize centres de préformation (« Pôles Espoirs », qui accueillent des jeunes entre douze et quatorze ans). L’action de la Fédération se combine à celle des clubs professionnels, qui ont la charge des centres de formation (on en compte actuellement trente-deux). Ces derniers sont devenus la voie privilégiée d’accès au plus haut niveau, depuis que les clubs professionnels ont l’obligation de cette prise en charge (via la signature de la Charte du football professionnel en 1973 [1]) et grâce à leur généralisation au cours des années 1980. Ils organisent une initiation sélective des jeunes aspirants (entre 15 et 19 ans) comme le montre notre investigation à l’intérieur de l’un des grands clubs professionnels français (Bertrand, 2008). Cette enquête, menée par le biais d’observations, d’entretiens (avec trente-trois apprentis) et d’une étude des dossiers scolaires, s’est déroulée dans l’un des grands clubs professionnels français, au sein duquel les apprentis connaissent un apprentissage sportif intensif (de quatre à sept entraînements hebdomadaires).

Les ressorts sociaux de la « passion »

L’analyse de la genèse des parcours des jeunes apprentis montre que la carrière du footballeur n’a rien d’une « passion » spontanée. Quand il n’est pas décrit comme la manifestation d’un appétit pécuniaire, l’engagement dans une telle voie est pourtant généralement perçu et vécu comme une orientation personnelle. C’est ce qui donne l’impression enchantée d’appartenir à un monde « à part », loin du travail « ordinaire » (Bertrand, 2009).

Premièrement, le développement de ces « talents » se réalise très souvent à l’intérieur de familles dans lesquelles l’initiation footballistique est d’autant plus précoce que ce sport y occupe une place conséquente. Sa pratique et son spectacle constituent souvent un trait significatif d’une précoce socialisation masculine portée par des pères « footeux » (deux tiers des pères ont joué en club) et dont les effets se lisent sur l’ensemble de la fratrie (neuf sur dix des frères des enquêtés pratiquent ou ont pratiqué ce sport). L’engagement de ces pères dans le jeu n’avait d’ailleurs souvent rien d’anecdotique puisqu’un tiers a pratiqué dans des championnats nationaux et près d’un quart a occupé des fonctions d’encadrement. Les footballeurs rejoignent ici d’autres métiers à carrière précoce dans lesquels l’initiation familiale joue souvent un rôle décisif (cela a été observé dans le domaine sportif chez les cyclistes (Lefèvre, 2007) et les athlètes (Forté, 2008) ou dans le domaine musical chez les violonistes solistes (Wagner, 2004) ou les clarinettistes (Ravet, 2007 par exemple). L’imprégnation précoce des jeunes par cette culture sportive s’opère, le plus souvent, à l’intérieur de familles appartenant aux milieux populaires. Plus de la moitié des apprentis rencontrés a un père ouvrier ou employé (environ 57 % sur 47 cas). Les données sur le centre étudié, proches de celles produites par une enquête statistique menée au cours des années 1990 (Slimani, 2000), semblent situer le football parmi les sports où l’excellence est majoritairement l’affaire des classes populaires (avec le cyclisme ou la gymnastique par exemple), alors que la population des sportifs de haut niveau dans son ensemble est majoritairement issue de familles fortement dotées en ressources culturelles et économiques (Fleuriel, 2004). Cependant, le lien entre professionnalisme et classes populaires est loin d’être univoque, et cela d’autant plus que l’institutionnalisation de la formation a toutes les chances d’élargir le recrutement social. C’est ce que laisse penser le fait que les fils des cadres et professions intellectuelles supérieures sont loin d’être exclus (presque un cinquième de la population) et que leur proportion s’est sensiblement accrue chez les footballeurs de métier entre le début des années 1980 et le milieu des années 1990. Cette évolution rappelle, par ailleurs, que la relation entre les groupes sociaux et les formes de pratique sportive est l’objet de fluctuations historiques et n’a rien de « naturel ». Cette relative variété du recrutement social se traduit par la diversité des modes d’entrée dans la pratique. Par exemple, la pratique sportive a été plus fréquemment diversifiée chez les jeunes interviewés issus des classes supérieures avant de se concentrer sur le football (celui-ci ne jouant pas le rôle de référence sportive centrale dans leur famille contrairement à leurs homologues issus des milieux populaires), et c’est aussi pour eux que la question de concurrence scolaire s’est posée avec le plus d’acuité.

Deuxièmement, l’étude détaillée des parcours permet de montrer que, si l’entrée dans le club professionnel est précoce (en moyenne entre 13 et 14 ans), elle est en fait le produit d’une trajectoire sportive déjà longue, qui a permis la construction progressive de leur engagement. L’analyse rétrospective met ainsi en lumière le long travail de persuasion qui rend possible l’adhésion au projet sportif, fondée sur le sentiment d’être « fait pour ça ». Ce n’est qu’à l’issue d’une longue intériorisation de la « passion » sportive que les joueurs entrent en formation, intériorisation réalisée à travers une pratique amateur régulière durant laquelle, à force d’élections et de gratifications, les jeunes enquêtés ont acquis le sentiment d’être « doués ». La pratique antérieure des jeunes sportifs se caractérise en effet par sa précocité (presque la moitié d’entre eux a débuté en club avant l’âge de six ans) et par une ascension sportive rapide (reconnaissance par les entraîneurs, sollicitations de clubs plus huppés, sélections fédérales). Ainsi, s’ils débutent pour la majorité d’entre eux à l’intérieur de clubs modestes, ils s’entraînent fréquemment dès l’âge de onze ans dans des clubs d’élite. « C’était déjà plus sérieux » disent-ils souvent pour décrire sommairement cet accès à des niveaux de jeu plus élevés et la transformation correspondante de leur activité. S’observe ainsi un mouvement de dé-territorialisation du jeu, l’horizon de référence de la pratique se déplaçant d’un espace local de « connaissances » vers un espace d’« experts ». Cette tendance est d’autant plus forte qu’ils connaissent de nouvelles consécrations footballistiques (les sélections dans les équipes fédérales par exemple) et qu’ils sont repérés par un encadrement doté de capitaux sportifs (entraîneurs de clubs situés en haut de la hiérarchie, agents fédéraux). Parce qu’ils sont reconnus sur ce marché amateur, qui opère de ce fait un véritable marquage symbolique faisant de chaque sélection une élection, l’orientation vers un club professionnel devient un avenir pensable et l’invitation de celui-ci a toutes les chances d’apparaître comme un appel à se réaliser soi-même.

Formation sportive et parcours scolaire

Parmi les représentations associées aux footballeurs professionnels, celle de leurs supposées incompétences intellectuelles et scolaires est l’une des plus tenaces. Plus ou moins explicitement, l’image de « dernier de la classe » n’ayant que le football comme voie de salut leur est facilement attribuée. Or les données existantes invitent à ne pas systématiser et essentialiser la relation entre parcours scolaire et sportif.

Tout d’abord, l’enquête a permis de constater que l’investissement footballistique ne porte pas systématiquement préjudice aux perspectives scolaires. Les résultats à l’école primaire, en particulier, montrent que ces apprentis footballeurs ont assez rarement rencontré des difficultés scolaires précoces. En fin de cycle primaire, seulement trois sur quarante-trois avaient redoublé. Et huit joueurs sur dix ne présentent aucun retard scolaire au moment de l’entrée en préformation. Au final, seulement un des jeunes rencontrés sur cinq a connu des difficultés scolaires nettes au moment de l’engagement (redoublement, série d’« avertissements ») et c’est parmi cette minorité que la voie sportive apparaît régulièrement comme une voie de salut possible, voire un refuge symbolique, susceptible de se substituer à un avenir scolaire précocement envisagé comme « bouché » ou aléatoire.

On sait, par ailleurs, que la population des diplômés a nettement augmenté parmi les footballeurs professionnels et qu’ils ne sont pas restés à l’écart du mouvement de massification de l’enseignement secondaire et supérieur. En 1996, on comptait ainsi 29% de bacheliers et 10,3 % de diplômés du supérieur dans leurs rangs (Faure et Suaud, 1999). Le projet sportif n’est donc pas nécessairement contradictoire avec l’obtention de diplômes. Dans le centre étudié, 56,4 % des apprentis ont obtenu le BEP ou un baccalauréat au terme de leur cursus de formation (environ un tiers des 39 cas). Ce score reste cependant inférieur à celui de la génération de ces jeunes puisque le taux de bacheliers s’établit à 57 % pour les garçons entrés en sixième en 1995 (contre environ un tiers chez les jeunes joueurs). Si le recrutement social explique cet écart, il apparaît également que l’investissement sportif n’est pas sans effet sur les trajectoires scolaires de nos enquêtés : il facilite assez souvent la baisse des ambitions scolaires (orientation vers des filières réputées plus faciles comme le baccalauréat technologique par exemple), la fréquente érosion des efforts scolaires et, très majoritairement, l’arrêt des études après le lycée. Cela se traduit par une baisse progressive, inégale mais généralisée, des résultats à partir du second cycle des études secondaires, les plus en difficultés étant ceux au passé scolaire défavorable et qui sont plus souvent issus d’une famille populaire. C’est notamment le cas d’un cinquième des jeunes rencontrés, ceux qui ont arrêté leurs études avant la présentation des examens du second cycle. L’expression, récurrente en fin de formation, d’une lassitude à l’égard de l’école (« j’ai de moins en moins envie » disent-ils souvent), le sentiment d’avoir de moins en moins « la tête à ça », le souhait de ne plus « se prendre la tête avec ça » sont les témoins de leur absorption progressive par les enjeux sportifs et d’une baisse des attentes scolaires d’autant plus marquée que la majorité des aspirants sont issus de familles populaires aux capitaux scolaires modestes [2].

Les « génies » du football ?

En matière de performance sportive, le recours au registre de la « magie », du « don », du « talent » mystérieux et naturel est souvent prégnant. Cette perception naturalisée de l’excellence sportive est dominante, tout en étant souvent associée à une vision ethnicisée du talent sportif [3]. Or ce type de représentations passe sous silence le fait que ces talents sont le produit d’une organisation rationalisée de formation qui prend place au sein d’une politique nationale.

L’apprentissage au sein du Centre est l’objet d’une spécialisation des compétences qu’objective l’organigramme interne. À côté des entraîneurs en charge des équipes, les rôles se sont diversifiés avec l’emploi d’agents qui ont pour mission l’entraînement des gardiens, la préparation physique et le développement d’une cellule médicale (un médecin et un kinésithérapeute). Les entraîneurs délèguent ainsi une partie de leur enseignement à des spécialistes qualifiés. Le centre emploie, par exemple, un préparateur physique formé à la physiologie liée au sport de haut niveau, qui met en place une planification du travail athlétique associée à des mesures régulières des aptitudes physiques. L’apprentissage des techniques footballistiques connaît lui-même une logique de planification qui s’appuie sur la montée des exigences en matière de qualification sportive. Les formateurs du club élaborent ainsi des programmes annuels, hebdomadaires et quotidiens qui organisent les objectifs pédagogiques et qui sont structurés autour de types de savoir-faire à acquérir.

La performance footballistique, si elle le laisse peu apparaître au moment de l’action, s’appuie donc sur un appareil de plus en plus rationalisé. Parallèlement, la réalisation de tels parcours d’élite exige de la part des jeunes aspirants une grande persévérance dans l’effort. Qu’il s’agisse des façons de jouer et de se comporter sur le terrain ou à l’extérieur de celui-ci, le football est une école qui, tout en maintenant l’ambiguïté propre à un métier de « passion », forme à un sens de l’effort. L’apprentissage dans un tel cadre s’appuie, en effet, sur l’intériorisation de dispositions ascétiques. D’où, par exemple, les injonctions répétées, de la part des entraîneurs, à éradiquer la « facilité » ou le « confort ». De la même manière, l’incorporation d’une culture somatique orientée vers le dépassement physique fait de l’acceptation de la douleur une condition d’accès au métier (Roderick, 2006). La résistance physique comme la résistance psychologique aux privations qu’implique l’engagement intensif (raréfaction des pratiques de loisirs, éloignement fréquent de la famille) doivent être acceptées comme autant de nécessités liées à un parcours d’excellence. Inséparablement, la pratique du football dans cette formation s’appuie sur une discipline des comportements et des dispositions au contrôle de soi. Si l’attention portée par les formateurs à un ensemble de manières d’être (corporelles, verbales, vestimentaires) en est un premier indicateur, la forme de jeu elle-même est structurée par l’importance accordée à la discipline. La manière dont elle est enseignée exclut la débauche anarchique d’énergie ou le relâchement gestuel, elle vise la production d’un jeu « posé », enserré dans une discipline collective qui exige une gestion des efforts et un contrôle émotionnel important. Au final, loin d’une éclosion spontanée, les parcours de ces jeunes athlètes peuvent être décrits comme la rencontre entre une institution de formation méthodique et exigeante et des acteurs sur lesquels peut prendre prise ce travail d’inculcation d’une culture professionnelle et les dispositions sociales qu’elle implique.

La figure du « mercenaire »

Une des dénonciations les plus récurrentes à l’encontre des footballeurs prend pour cible leur mobilité professionnelle, leur « individualisme » et le terme de « mercenaire » connaît un certain succès pour décrire leur attitude. Ce type de discours est dominant dans la description qui est faite des évolutions du marché du travail des footballeurs. Les travaux socio-historiques ont montré, par ailleurs, de quelle manière les footballeurs sont passés d’une situation de forte dépendance à l’égard des clubs, cristallisée dans des formes de contrats très contraignantes (dont les « contrats à vie » ont été l’incarnation la plus exemplaire) à une emprise de la logique du marché. Ce marché du travail a connu un processus d’atomisation dont un des témoins est le déplacement des enjeux des luttes collectives (via le syndicat des joueurs, l’Union Nationale des Footballeurs Professionnels (UNFP)) vers les négociations individuelles entre joueurs et clubs (par l’intermédiaire des agents sportifs).

Dans les discours récurrents sur ces évolutions, la dévalorisation de ces comportements recoupe souvent deux dimensions : le reproche d’un manque d’attachement durable au club et l’accusation d’une motivation strictement financière. Cette image est, par ailleurs, d’autant plus prégnante qu’elle peut s’appuyer sur un sens commun qui fait du sport une affaire de passion désintéressée que l’argent dénaturerait nécessairement. Face à ces propos qui attribuent à l’« individualisme » la mobilité professionnelle des footballeurs, il faut souligner que le rapport des footballeurs au métier et à leur employeur se construit pendant la période d’initiation. Dans le club étudié, la formation donne ainsi lieu à la familiarisation à un mode de régulation qui favorise une forte notion de la carrière individuelle et rend difficile l’attachement durable au club. Si l’apprentissage exige un engagement intensif, il est aussi structuré par le poids de l’incertitude et de la concurrence individualisante qui règnent en son sein. Outre l’incertitude, forte, du débouché professionnel, les joueurs sont insérés dans une formation qui organise une concurrence sélective intense fondée à la fois sur un renouvellement des effectifs (très fort lors des deux premières années, où un quart à un tiers des équipes est renouvelé en fin de saison) et un écrémage progressif. Les joueurs se trouvent engagés dans une course au « temps de jeu », dans laquelle ils s’approprient l’impératif concurrentiel selon lequel « il faut gagner sa place ». Dans ce contexte, les joueurs intériorisent un calendrier d’échéances individuelles et une nouvelle propension à percevoir la pratique en termes de carrière individuelle. Cette dernière est d’ailleurs vécue comme une rupture : ici on travaille « pour soi », voire « chacun pour soi » disent-ils souvent quand ils décrivent les différences principales avec leurs clubs amateurs précédents.

À l’immersion dans cette concurrence s’ajoute leur initiation précoce au professionnalisme. Il faut, par exemple, noter la forte inflation du recours à un agent sportif, recours qui tend à devenir la norme parmi les apprentis (dès l’âge de seize ou dix-sept ans) après l’être devenue chez les professionnels. La grande majorité des apprentis rencontrés (soit environ huit sur dix) s’est liée à un agent [4] et a acquis la conviction qu’il s’agissait d’une relation presque incontournable pour mener à bien son projet. Ces apprentis sont ainsi initiés, au prix d’une délégation auprès d’un intermédiaire, aux prémices d’une gestion individuelle de la carrière et apprennent à la penser en rapport à un marché. C’est ainsi que les apprentis sont amenés à s’approprier une tension qui traverse la définition du métier. D’une part, ils apprennent à se mobiliser dans un effort collectif pour faire face aux exigences de la compétition dans laquelle ils sont appelés à exceller. Mais, d’autre part, ils intériorisent une perception de la pratique comme carrière individuelle, qui se construit dans la concurrence interne et l’insertion sur un marché individualisant et qui rend difficile la production d’un attachement durable au club.

En fin de compte, l’accumulation des données d’enquête à l’intérieur de l’un de ces centres de formation permet de décrire des parcours et un apprentissage qui se distinguent nettement de représentations ordinaires tenaces. Au-delà des espoirs que le football suscite, elle permet de souligner l’incertitude qui affecte ces trajectoires au sein des institutions de formation et à leur sortie puisque le déséquilibre entre la réserve d’apprentis et les débouchés est très conséquent (en 2005 par exemple, on comptabilisait 1960 footballeurs sous contrat, dont environ 47 % étaient des apprentis en contrat de formation). Le mérite de cette approche est également, sans doute, d’obliger à la nuance. C’est particulièrement le cas en ce qui concerne le recrutement social et les parcours scolaires des jeunes aspirants. Si la formation sportive observée a souvent un coût scolaire, le club professionnel réunit un public de jeunes qui ont des passés à l’école très divers. Si les fils des classes populaires restent les plus nombreux, ils sont loin d’accaparer toutes les places de cette élite sportive. Enfin, ces données mettent en exergue le poids des processus sociaux dans des domaines réputés leur échapper. On peut lire ainsi à partir des récits de ces jeunes footballeurs la genèse sociale de la « passion » et du « talent » sportifs.

Dossier(s) :
L’empire du foot

par Julien Bertrand, le 30 juin 2010

Aller plus loin

 Bertrand, J. (2008). La fabrique des footballeurs. Analyse sociologique de la construction de la vocation, des dispositions et des savoir-faire dans une formation au sport professionnel. Doctorat de Sociologie, Université Lyon 2.

 Bertrand, J. (2009). Entre « passion » et incertitude : la socialisation au métier de footballeur professionnel. Sociologie du travail, 51 (3), p. 361-378.

 Faure, J. & Suaud, C. (1999). Le football professionnel à la française. Paris : PUF.

 Fleuriel, S. (2004). Le sport de haut niveau : sociologie d’une catégorie de pensée. Grenoble : PUG.

 Forté, L. (2008), Devenir sportif de haut niveau : approche sociologique de la formation et de l’expression de l’excellence athlétique, Doctorat de STAPS, Université Toulouse.

 Lefèvre, N. (2007). Le cyclisme d’élite français : un modèle singulier de formation et d’emploi, Doctorat de Sociologie, Université de Nantes.

 Ravet, H. (2007), « Devenir clarinettiste : Carrières féminines en milieu masculin », Actes de la recherche en sciences sociales, 168, 51-67.

 Roderick, M. (2006). The work of professional football. A labour of love ? Londres : Routledge.

 Schotté, M. (2005). Destins singuliers. La domination des coureurs marocains dans l’athlétisme français, Doctorat de STAPS, université de Paris X-Nanterre.

 Slimani, H. (2000). La professionnalisation du football français : un modèle de dénégation. Doctorat de Sociologie, Université de Nantes.

 Wagner, I. (2004), « La formation des violonistes virtuoses : les réseaux de soutien », Sociétés contemporaines, n° 56, p. 133-163.

 Wahl, A. & Lanfranchi, P. (1995). Les footballeurs professionnels des années trente à nos jours. Paris : Hachette.

Pour citer cet article :

Julien Bertrand, « La fabrique des footballeurs », La Vie des idées , 30 juin 2010. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/La-fabrique-des-footballeurs

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Notes

[1Faisant suite à un mouvement de grève des joueurs, cet accord est signé entre les différents représentants des acteurs impliqués (joueurs, présidents de club, Fédération française du football (FFF)) et négocié sous l’autorité de l’État. Il a contribué grandement à l’instauration d’un véritable marché du travail professionnel et à l’organisation d’une filière de formation spécifique et institutionnalisée.

[2Même si les enquêtés connaissent mal les diplômes parentaux (ce qui, on peut le supposer, est déjà un indicateur de leur faiblesse), les entretiens révèlent que les trois quart des parents n’ont pas atteint le niveau du baccalauréat.

[3Pour une analyse de la relation entre performance sportive et immigration : SCHOTTÉ, Manuel. 2005. Destins singuliers. La domination des coureurs marocains dans l’athlétisme français, Doctorat de STAPS, université de Paris X-Nanterre, 2005.

[4Pour de nombreux agents sportifs, la formation constitue une zone de recrutement plus « ouverte » que celle des professionnels, alors qu’ils peuvent espérer une rémunération lors de l’éventuelle signature du premier contrat professionnel.

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