Recensé :
Abdelwahab Meddeb, Sortir de la malédiction. L’islam entre civilisation et barbarie, Paris, Seuil, 2008, 281 p.
L’itinéraire intellectuel de l’écrivain Abdelwahab Meddeb a pris consistance, pour le public non spécialiste, avec La Maladie de l’islam, ouvrage publié quelques mois après le 11 septembre 2001. Cet événement amorce les pages d’une réflexion libre sur les usages et mésusages de la tradition musulmane en notre monde contemporain. Face à l’islam (2004) et Contre-prêches (2006) se présentent comme les deuxième et troisième jalons posés par l’animateur de l’émission radiophonique « Cultures d’islam », traversés par son enseignement en littérature comparée. En empruntant l’image du « pré de malédiction » au présocratique Empédocle d’Agrigente, le quatrième essai d’Abdelwahab Meddeb veut rendre compte tout à la fois d’une angoisse et d’une jubilation, en vue d’une mobilisation : « Face à la volonté des islamistes de bannir le mot même de laïcité, assimilée à l’incroyance, il nous faut intensifier le combat pour le restaurer et légitimer l’action conduite en son nom. Il faut lutter contre l’obscurantisme, la superstition, le fanatisme et l’exclusivisme – pour sauver la peau de l’islam. »
La force du verbe contre la violence des armes
L’angoisse prend l’auteur devant le temps mauvais, habité par les larmes et le sang versés, touchant tous les continents : l’Europe, qui devra vivre avec la marque d’abomination d’Auschwitz, mais aussi, désormais, le cœur arabe des sociétés majoritairement musulmanes. Le plus effrayant pour Meddeb, qui opère des distinctions trop ignorées par les promoteurs de la politique américaine depuis 2000 (« N. Podhoretz et ses amis aveugles », conseillers au sein de l’équipe dirigeante, sont visés), c’est la justification d’actes barbares au nom de l’islam par des « semi-instruits », des « semi-lettrés frustrés », dont les plus radicaux n’ont plus de terre ni de mémoire : « L’islamisme est un fascisme que l’islam peut contrarier sinon vaincre. Malgré la tentation fasciste qui rôde, je ne situerai pas dans le même horizon al-Qâ’ida, l’Iran de la République islamique, le Hezbollah et le Hamas ».
Meddeb n’est pas naïf, les « ignorantins » ne liront sans doute pas ses lignes. Les deux exhortations – « culpabiliser le criminel » et surpasser « la haine » dans l’espace de référence islamique – s’adressent moins aux violents en acte qu’à ceux qui sont susceptibles de trouver des excuses à leur déchaînement, soit tout représentant de « l’islam officiel, qui persiste dans son attitude timorée alors qu’il a désormais le devoir d’affronter la question de la violence légitimée par les sources même de la religion, le Coran, la Sunna ». Sauf exception (Mustafa Cagrici, mufti d’Istanbul, connu pour avoir accordé l’imamat aux femmes et accueilli Benoît XVI à la Mosquée bleue), aucun n’a dénoncé une conception du jihâd qui réduit cette notion à l’action violente en vue de propager la foi musulmane. Les membres de l’Assemblée mondiale des oulémas, vers qui les regards se tournaient au printemps 2006, n’ont pas cru nécessaire de clarifier l’expression du « sacrifice de soi ».
Abdelwahab Meddeb provoque tout autant les responsables politiques des régimes autoritaires, en particulier ceux qui ont accaparé le pouvoir dans l’espace de langue arabe, ceux qui croient avoir éradiqué un mal par la répression, ceux qui ont fait des concessions aux extrémistes dans des champs qui ne mettaient pas immédiatement en question leur pouvoir (l’instruction, la culture, les formalismes cultuels), provoquant la défaite du « mouvement laïc » en Égypte par exemple, ceux qui ont joué sur la haine de « l’ennemi » contre lequel est invoqué le jihâd. Il interpelle enfin « l’expert islamologue » ou le « politologue », bref nombre de spécialistes de l’islam qui, par leurs écrits, ont parfois tendance à simplifier à outrance, et finalement renforcent un « répertoire de médisances, d’humiliations, de jeux de dominations » qui ont des conséquences jusque dans la jurisprudence européenne, au nom de la « political correctness » (ainsi cette juge allemande refusant, au printemps 2007, le divorce demandé par une femme du fait que son mari la battait conformément à sa lecture d’un verset coranique). Face à cette ignorance, ou malveillance, il rappelle que le « legs islamique » possède, dans sa longue histoire, des harmoniques trop souvent oubliées.
La jubilation anime l’auteur lorsque, en hommage à Voltaire, il constate que les « vigilants » n’ont pas baissé pavillon « face à l’infâme », lorsqu’il encourage ces « femmes d’islam » prenant leur destin en main, ainsi celles qui se sont rassemblées à Barcelone en novembre 2006 « pour débattre de la nécessité et de la possibilité de s’emparer de toutes les fonctions par lesquelles s’exerce l’autorité doctrinale, morale ou intellectuelle du magistère coranique. » Aujourd’hui peut-être plus que dans le passé, il est possible de franchir un espace communautaire marqué par une confession de foi, pour témoigner de la richesse vécue au-delà de la frontière reçue : « La pensée libérale et critique ose s’exprimer avec moins de timidité. Et cela commence à se savoir. » Abdelwahab Meddeb se reconnaît une dette à l’égard d’une « modernité », d’une « occidentalisation assumée » qui, pétrie de manquements et de drames, tend vers un idéal sans jamais l’atteindre et cherche à fonder perpétuellement ses formes sur le socle de la liberté de chacun : « Le sujet critique occidental s’est octroyé la possibilité de toucher au tabou, de profaner le sacré, de le dégrader par l’acte qui souille et par l’éloge de la traîtrise infidèle à la croyance commune. Tel est le premier point qui doit être rappelé et sur lequel, personnellement, je ne peux admettre de négociation ni de contestation. »
Intellectuel critique issu d’une famille d’oulémas, « de docteurs théologiques et jurisconsultes », Meddeb assume la tension du « je » choisi et du « nous » hérité, dont rendait déjà compte sa contribution à l’ouvrage collectif Histoire de l’islam et des musulmans en France (Albin Michel, 2006). D’où l’importance accordée à une première partie construite autour de la notion de « devoir de séparation ». L’image du « passeur », du « stalker », vient à l’esprit, bien qu’elle ait été trop souvent galvaudée. La posture est assumée dans les affinités électives : s’il ne fallait retenir qu’un nom, sans doute serait-ce celui de Taha Husayn (1889-1973), ministre de l’Instruction publique égyptienne, le plus grand romancier arabe de son temps, francophile pour qui l’Égypte et l’islam partageaient les mêmes fondements spirituels que l’Europe (cf. Mustaqbal al-Thaqâfa fî Miçr, « L’avenir de la culture en Egypte », 1938), artisan majeur de la commémoration du millénaire d’Avicenne il y a plus d’un demi-siècle (dont le Kitâb al-Shifâ’ ou « Traité de guérison » est trop oublié), mais intellectuel musulman dépité à la fin de sa vie, inquiet de l’orientation du vent soufflant dans la partie du monde dirigée par ses coreligionnaires.
Un préalable est considéré comme nécessaire pour renverser le courant dominant : « briser le tabou coranique ». Meddeb dresse un panorama des dernières recherches conduites par des musulmans (Nahrû ‘Abd aç-çabûr T’ant’âwî, Naçr Abû Zayd, Ömer Özsoy) ou des non musulmans (Alfred-Louis de Prémare, Angelica Neuwirth, Neal Robinson). Il rappelle le caractère contingent du livre établi (muhdith, c’est-à-dire advenu à un moment donné dans un lieu spécifique), il rend compte de l’historicité d’un « statut » qui n’a pas été accordé comme tel dès l’origine : à Bagdad, au IXe siècle, la thèse mu’tazilite se fondait sur le principe d’un « Coran créé ». Il ne s’agit pas pour Meddeb de reprendre les termes des mu’tazilites pour en faire un nouvel article de foi mais, bien au contraire, de tirer les conséquences de la reconnaissance d’une œuvre advenue et non absolue. Dès lors, il devient possible de relire ces paroles, de tenir compte de l’apport de l’exégèse historico-critique, de l’approche philologique, puis de les mettre en contexte, de conserver et valoriser ce qui est susceptible d’avoir dimension pérenne, de couper et retrancher « sa part obsolète, caduque ». Dans l’attente de travaux décomplexés pour réviser nombre de positionnements, depuis la condamnation de l’apostat jusqu’au port du hijâb et du niqâb, en passant par l’attribution d’un « statut particulier privilégié au musulman », Meddeb encourage à utiliser les recherches de non-musulmans. Il ne succombe pas à une naïveté qui laisserait croire que ces auteurs sont tous affranchis d’intentions apologétiques, mais il fait crédit à nombre d’entre eux. Ainsi accorde-t-il un développement élogieux à la proposition de lecture de la sourate « al-Mâ’ida » par Michel Cuypers [1] pour montrer combien une lecture coranique selon la « rhétorique sémitique » est susceptible de bouleverser une lecture littéraliste tant sur le plan des prescriptions alimentaires, que sur celui des rapports avec les non-musulmans : le verset 51 « prend une dimension d’hostilité militante dans la lecture intégriste, qui situe les juifs et ceux qu’elle appelle les "croisés" dans le lieu de l’ennemi irrévocable, irréconciliable. Alors que, dans l’interprétation qui découle de la technique rhétorique, ce sens ne correspond qu’à la conjoncture de la naissance de l’islam, où une religion nouvelle cherche à trouver sa place dans l’espace d’une révélation monothéiste jalousement gardé par les fidèles des deux croyances antérieures. Le sens ultime de la sourate ouvre à une "théologie des religions" qui conduirait à admettre la cohabitation des trois alliances jusqu’à la fin des temps ».
L’hypothèque d’un Coran « porteur d’une parole divine inaltérée » étant levée, celle du hadîth (recueil des gestes et dits du prophète de l’islam) étant mise à distance du fait de l’incertitude historique pesant sur nombre de ces récits – selon la démonstration de Gamal El-Banna –, Meddeb dénonce à la fois l’écart entre deux ensembles normatifs – celui d’un droit considéré comme « divin » et celle du droit dit « positif » –, et l’écart entre « le normatif » et « le factuel » qui affaiblissent les sociétés majoritairement musulmanes par refus de se confronter avec le réel. C’est un tel refus qui permet, par exemple, de placer comme clef de voûte de l’édifice constitutionnel chiite iranien le principe d’autorité du juriste-théologien (welayat al-faqîh). Pour bâtir un « État minimal, pragmatique », un « État éclairé et décidé », Meddeb invite à remettre en question la sharî’a, afin de grever cette loi dite « divine » en lui appliquant la maçlaha – l’utilitas en milieu latin, en d’autres termes l’intérêt et le service du bien commun –, qui subordonne à la raison éclairée, sans cesse discutée, tout principe hérité.
La portée de cette proposition est double. Dans un premier temps, les juristes au service d’États marqués par des constitutions qui se réfèrent à la fois aux « droits de l’homme » et à la sharî’a doivent reconnaître publiquement la schizophrénie qui les habite. Dans un second temps, ils doivent reprendre le chantier ouvert dans la première moitié du XXe siècle par des spécialistes égyptiens, appuyés par l’école française du droit, pour tenter d’élaborer de nouveaux concepts et de nouvelles pratiques juridiques, afin d’éviter de recourir à la ruse qui consiste à dire que la règle est la sharî’a pour la contourner dans ses applications. Dans ces États marqués par la colonisation européenne (Maroc et Tunisie), ou reconfigurés par les récentes occupations militaires américaines (Afghanistan et Irak), il importe d’assurer des droits fondamentaux : liberté de conscience individuelle (donc droit à l’apostasie), égalité juridique de l’homme et de la femme, liberté et égalité de tous les citoyens. Les ressources propres à la tradition musulmane existent pour assumer une distinction entre « loi religieuse (propre à la personne) » et « règle politique (engageant l’autre) ». Des penseurs – observateurs de leurs contemporains tout autant que bons connaisseurs du droit de leur temps et de logiques formulées hors contexte musulman –, tels le philosophe al-Fârâbî (IXe siècle), Mâwardi (XIe siècle), Averroès (XIIe siècle) Ibn Khaldûn (XIVe siècle), ou Muhammad ‘Abduh (mort en 1905) peuvent servir de point de passage et permettre de procéder par étapes pour familiariser les mentalités au changement à opérer… jusqu’à rêver d’un « dépassement de ce rite consenti au sang versé et à la chair dépecée » lors de l’aïd al-Kebir.
L’hégémonie du penseur libre au risque de ses limites
De toute évidence, les propos d’Abdelwahab Meddeb fourniront matière à ses contempteurs traditionnels pour renforcer les accusations de collusion avec un monde occidental perçu sous les traits de l’impérialisme, du relativisme et de la dépravation morale. Les partisans, dans le conflit proche-oriental, dénonceront le renvoi dos-à-dos du « terrorisme d’État » israélien et du « terrorisme en quête d’État » palestinien, les pudibonds pousseront de hauts cris contre la poésie exaltant « le breuvage interdit » et les mesquins ne manqueront pas de traquer les erreurs factuelles (on en trouve toujours : à titre d’exemple, Cuypers n’est pas dominicain !) pour dévaloriser le point de vue.
Laissons ces critiques pour nous situer sur un autre registre. Meddeb emploie des formules discutables sur la « manière d’être arabe » par opposition à « la discipline germanique ou nippone » ou sur les « masses arabes » (alors qu’on n’a jamais parlé de « masses irlandaises » y compris lorsqu’une foule a lynché deux policiers britanniques en civil). Il assimile trop vite la réaction européenne dans l’affaire « des caricatures de Mahomet » à une défense de « la liberté d’expression ». Il reconnaît la « faillite […] totale » de « l’aventure américaine en Irak » mais, sans réserve, continue à en soutenir le principe au nom du « droit d’ingérence » d’un « État démocratique puissant » ; il dénonce les mensonges de « l’information arabe » mais tait les mensonges de nature analogue qui traversent « l’information » en Europe ou sur le continent nord-américain. Sans nier les responsabilités européennes dans les crimes du XXe siècle, il fait sans doute la part belle au progrès moral de « l’humanité » au cours de l’histoire. L’auteur revient en détail sur la controverse de Ratisbonne à la suite de laquelle il avait co-publié un ouvrage avec Jean Bollack et Christian Jambet [2], mais, sauf erreur, il ne commente pas la « lettre ouverte de 38 Savants Musulmans à S.S. le Pape Benoît XVI ». S’il est possible de le suivre pour dire que « les gens dont la croyance repose sur la Bible ont enclenché un processus historique d’investigation critique qui les a aidés à neutraliser la violence, à la dépasser comme attribut divin », cela n’est plus le cas lorsqu’il affirme sans réserve : « le christianisme s’est débarrassé de ses propres démons et déviances pour retrouver l’éclat de la lettre ». Si, enfin, on peut comprendre la logique qui conduit à demander le « suspens du jihâd en raison du désastre éthique que signifie la mort d’une masse d’innocents », notion qui vient se nicher jusque dans le recoin d’une oraison célébrée dans le cadre de « l’islam populaire », on se demande où pourrait s’arrêter ce qui deviendrait vite une police des mots, puisque le concept de shahîd (« martyr »), comme bien d’autres notions, devrait subir un sort identique.
Au vrai, l’essentiel est ailleurs dans le propos de Meddeb. La question de la « vérité » n’est pas abordée sous l’angle de sa définition métaphysique, elle est présentée comme la résultante d’un constat historique et social, elle veut s’appuyer sur une interprétation coranique. Aucune tradition n’est close sur elle-même, aucune société ne peut prétendre a fortiori avoir été forgée par une tradition exclusive, y compris au Maghreb fécondé par le judaïsme bien avant l’islam, ainsi que le rappelle Meddeb dans un vibrant hommage à Paul Sebag (1919-2004). Nulle religion ne peut prétendre à une « essence » globale qui lui épargnerait le recours à ce qui ne viendrait pas d’elle, à une structure définitive qui la condamnerait à l’immobilisme, à un universalisme absolu qui aboutirait à l’anéantissement de ceux qui n’en sont pas. La triple affirmation étant posée, il faut apprendre à vivre avec l’altérité, non seulement en dépit de celle-ci mais, bien plutôt, grâce à celle-ci : « Le musulman doit admettre une fois pour toutes qu’il n’est pas porteur d’une vérité entière, complète, inentamée, exclusive, lui épargnant l’arpentage d’autres parcelles du monde où se recueille le vrai. Comme n’importe quelle autre vérité, celle des musulmans n’est pas le tout, elle n’est pas définitive et elle est loin d’être indépassable. […] Personne n’a l’exclusivité de l’origine ni du mot de la fin. La marche vers la vérité exige un cheminement infini, sans cesse renouvelé. Les musulmans y participent en mettant en jeu leur propre vérité, par émulation avec celle des autres. »
Puisque il n’y a pas de religion pure, puisque des chrétiens comme des musulmans ont, par exemple, repéré des fils reliant les écrits mystiques d’Ibn ‘Arabî et de Jean de la Croix ou de Thérèse d’Avila, puisque que juifs (Sa’diya Gaon, Maïmonide) et chrétiens (Thomas d’Aquin, Jean Bodin, Thomas Hobbes) ont également eu « à penser la loi du politique en lien avec le divin, les uns privilégiant la part du révélé, les autres celle du rationnel », Meddeb engage à ne pas craindre de reconnaître des formes d’emprunts, donc de recourir à ceux-ci. La « tradition islamique » porte une part « à la fois grecque et christique », écrit-il, avant d’ajouter qu’elle serait bien inspirée de s’appuyer sur la séparation évangélique entre religion et politique, aux origines du christianisme (mais non pas ses déclinaisons post-IVe siècle qui ont produit le césaro-papisme comme la monarchie dite de droit divin, représentée ici par un Frédéric II de Hohenstaufen organisant son couronnement au Saint-Sépulcre en 1229). Puis il lance, dans un mouvement parallèle, provocateur : « Qu’est-ce que l’islam sinon l’universalisation facile du judaïsme, accompagnée de l’obligation d’affronter la difficulté du particularisme juif perpétué, en tant qu’accès possible à l’universel ? »
Sans s’attarder sur les implications d’une telle adresse, notre promeneur continue à vaquer dans les bibliothèques de la pensée humaine (Platon, Kant, Bataille ou Deleuze, al-Thawrî, Hakîm Tirmidhî ou Ibn ‘Arabî qui connaissait lui-même des écrits d’Empédocle, sans oublier Hafîz et Goethe). Il s’en sert pour imaginer deux dépassements vers un « horizon cosmopolitique », dont les contours pourraient faire écho à la parabole des trois anneaux, relatée dans la pièce de Lessing, Nathan le Sage : « Il n’est de convivium possible entre les trois prétentions exclusives à l’Alliance authentique qu’à travers le dessaisissement de la plénitude que procure la double jouissance de l’origine et de la vérité. » Le premier dépassement, qui implique la reconnaissance d’un espace laïque, consiste à valoriser un « logos élargi », « une raison universelle puisant dans d’autres manières de penser, qui ne soient pas seulement celles héritées de l’organon grec – au reste dépassé avec la critique de l’aristotélisme que développa la logique moderne en Occident même ». Le second dépassement, qui implique une reconnaissance réciproque et entière des religions, doit permettre de prolonger dans d’autres lieux, telle la mosquée-cathédrale de Cordoue, le geste d’Assise posé par Jean Paul II en 1986, et plus profondément encore de forger une « théologie des religions » non plus seulement à partir de la Bible mais également en se fondant sur le Coran. Gageons, cependant, que les « savants » de l’islam ne sont pas prêts à remettre en question, sans réaction, des habitus séculaires. Gageons qu’ils ne sont pas prêts à se soumettre sans discussion, eux comme bien d’autres, à l’ordre de Nietzsche posant le principe de l’hégémonie du philosophe et de son esprit libre à l’égard de la religion « pour mettre en œuvre une politique pratique », combiné avec le souhait de voir émerger « un surhomme s’édifiant dans la construction d’une morale au-delà du bien et du mal ». Le débat mérite, également, d’être ouvert en ce point vital.