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« Ghouta orientale », photo : Adèle Audouy

Entretien International

La Syrie en quête de justice et d’unité
Entretien avec Dima Moussa


par Adèle Audouy , le 18 février


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Avocate, militante féministe et figure de l’opposition syrienne, Dima Moussa plaide pour une transition politique inclusive, l’instauration de véritables institutions démocratiques et la nécessité d’un débat national ouvert à toutes les composantes de la société syrienne.

Dima Moussa est une avocate, féministe et politicienne syrienne, originaire de Homs. Après avoir obtenu des diplômes en génie électrique et en droit aux États-Unis, elle a exercé en tant qu’avocate, tout en s’engageant dans la défense des droits des femmes arabes.

Le déclenchement de la révolution syrienne en 2011 a marqué un tournant dans sa vie, la conduisant à co-fonder le Conseil national syrien et à s’impliquer activement dans l’opposition politique. Elle a rejoint la Commission syrienne de négociation en 2017 et a été nommée membre du Comité constitutionnel en 2019. Elle a également été élue vice-présidente de la Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution syrienne en 2018, puis de nouveau en 2023. Dans ces rôles, elle a plaidé pour un processus de transition politique inclusif en Syrie.

Membre fondatrice du Mouvement politique des femmes syriennes, elle milite pour l’égalité des sexes et la participation des femmes dans la sphère politique syrienne. Son engagement se distingue par une approche féministe et démocratique, prônant une gouvernance démocratique fondée sur la justice, les droits humains et la participation de toutes les composantes de la société syrienne.

Dans cet entretien mené le 8 janvier en marge de la première conférence de presse du Mouvement Politique des Femmes Syriennes à Damas, elle revient sur son engagement politique depuis 2011 ainsi que sur les défis et les espoirs qui accompagnent l’avenir de la Syrie après la chute du régime d’Assad. À ses yeux, l’avenir du pays repose sur le pluralisme politique, le respect des libertés fondamentales et la justice transitionnelle.

Première conférence de presse du Mouvement Politique des Femmes Syriennes
le 8 janvier 2025 à Damas.
Adèle Audouy

La Vie des idées : Dima Moussa, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Dima Moussa : Je suis membre de l’opposition syrienne depuis le début de la révolution, en fait depuis la formation du premier organe officiel d’opposition en 2011, qui était le Conseil National Syrien [1] et dont je suis membre jusqu’à aujourd’hui. J’ai donc traversé toutes ces étapes de la guerre en Syrie, en travaillant également avec la société civile syrienne. En raison de ma formation juridique j’ai aussi aidé, en tant que consultante, certains groupes d’activistes documentant les violations des droits humains, les crimes contre l’humanité et d’autres crimes commis par le régime.

Jobar
banlieue nord-est de Damas – le 19 janvier 2025
Adèle Audouy

Au début de la révolution, j’étais basée aux États-Unis, car ma famille avait dû quitter la Syrie en 1993 également pour des raisons politiques, sous la présidence du père [Hafez al-Assad, NDLR]. Début 2013, j’ai déménagé en Turquie pour me rapprocher de la Syrie en pensant que la chute du régime serait imminente – mais mieux vaut tard que jamais. Depuis, je suis restée en Turquie. Je suis revenue en Syrie pour la première fois fin décembre 2024, quelques semaines après la libération de Damas. Maintenant, je prévois de retourner vivre dans le pays d’ici quelques mois pour y poursuivre mon travail politique.

La Vie des idées : Quelle est la Syrie que vous avez retrouvée en revenant ?

Dima Moussa : D’une certaine manière, elle n’est pas si différente que ça, mais ce n’est pas une bonne chose. De nombreux endroits sont restés exactement les mêmes que lorsque je les ai quittés, il y a 31 ans. Quand un pays ne change pas en 31 ans, cela signifie surtout qu’il a régressé. Bien sûr il y a énormément de destructions, mais ce n’était pas vraiment une découverte. En travaillant au sein de l’opposition toutes ces années, j’étais en contact permanent avec le terrain. J’ai collaboré dès le début de la révolution avec les militants et les réseaux locaux, notamment dans ma région d’origine, Homs, et avec des activistes à Damas. Nous suivions tout en temps réel, nous recevions des informations brutes, des images des bombardements, des destructions. Même si, tant qu’on ne le voit pas de ses propres yeux, on ne peut effectivement pas mesurer pleinement l’ampleur de la situation.

Vieille ville de Damas
le 19 janvier 2025,
Adèle Audouy

La Syrie que j’ai retrouvée est donc un pays épuisé, marqué par une immense destruction et une population exténuée. Le régime a laissé le pays dans un état tel qu’on ne peut même plus parler d’économie. Les gens peinent à survivre ; aujourd’hui, plus de 90 % de la population vit sous le seuil de pauvreté [2]. C’est l’une des priorités majeures à prendre en compte aujourd’hui. En même temps, je ressens aussi une légère amélioration chez les gens. On le voit sur leurs visages : un immense poids semble avoir été levé. Ils sont plus gentils les uns envers les autres. Pendant longtemps, je me demandais pourquoi nous, Syriens, n’étions pas plus bienveillants entre nous. Maintenant je commence à comprendre. Le régime a tout fait pour diviser la population. La méfiance régnait partout parce que l’appareil sécuritaire avait infiltré chaque aspect de la vie quotidienne au point que les Syriens ont cessé de se faire confiance, même entre frères et sœurs. Il y a d’innombrables histoires d’individus ayant dénoncé un membre de leur famille aux services de sécurité pour une simple remarque, ou même un propos qui n’aurait jamais été tenu, simplement parce que c’était le moyen le plus facile de se venger d’un conflit personnel. Si l’on ajoute à cela une situation économique désastreuse, les gens sont devenus nerveux, fatigués en permanence, ils n’avaient plus envie de parler à qui que ce soit.

 La Vie des idées : Vous avez été membre et deux fois vice-présidente de la Coalition nationale des forces de la révolution et de l’opposition syrienne (CNFOR) [3], et souteniez dans ce cadre diverses initiatives depuis l’étranger durant la guerre. Étiez-vous préparée à la chute du régime ? Quelles sont, selon vous, les prochaines étapes, tant pour vous que pour la coalition ? Plus largement, quels sont les principaux défis et priorités pour l’avenir de la Syrie ?

Quartier de Bab Touma
Damas – le 19 janvier 2025
Adèle Audouy

Dima Moussa : Nous avons longtemps travaillé pour assurer une transition politique fluide à travers un processus de négociations. Mais le régime a refusé cette idée depuis 2012, date des premiers pourparlers. Personnellement, j’étais membre de la Commission Syrienne de Négociation [4] et du Comité Constitutionnel [5], et j’ai donc vu de l’intérieur à quel point le régime ne voulait pas de solution. Il refusait de trouver un accord sur quoi que ce soit concernant la Syrie. Nous avons pourtant toujours affirmé que nous ne voulions pas d’une victoire militaire, que nous ne voulions pas que ce régime tombe par des moyens militaires, car cela signifierait forcément davantage de combats, de violence et de pertes humaines.

Finalement, ce qui s’est produit aujourd’hui, c’est bien une victoire militaire. Toutefois, il semble que cela soit surtout le résultat d’une accumulation de frustrations de la part de la communauté internationale et des acteurs régionaux. Le régime a eu plusieurs occasions, notamment celle de réintégrer la Ligue arabe et de normaliser ses relations avec l’ONU et d’autres États, mais il n’a jamais entrepris le moindre geste en retour. Finalement, un effort militaire a donc été nécessaire, mais il ne faut pas voir cette issue uniquement sous cet angle. En réalité, la lutte du peuple syrien dure depuis 14 ans, voire 54 ans. Durant toute cette période, il y a eu un travail politique, un réel engagement de la société civile et des efforts humanitaires considérables. Ce qui s’est produit récemment [la chute du régime le 8 décembre 2024, NDLR] n’est que l’aboutissement de ce long combat où quelqu’un devait, à la fin, concrétiser le changement, et cela a eu lieu.

Un appartement rénové au milieu des ruines dans le quartier d’al-Qosour à Homs
symbole de la lente reconstruction après 14 ans de guerre – le 15 janvier 2025

À présent, nous devons tous travailler ensemble, mais cela ne peut se faire sans tirer des leçons du passé. L’un des problèmes fondamentaux en Syrie a toujours été l’absence de pluralisme politique. L’activité politique était limitée à un seul parti [6], du moins à ceux que le régime tolérait. Cela doit changer. C’est pourquoi nous insistons sur le fait que, pour que la conférence nationale [7] réussisse, elle doit inclure toutes les forces politiques, qu’il s’agisse de partis politiques, de la coalition, ou des indépendants – comme moi. Tous ces groupes doivent participer à ce dialogue national pour garantir une représentation la plus large possible et un positionnement qui reflète la diversité des Syriens et de leurs affiliations. Jusqu’à présent, l’accent a été mis principalement sur les appartenances religieuses et ethniques. Les enjeux politiques sont pourtant bien plus larges et englobent une grande diversité de points de vue sur l’avenir de la Syrie, qui doivent être discutés pour apporter les éléments essentiels au débat.

La Vie des idées : En tant qu’avocate, quel regard portez-vous, d’un point de vue juridique, sur les débats actuels autour de la future Constitution syrienne ? Selon vous, quelles mesures garantiraient au mieux un processus véritablement inclusif ?

Dima Moussa : Avec les membres de la coalition, nous avons acquis une certaine expérience en la matière au fil des ans. J’ai fait partie dès la création en 2019 du Comité Constitutionnel syrien établi sous l’égide de l’ONU. J’étais aussi membre du comité de rédaction qui s’est réuni avec les représentants du régime à huit reprises. Si ces réunions n’ont abouti à rien, car la seule intention du régime était de bloquer systématiquement toute avancée, nous avons néanmoins accompli un important travail préparatoire. Nous avons étudié l’histoire constitutionnelle de la Syrie, l’évolution de la société, de ses besoins, et ce qui devrait figurer dans la Constitution qui permettrait de garantir que ce qui s’est passé il y a 50 ans, lorsque le clan Assad a pris le pouvoir, et ce qui s’est produit au cours des 14 dernières années en termes de violations, ne puisse plus se reproduire. En effet, la plupart de ces violations trouvaient leur origine dans certains pouvoirs accordés par la Constitution elle-même. Aujourd’hui, tout le monde croit que la Syrie est un régime présidentiel en raison du pouvoir considérable détenu par le président. Pourtant ce n’est pas le cas : la Constitution syrienne est en elle-même un système hybride, ni totalement parlementaire ni totalement présidentiel.

Nous avons finalement conçu trois versions d’un possible cadre constitutionnel : un système présidentiel, un système parlementaire et un système mixte. Nous avons également approfondi un sujet qui, selon moi, touche aux racines mêmes des revendications qui ont mené à la révolution en 2011 : les libertés et les droits. Comment les garantir, comment les protéger constitutionnellement sans les laisser au seul pouvoir législatif qui pouvait être contrôlé par le régime ? Le président avait en effet le pouvoir d’édicter des décrets, ce qui signifiait qu’il pouvait légiférer seul.
Nous avons aussi examiné des aspects essentiels pour le peuple, comme la structure des articles relatifs aux pouvoirs militaires et aux prérogatives de l’appareil sécuritaire, car ce sont les principaux outils qu’a utilisés le régime pour réprimer les Syriens. Il est essentiel d’encadrer strictement ces pouvoirs pour éviter que les abus du passé ne se reproduisent.

Jobar, banlieue nord-est de Damas
quartier vidé de sa population après des années de combats et des attaques au gaz sarin en 2013, interdit d’accès depuis 2018 jusqu’à la chute du régime le 8 décembre 2024 – le 19 janvier 2025
Adèle Audouy

La Vie des idées : Vous avez mentionné la question de la pluralité politique. N’y a-t-il pas un risque que cela favorise la montée de mouvements islamistes radicaux, menaçant ainsi l’agenda progressiste défendu durant la guerre ?

Dima Moussa : Personne ne veut d’extrémisme en Syrie. Même Hayat Tahrir al-Cham (HTC) semble avoir compris que l’islamisme radical ne peut pas fonctionner ici. Je sais que certains, notamment en Occident, considèrent la situation syrienne en se focalisant sur le rôle de HTC, considérée comme une organisation terroriste. Mais pour nous aujourd’hui, en Syrie, nous devons voir comment HTC agit concrètement. Ahmed al-Charaa [8] a déclaré qu’il allait dissoudre l’organisation. Les déclarations actuelles semblent envoyer des signaux positifs en affirmant que la Syrie sera inclusive pour tous ses citoyens. Même la conférence nationale dont il parle est annoncée comme étant ouverte à tous – ce qui, à mon avis, explique pourquoi elle a déjà été reportée plusieurs fois. Notre rôle en tant que Syriens et en tant qu’activistes est de veiller attentivement à ce que ces promesses ne restent pas de simples déclarations et qu’elles se traduisent effectivement en actes. Jusqu’à présent, nous n’avons encore rien vu de concret, nous avons même entendu certaines déclarations négatives de la part de plusieurs individus au sein du groupe ou de leur entourage, ainsi que dans le gouvernement intérimaire ou provisoire, qui reste et doit rester provisoire. Mais il est significatif de noter qu’à chaque fois qu’ils ont fait une déclaration, il y a eu des réactions. Les gens ont protesté et se sont exprimés, y compris sur les réseaux sociaux. Cela montre une réaction qui doit être prise en compte.

Ghouta orientale
autrefois un oasis fertile aux vergers nourris par le Barada, a longtemps approvisionné Damas en céréales, fruits et légumes ; bombardée au gaz sarin en 2013 par le régime syrien et assiégée jusqu’en 2018 entraînant des privations extrêmes pour les civils notamment alimentaires et médicales – le 19 janvier 2025
Adèle Audouy

Maintenant, si l’on regarde l’islamisme en général, nous ne pouvons pas exclure préventivement un groupe politique sous prétexte qu’il ne nous plaît pas, ce serait comme décider a priori que ces individus ne représentent personne. À bien regarder les degrés de religiosité et l’importance que certains groupes politiques accordent aux enseignements islamiques, on constate qu’il existe effectivement un segment de la société syrienne qui est assez religieux. C’est ce qui fait que je ne peux pas les exclure, tout comme je demande à ne pas être exclue. C’est d’ailleurs là que j’ai un problème avec beaucoup de pays occidentaux qui viennent aujourd’hui nous demander : « et les minorités ? », « et les femmes ? », etc. Vous savez, en tant que féministe [9], il est souvent arrivé que, lorsque je parle des droits des femmes, on m’accuse d’être influencée par l’Occident, comme si ces idées ne pouvaient être défendues que par l’Occident. Or, ce n’est pas le cas, je défends – avec mes consœurs du Mouvement Politiques des Femmes Syriennes notamment – les droits des femmes parce que nous considérons cette lutte comme juste et nécessaire. Nous ne devrions pas être exclues pour autant, et si je refuse d’être exclue, alors je ne peux pas exclure les autres.

Nous devons donc établir des règles très claires : il est essentiel aujourd’hui d’être ouverts à tout le monde à condition que les programmes, les idéologies et les projets en débats concernent exclusivement la Syrie et ne dépassent pas ses frontières. Et c’est précisément ce genre d’idéologies que portent les membres de HTC que je vise ici.

Quartier de Bab Touma
Damas – le 9 janvier 2025
Adèle Audouy

La Vie des idées : Un des éléments caractéristiques de la Syrie est sa grande diversité ethnique et religieuse. Après des décennies d’une pratique du pouvoir très centralisée mise au profit d’une communauté [10] au détriment d’autres, plusieurs pensent qu’il faudrait à l’avenir accorder une grande autonomie à certaines régions en fonction de leurs spécificités confessionnelles, ce qui suppose une forte décentralisation. Pensez-vous qu’un système décentralisé pourrait mieux garantir la représentation des Syriens et répondre à certains des grands défis actuels du pays ?

Dima Moussa : C’est un débat central, et l’une des questions que nous devons également discuter entre Syriens. Dans chaque système, il y a un certain degré de centralisation et un certain degré de décentralisation. Le débat porte sur l’étendue de la décentralisation que nous voulons pour la Syrie à l’avenir, car le pays a été fortement centralisé. Cela étant dit, la centralisation n’est pas non plus un problème en soi : parfois, un système hautement centralisé peut bien fonctionner. Quel niveau d’autonomie et quelles prérogatives devraient être accordés aux gouvernorats, quelles compétences devraient rester exclusivement centralisées ? Avant tout, je pense qu’il s’agit là d’un sujet qui doit être débattu.

Ghouta orientale, banlieue nord-est de Damas
avec la disparition du régime d’Assad, la Ghouta revient à la vie ; les ouvriers réparent les bâtiments endommagés tandis que les résidents déplacés reviennent s’installer – le 19 janvier 2025
Adèle Audouy

Pour ma part, je considère qu’un équilibre est nécessaire afin d’assurer une répartition des richesses juste et équitable, ce que nous n’avons pas actuellement, notamment en matière de représentation politique. Il nous faut également un certain degré de décentralisation politique garantissant la représentation des différentes composantes de la société syrienne, sans pour autant instaurer de quotas. Aujourd’hui, je ne veux pas de quotas pour les Kurdes, les Arméniens ou les Assyriens, ce qui perpétuerait la logique de division que les Assad, père et fils, ont cherché à ancrer au sein de la société pour mieux asseoir leur pouvoir. Cela signifie aussi qu’il faut impérativement mettre en place un système assurant une juste représentation de tout le monde, par exemple avec des instances locales ou la création de circonscriptions électorales plus petites pour permettre une meilleure représentativité. De toute façon, chaque Syrien que vous interrogez a un avis différent sur ce sujet. Même au sein de la Coalition nationale syrienne dont je suis membre nous n’avons pas encore de position commune sur cette question.

Par ailleurs, certains sujets comme les droits fondamentaux, le rôle de la religion dans l’État et le système politique que nous souhaitons sont des questions très délicates qui suscitent de profonds désaccords. Il est donc indispensable d’en débattre. Mais nous ne pouvons pas non plus nous contenter de les soumettre au seul vote, qui aboutirait inévitablement à une majorité qui prendrait une direction donnée. Parce que ces questions affectent les droits fondamentaux de tous, il est crucial d’aboutir à un consensus le plus large possible où chacun devra faire des concessions. Il faut, à la fin, que tout le monde quitte la table des négociations en ayant le sentiment d’avoir cédé sur certains points, mais d’avoir aussi obtenu des garanties en retour. C’est d’autant plus important qu’aujourd’hui, la Syrie est dans un état désastreux, laissée exsangue par le régime. Et nous ne pouvons même pas encore parler d’une Syrie unifiée ! Il suffit de voir la situation dans le Nord-Est du pays, qui reste en suspens et doit, elle aussi, être prise en compte.

par Adèle Audouy, le 18 février

Pour citer cet article :

Adèle Audouy, « La Syrie en quête de justice et d’unité. Entretien avec Dima Moussa », La Vie des idées , 18 février 2025. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/La-Syrie-en-quete-de-justice-et-d-unite

Nota bene :

Si vous souhaitez critiquer ou développer cet article, vous êtes invité à proposer un texte au comité de rédaction (redaction chez laviedesidees.fr). Nous vous répondrons dans les meilleurs délais.

Notes

[1Le Conseil National Syrien (CNS), fondé à Istanbul en août 2011, était la principale coalition politique de l’opposition syrienne au régime de Bachar al-Assad. Né dans le contexte du soulèvement populaire en Syrie et de la répression sanglante qui s’ensuivit par le régime, il visait à unifier les forces de l’opposition, soutenir les mobilisations et promouvoir un État démocratique et pluraliste. Composé de diverses tendances politiques – islamistes, laïques, nationalistes, libéraux, représentants de minorités ou encore militants des droits humains –, le CNS a rapidement été fragilisé par des dissensions internes, perdant ainsi en influence au profit de la Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution syrienne (CNFOR), créée en 2012.

[2Selon l’ONU, en Syrie, 90 % de la population vit sous le seuil de pauvreté (environ moins de 3$ par personne et par jour).

[3La Coalition Nationale des Forces de la Révolution et de l’Opposition syriennes (CNFOR) a été formée en 2012 à Doha (Qatar) pour unifier les différentes factions de l’opposition au régime de Bachar al-Assad. Soutenue par des acteurs internationaux (notamment les États-Unis, la France, la Turquie et plusieurs pays du Golfe), elle avait pour but de structurer une opposition capable de représenter politiquement la révolution syrienne à l’échelle internationale. Contrairement au Conseil national syrien (CNS), la CNFOR considérait la possibilité de négocier une transition politique avec Bachar al-Assad.

[4La Commission Syrienne de Négociation (CSN) a été créée en 2017 à Riyad pour représenter l’opposition syrienne dans les pourparlers de paix menés sous l’égide de l’ONU. Composée de membres de diverses factions de l’opposition, elle vise à négocier une transition politique en Syrie, conformément à la résolution 2254 du Conseil de sécurité de l’ONU.

[5Le Comité Constitutionnel Syrien, formé en 2019 sous l’initiative de l’ONU et composé de 150 membres répartis entre le régime, l’opposition et la société civile, était chargé de rédiger une nouvelle constitution pour la Syrie. Malgré plusieurs cycles de négociations, il n’a pas abouti à des avancées significatives en raison de blocages politiques.

[6Sous le régime des Assad, la Syrie est dominée par le parti Baas, au pouvoir depuis 1963, qui exerce un monopole sur la vie politique. Après le coup d’État du 16 novembre 1970, Hafez al-Assad a pris la tête du pays et une nouvelle Constitution consacre le Baas comme «  leader de l’État et de la société  », empêchant tout pluralisme politique. L’opposition fut par la suite systématiquement réprimée, la presse muselée, et la société étroitement contrôlée par l’appareil sécuritaire mis en place par le régime. C’est en 2000 que Bachar al-Assad accède à la présidence après un amendement constitutionnel abaissant l’âge minimum requis et contournant les obligations militaires, alimentant ainsi les critiques sur l’instauration d’une «  république héréditaire  ».

[7Après la chute du régime de Bachar al-Assad le 8 décembre 2024, le président syrien par intérim, Ahmed al-Charaa, a annoncé la tenue prochaine d’une «  conférence de dialogue national  » visant à servir de plateforme de discussions entre les différentes composantes de la société syrienne. Il a précisé que cette conférence inclura une large participation de la société syrienne, avec des votes sur des questions telles que la dissolution du parlement et l’élaboration d’une nouvelle constitution.

[8Ahmed al-Charaa, également connu sous le nom d’Abu Mohammad al-Jolani, est le leader de Hay’at Tahrir al-Cham (HTC), un groupe islamiste rebelle en Syrie qui trouve ses origines dans le Front al-Nosra, la branche syrienne d’Al-Qaïda, avant de faire scission en 2016 et fusionner avec d’autres groupes rebelles. En novembre 2024, HTC a conduit l’offensive décisive qui a conduit à la chute du régime de Bachar al-Assad le 8 décembre. À la suite de cette victoire, Ahmed al-Charaa a été nommé président par intérim de la Syrie pour superviser la période de transition. Le 30 décembre 2024, il a annoncé la dissolution de HTC, effective le 29 janvier 2025, et a entrepris des mesures pour établir un conseil législatif temporaire chargé de rédiger une nouvelle constitution.

[9Dima Moussa est notamment membre fondatrice du Mouvement Politique des Femmes Syriennes (MPFS). Fondé en 2017, le MPFS est organisation dédiée à l’autonomisation des femmes syriennes et à leur participation active dans la sphère politique. Il défend une Syrie démocratique et pluraliste avec pour horizon ultime une égalité totale entre les sexes dans les postes décisionnels.

[10La famille Assad est issue du groupe ethnoreligieux des alaouites (ou nosayrites selon l’appellation historique), une branche du chiisme hétérodoxe. Depuis 1970, le régime mis en place par les Assad a consolidé son pouvoir en s’appuyant sur cette composante de la société syrienne, notamment en plaçant des membres de la communauté alaouite à la tête de l’armée et des services de renseignement, et en renforçant l’idée qu’en Syrie le sort de cette communauté était indissociable de celui du régime. Ce déséquilibre, particulièrement marqué au détriment de la communauté sunnite, a nourri de fortes tensions qui se sont radicalement exacerbées après 2011.

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