Contrairement à une idée reçue, les régimes autoritaires ne sont pas les plus à même de réagir face à l’épidémie. La Pologne en fournit l’illustration.
Contrairement à une idée reçue, les régimes autoritaires ne sont pas les plus à même de réagir face à l’épidémie. La Pologne en fournit l’illustration.
Alors qu’au début de la pandémie de Covid-19, la Pologne connaissait une lente progression des contaminations [1], le gouvernement polonais décrétait le 12 mars 2020 « l’état d’épidémie », puis, à partir du 25 mars, le confinement généralisé. En juin 2020, le Premier ministre, Mateusz Morawiecki, maniant la « propagande de succès » avec maestria, annonçait triomphalement que son gouvernement gérait mieux que les autres la crise de la pandémie, puis en décembre [2], que la Pologne « gagnait » la bataille contre le virus. Dans le même temps, dès mars 2020, des mesures drastiques étaient adoptées pour enrayer sa propagation – entre autres, le respect des règles de distanciation sociale, la fermeture des magasins, des restaurants et bars, des écoles et autres lieux de rassemblement, la limitation du nombre de fidèles dans les églises et d’usagers dans les transports publics. Le 15 mars 2020, le pays fermait ses frontières et organisait le rapatriement des Polonais bloqués à l’étranger.
Certes, le gouvernement polonais n’a pas nié le risque pandémique, comme l’ont fait Trump ou Bolsonaro, mais ces mesures, sévères, frôlant parfois l’absurde [3], reflétaient davantage une inquiétude liée à la capacité du système de santé à gérer la pandémie qu’une prise en charge efficace par l’État de la crise et de ses conséquences. En effet, le système de santé polonais est bien mal en point du fait d’un sous-investissement [4] et souffre de l’émigration d’une partie de son personnel médical.
Aussi, la « propagande de succès » du gouvernement polonais et les données officielles sur la progression de l’épidémie doivent être maniées avec prudence d’autant plus que, relativement à sa population, la Pologne a réalisé et réalise toujours peu de tests de dépistage du Covid-19 [5]. Ces chiffres résultent, du moins en partie, du fait que le dépistage n’est pas généralisé, et que des erreurs apparues dans les statistiques journalières [6]. Le gouvernement, dont la cote de popularité n’a cessé de chuter depuis l’automne 2020 [7], est aussi accusé de manipuler les données officielles par l’opinion publique et les opposants politiques. La thèse avancée par certains analystes selon laquelle les régimes autoritaires seraient plus efficaces pour endiguer la pandémie semble pour le moins douteuse. En Pologne, le coronavirus n’a fait que renforcer le discours des national-populistes sur les menaces venant de l’extérieur, dont seuls le repli et la fermeture des frontières pouvaient protéger la nation. La propagande du succès, la sévérité des sanctions pénales pour non-respect du confinement, les instructions aux forces de l’ordre d’utiliser la force contre les manifestations pacifiques de femmes ou d’entrepreneurs pris à la gorge par les mesures de confinement, sont autant d’éléments révélateurs de l’utilisation opportuniste de la crise pour renforcer le régime autoritaire dans le pays.
En Pologne, engagée sur la voie autoritaire depuis 2015, les restrictions du confinement s’ajoutent aux violations des principes de l’État de droit et des libertés publiques commises par le pouvoir national-populiste. Le choc de la crise confortera-t-il le régime polonais et conduira-t-il à un point de non-retour ?
Au pouvoir depuis 2015, les national-populistes n’ont cessé de conduire le pays vers des horizons autoritaires et nationalistes. La pandémie est, pour eux, une opportunité d’accroître leur pouvoir et de restreindre les droits démocratiques. En refusant de déclarer « l’état d’exception », prévue par la Constitution, et qui aurait permis de repousser automatiquement de 90 jours l’élection présidentielle de mai 2020, le gouvernement polonais a opté pour « l’état d’épidémie », introduit par simple décret du ministre de la Santé, le 20 mars 2020, et qui a donné aux autorités un pouvoir arbitraire, sans contrôle des tribunaux administratifs. L’ombudsman polonais, Adam Bodnar, s’en est alarmé auprès du Premier ministre, en lui demandant de recourir aux instruments légaux existants, et insistant sur le fait que les mesures prises pour endiguer la pandémie étaient inconstitutionnelles.
Alors que l’opposition réclamait haut et fort le report du scrutin pour cause de pandémie, le gouvernement, en contournant le parlement et la commission électorale, a tenté d’imposer un vote par correspondance à la date initialement prévue. Et cela, malgré la déclaration de la Cour suprême d’avril 2020, selon laquelle la nouvelle loi électorale portant sur le vote par correspondance violait la constitution, car elle rendait « fictive » l’universalité du suffrage et menaçait le caractère direct et secret du vote [8].
Il était en effet clair que seul le candidat sortant, l’actuel président Andrzej Duda, pourrait mener campagne, profitant à la fois de sa fonction présidentielle médiatisée et des médias publics, totalement inféodés au pouvoir national-populiste. Les autres candidats, soumis aux restrictions du confinement, ne pouvaient bénéficier que d’une couverture limitée et, surtout, biaisée dans les médias proches du pouvoir. Finalement, sous la pression nationale et internationale (OSCE), l’élection a été reportée au 28 juin et au 12 juillet, et a abouti à la victoire attendue du candidat sortant du PiS, Andrzej Duda.
Par ailleurs, face à la progression dans les sondages du candidat de l’opposition démocratique, Rafał Trzaskowski, annonçant un vote très serré, le gouvernement s’est attelé à minimiser l’ampleur de la pandémie. Ainsi, au début de juillet 2020, soit avant le second tour, le Premier ministre a déclaré qu’il « se réjouissait du fait que l’on craignait de moins en moins le virus » et « c’était une bonne approche ». « Il faut aller voter. Tous, surtout les personnes âgées [9], n’ayons pas peur, allons voter », appelait-il. À cette fin, la veille du second tour, alors qu’il était interdit de diffuser tout message de propagande électorale, le Centre gouvernemental pour la Sécurité, qui, d’habitude, avertit via les téléphones portables des situations d’urgence et des conditions météorologiques difficiles, a adressé à tous les usagers un appel au vote qui, en réalité, s’adressait aux personnes âgées de plus de 60 ans et handicapées, les assurant qu’ils auraient la priorité dans les bureaux de vote. Cette alerte fut interprétée par les commentateurs comme une « crypto-propagande électorale » et un exemple de confiscation des services de l’État à des fins partisanes.
D’autres mesures ou lois s’inscrivent dans le dispositif affaiblissant l’État de droit et restreignant les libertés fondamentales, telle l’interdiction imposée au personnel médical et à l’Inspection sanitaire publique d’émettre des avis ou opinions indépendantes » sur la pandémie de Covid-19. Dans ce cadre, par exemple, une infirmière a subi un licenciement disciplinaire, en mars 2020, pour avoir alerté l’opinion publique sur le manque d’équipement de protection dans des hôpitaux. Et le PiS a suspendu certains de ses membres qui s’étaient exprimés publiquement sur le faible niveau de préparation à la pandémie [10].
Ces mesures viennent s’ajouter aux pressions intensifiées des autorités national-populistes sur les médias indépendants, visant à étrangler économiquement la presse critique, à empêcher les journalistes d’enquêter et à « repoloniser » et « déconcentrer » le marché des médias polonais [11]. Selon le classement des Reporters sans frontières 2020 de la liberté de la presse, la Pologne y a enregistré une nouvelle basse, passant de la 22e position en 2013 à la 62e en 2020.
2020 fut une année de chaos juridique et informatif, une année de décisions contradictoires et controversées. De ce fait, à différents moments de la pandémie, les citoyens se sont sentis abandonnés. La première confusion est née de la position équivoque des dirigeants sur le port du masque. Alors que, fin février 2020, le ministre de la Santé assurait que les masques ne protégeaient pas du virus, le 16 avril, l’obligation de se couvrir le visage dans les lieux publics a été promulguée. Entre-temps, la population avait reçu un signal clair que les moyens de protection personnelle pouvaient être négligés. Si, derrière cette stratégie erronée, l’opinion publique a vu la volonté du gouvernement de cacher sciemment la pénurie de masques et l’impréparation des services publics à la pandémie, elle a surtout contribué à alimenter le discours des militants antimasques et autres « coronasceptiques ».
Et cet exemple n’est pas le seul sur la liste d’obligations et d’interdictions qui ont changé au cours de l’année comme dans un kaléidoscope. Ainsi, lorsque le confinement a été institué, dont l’interdiction des promenades dans les parcs et les forêts, les messes et les mariages ont été maintenus. En mai dernier, alors que l’épidémie n’avait pas faibli, on a assisté à la levée progressive des restrictions, puis, en juin-juillet 2020, à l’approche des élections présidentielles et des vacances d’été, à un assouplissement encore plus grand. Avant la Toussaint (très célébrée en Pologne), le Premier ministre a décidé, à la dernière minute (le vendredi après-midi), de fermer les cimetières, alors que la plupart des Polonais, se déplaçant en dehors de leurs lieux d’habitation pour visiter les tombes des proches, étaient déjà sur la route.
La liste de ce type de décisions – soudaines et irréfléchies – est longue. Il en résulte un chaos informatif et la conviction que les autorités agissent par à-coups, à la va-vite, que leurs décisions servent souvent des intérêts partisans et politiques, et ne tiennent pas compte de ceux des citoyens. Parallèlement, le droit à l’information sur l’évolution de la pandémie a été réduit, tout en laissant place aux ambiguïtés et doutes [12]. Et les statistiques quotidiennes nationales et par département ne sont pas non plus claires ; le nombre total de cas diagnostiqués dans tout le pays est souvent inférieur à la somme des données partielles par département.
Bien que la pandémie n’ait toujours pas reculé et que le système de santé polonais continue à peiner sérieusement – la Pologne a enregistré au mois d’octobre une surmortalité d’environ 40 % par rapport à la moyenne des années 2016-2019 –, les national-populistes avancent sans relâche et sans frein sur la voie autoritaire. Pour détourner l’attention de la population de la réalité pandémique, des défaillances du système de santé et des scandales de corruption liés à l’achat de masques et de respirateurs non conformes aux critères de qualité, à des entreprises suspectes [13], le pouvoir en place relance des débats sociétaux controversés, telle l’interdiction totale de l’IVG, la sortie de la Pologne de la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique [14] ou la criminalisation de l’éducation sexuelle [15].
Profitant du confinement et de l’interdiction de manifester, dès avril 2020, le parlement polonais, dominé par les national-populistes, s’est de nouveau penché sur une loi qui visait l’interdiction totale de l’IVG [16] et qui, en 2016 et 2018, avait déjà provoqué des manifestations massives de femmes vêtues de noir, tout en faisant reculer le PiS [17]. Sorti du frigo en plein confinement, le projet de loi « Stoppons l’avortement », préparé par Ordo Iuris, l’organisation non gouvernementale ultra-catholique et fondamentaliste, prévoit de la durcir sévèrement. Le 22 octobre 2020, la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnelle la loi sur l’avortement. En dépit du confinement, les mouvements de femmes ont organisé de nombreuses manifestations dans le pays, rassemblant des dizaines de milliers de personnes. De nombreux activistes et manifestants, femmes et hommes, se sont heurtés à un usage excessif de la force par la police et ont été détenus arbitrairement sans pouvoir consulter d’avocat.
À l’automne 2020, la colère polonaise a été beaucoup plus large et a rassemblé différents groupes sociaux, très hostiles au modèle conservateur et nationaliste promu par le PiS, ainsi qu’à la cléricalisation de la vie publique [18]. Aux revendications de défense des droits de la femme s’ajoutaient celles en faveur de l’État de droit et de l’indépendance de la justice, des droits des personnes LGBTQ, mais aussi en faveur de la défense des secteurs économiques durement éprouvés par la crise sanitaire.
Face à un mouvement populaire d’une ampleur inédite depuis la chute du communisme, le gouvernement polonais a renoncé à publier la décision de la Cour constitutionnelle controversée et donc à la mettre à exécution. Les organisations des femmes et autres ONG de défense des libertés s’attendent à de nouveaux revirements dans ce dossier épineux et lancent, dès le 20 janvier 2021, des appels à de nouvelles manifestations. Puis, finalement, dans la nuit du 27 janvier 2021, cette décision a été publiée dans le Journal officiel, provoquant la colère des femmes et de l’opposition. Les mouvements de défense des droits des femmes parlent de « provocation » et de tentative, de la part du gouvernement, de « cacher son incompétence » dans la lutte contre la pandémie du coronavirus et l’échec du programme de vaccination » tout « en jouant avec la santé et la vie des femmes polonaises ». Désormais, toute IVG est interdite en Pologne sauf en cas de viol ou d’inceste ou lorsque la vie de la mère est en danger.
Face à la montée de la colère dans différents secteurs économiques – hôtellerie, gastronomie, tourisme, transports, grandes surfaces, étranglés par la pandémie et accusant le gouvernement de mal gérer cette crise, l’appel à la désobéissance civile se fait plus large. Plusieurs restaurants et bars, hôtels et salles de jeu ont rouvert leurs portes dernièrement à travers le pays, défiant ouvertement les restrictions du confinement. Avocats et experts avertissaient, depuis longtemps, que la gestion de la crise pandémique par simple décret au lieu de la loi d’exception, prévue par la constitution, mais refusée par le gouvernement, conduirait à une révolte massive et au chaos généralisé. En vain ! Aussi la vague de désobéissance civile à l’échelle nationale n’est qu’une question de temps. En janvier 2021, de nombreux entrepreneurs ont intenté des recours collectifs contre le gouvernement et contesté en justice sa décision de fermer leurs établissements dans le cadre du confinement. Ils annoncent aussi des manifestations dans tout le pays.
Pendant ce temps, le gouvernement reste sourd à la voix du monde des affaires, des collectivités locales et des appels des petites et moyennes entreprises qui ne cessent de l’alerter sur la situation dramatique dans de nombreuses industries et services. Il essaie, au contraire, de faire taire la situation, en se focalisant principalement sur la campagne de vaccination qui, elle, se poursuit très lentement et de façon chaotique, tout en épuisant la patience de la population. L’élaboration d’actes juridiques à la va-vite et les appels du Premier ministre à la « solidarité nationale » risquent de ne plus suffire pour calmer la colère qui gronde, même dans son propre camp. Le constat d’un éditorialiste de droite, jusqu’à peu encore défenseur du pouvoir, en témoigne : « Par ses actions irréfléchies, le gouvernement nous a fait reculer au temps du communisme. Et aujourd’hui, éviter les restrictions absurdes est devenu une vertu civique, comme au temps du communisme. Les dirigeants devraient être jugés pour ce qu’ils ont fait aux Polonais et à l’État polonais depuis mars (2020). Vous pourriez être jugés (...) pour beaucoup de choses : pour la destruction de la Cour constitutionnelle et de nombreuses autres institutions (...) Mais peut-être devriez-vous recevoir la facture la plus élevée pour la gestion de l’épidémie, car nous rembourserons cette dette – financière, sanitaire, économique et commerciale – pendant une décennie, voire plus [19] ».
Si l’exemple polonais de la gestion de la crise pandémique infirme la thèse selon laquelle les régimes autoritaires seraient les mieux à même de réagir à l’urgence sanitaire, il est difficile, à ce stade, d’avancer une hypothèse plausible sur l’ébranlement durable du régime en Pologne. Depuis l’automne dernier, la tendance dans les sondages successifs montre certes un sérieux essoufflement du pouvoir en place et la désobéissance civile prend de plus en plus d’ampleur, y compris au sein de l’électorat traditionnel du PiS. Cela étant, tout régime autoritaire, acculé au pied du mur, tend à se radicaliser pour sauvegarder le pouvoir qui, seul, lui garantit l’impunité pour les violations des droits et règles démocratiques. Aussi, pour l’heure, tout pronostic ne peut-il être que provisoire.
par , le 19 février 2021
Jolanta Kurska, « La Pologne en régime Covid », La Vie des idées , 19 février 2021. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/La-Pologne-en-regime-Covid
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[1] Fin mars 2020, le nombre de cas diagnostiqués s’élevait à 1 051 personnes et était bien plus bas que dans les autres pays de l’UE.
[2] Le nombre de personnes contaminées s’élevait fin novembre 2020 à 990 811 et celui des décès à 17 150.
[3] Comme l’interdiction d’entrer et de se promener dans les forêts, finalement levée suite aux nombreuses protestations.
[4] Selon l’OCDE, en 2018, les dépenses de santé publiques et privées représentaient seulement 6,3 % du PIB du pays, contre 8,8 % en Italie et 11,2 % en Allemagne et en France.
[5] Au 13 janvier 2021, le nombre total de tests réalisés était de 7 792 827, soit 206 027 pour 1 million d’habitants (38 millions d’habitants), loin derrière la France (588 233 pour 1 million d’habitants) ou la République tchèque (490 749).
[6] Par exemple, 22 000 cas de contaminations « perdues » en raison d’un système de transmission de données incohérent ont été ajoutées en novembre 2020 au rapport officiel.
[7] Si, au début mars 2020, 52,5 % de Polonais considéraient que le gouvernement gérait très bien ou plutôt bien la crise, en novembre de la même année, cette tendance s’est inversée à son désavantage : 57 % de Polonais s’en déclaraient insatisfaits.
[8] Il ne s’agissait plus de suffrage universel puisque l’enveloppe de l’électeur devait être comporter le bulletin de vote et une fiche indiquant ses coordonnées officielles. Cette formule risquait en outre de mettre en danger des milliers d’employés des postes ainsi que les personnes en charge de procéder au dépouillement.
[9] Dans cette catégorie d’âge, le PiS a un large électorat.
[10] La Fondation Helsinki pour les droits de l’homme et le réseau citoyen Watchdogs ont appelé au respect de la liberté d’expression, car ces restrictions lors de la pandémie peuvent nuire à la confiance des citoyens, et notamment des patients vis-à-vis de leurs médecins. La Commission de la bioéthique de l’Académie des sciences polonaises s’en est inquiétée aussi, car « aucun pouvoir ne vaincra le virus, si les citoyens ne lui font pas confiance et ne coopèrent avec lui. Et le fondement de cette confiance est l’honnêteté, la vérité et la responsabilité ».
[11] Dans ce cadre, en décembre 2020, PKN Orlen, première entreprise pétrolière polonaise contrôlée par l’État, dont le conseil d’administration est largement dominé par des proches du PiS, a annoncé le rachat du groupe de presse « Polska Press », jusqu’alors propriété du groupe allemand Passauer. Le groupe édite la presse régionale : plus de 20 quotidiens et 150 hebdomadaires régionaux ainsi que 500 portails en ligne. Cette décision a donné matière à de nombreuses controverses car il y a désormais un grand danger que l’État polonais s’immisce dans le travail de la rédaction, et la liberté des médias sera sous pression. La reprise d’un segment aussi important de journaux locaux par une entreprise publique risque de conduire à leur utilisation par le PiS à des fins politiques.
[12] Le 10 octobre 2020, alors que la seconde vague du coronavirus était à l’approche, le ministère de la santé a renoncé à publier dans ses rapports quotidiens l’information sur l’âge, le sexe et le lieu d’habitation des morts du Covid. En novembre, les centres départementaux sanitaires et épidémiologiques se sont vus interdire de publier les données sur les contaminations par district, ainsi que sur les foyers de la maladie et sur la situation pandémique dans leur voisinage le plus proche.
[13] En mars 2020, le ministère de la santé a acheté des masques non conformes aux standards de qualité, à un moniteur de ski proche du ministre de la santé de l’époque, Łukasz Szumowski. Il a également conclu un contrat d’achat de respirateurs à une société polonaise dont le propriétaire avait été soupconné de commerce illicite d’armes. En 2002, le quotidien « Rzeczpospolita » informait que ses nombreuses entreprises étaient soupçonnées de violation de l’embargo de l’ONU sur la vente d’armes à certains pays. De plus cette transaction s’était faite à un prix exorbitant. L’entreprise devait fournir 1241 respirateurs qui, malgré l’acompte versé, n’ont jamais été livrés.
[14] La Convention d’Istanbul, un traité international du Conseil de l’Europe, s’engage à éliminer toutes les formes de violences envers les femmes, y compris la violence conjugale et familiale. Alors que pendant la pandémie les femmes sont confrontées à l’augmentation des violences domestiques, le ministre polonais de la Justice, Zbigniew Ziobro, a annoncé, en juillet 2020, que la Pologne s’apprêtait à sortir de ce traité car il comporterait des « éléments de nature idéologique » « nuisibles », allant à l’encontre des droits des parents, en demandant aux écoles d’enseigner l’égalité homme-femme.
[15] Un projet de pénalisation, porté par Ordo Iuris, et intitulé « Arrêtons la pédophilie ».
[16] L’avortement en Pologne n’est autorisé aujourd’hui qu’en cas de viol ou de danger pour la vie de la femme enceinte, ou de malformation grave du fœtus.
[17] En 2016, ce projet de loi a été initialement proposé à la Diète par Ordo Iuris. Il prévoit une peine de prison allant jusqu’à cinq ans pour une femme qui aurait avorté ainsi que pour les médecins et les infirmiers ayant pratiqué l’avortement. Cette proposition a déclenché la colère des Polonaises et a provoqué la grève générale des femmes en 2016. Des milliers de femmes vêtues de noir sont sorties dans la rue pour défendre leurs droits. Sous leur pression, Droit et justice a reculé et suspendu les travaux sur le projet.
[18] L’Épiscopat et le clergé polonais, de même que les organisations fondamentalistes, telles Ordo Iuris et d’autres mouvements pro-life polonais, sont, depuis 2015, d’importants piliers du pouvoir nationaliste et influencent ouvertement la politique du gouvernement en matière de mœurs – IVG, fécondation in vitro, croisade contre les LGBT+, clause de conscience pour les médecins et les pharmaciens leur donnant le droit de refuser certains actes médicaux ou ventes de certains médicaments, pourtant autorisés par la loi, mais qu’ils estimeraient contraires à leurs convictions personnelles ou éthiques. Compromise dans de nombreux scandales de pédophilie, dont elle cherche à minimiser la gravité, et embourbée dans l’alliance du trône et de l’autel, l’Église catholique perd son autorité morale. Il est désormais clair que la position du catholicisme dissimule de moins en moins un déclin profond des vocations et de la pratique religieuse. Et les actes d’apostasie se multiplient.
[19] Łukasz Warzecha, « La facture pour la pandémie. Pour vous, les gouvernants » [Rachunek za pandemię. Dla was, rządzący], 17 grudnia 2020,