Le 4 janvier 2007, Keith Ellison, élu au Congrès sous la bannière du Parti démocrate, a prêté serment sur un exemplaire du Coran. Il est le premier représentant américain à agir de la sorte. Pour ce musulman pratiquant, ceci n’a rien que de très normal. Mais il a eu conscience que tout n’allait pas de soi, puisqu’il a adressé aux Américains le message suivant : « Il ne faut pas avoir peur des différences religieuses. » En dépit de ces paroles engageantes, le geste de Keith Ellison a été jugé blasphématoire par la droite conservatrice, pour qui les élus ne doivent se référer qu’à la Bible.
La prestation de serment d’Ellison constitue un symbole, mais la réaction outragée à laquelle elle a donné lieu est, elle aussi, très significative. L’une et l’autre semblent révéler une même réalité : la communauté musulmane américaine gagne en visibilité. Certains s’en réjouissent tandis que d’autres le déplorent ; mais, ce faisant, tous les regards convergent. L’Amérique aurait-elle attendu le 11-Septembre pour découvrir ses musulmans ?
Une présence ancienne
Introduit par les esclaves africains dès le XVIIe siècle [1], entretenu par les descendants des Maures espagnols réfugiés en Caroline du Sud ou en Floride, l’islam est présent sur le sol américain depuis des siècles. Mais c’est à partir de la fin du XIXe siècle que cette présence prend une forme institutionnelle, avec l’arrivée de nombreux immigrants originaires du Levant, de Palestine ou d’Albanie. La plus vieille mosquée d’Amérique du Nord se trouve à Cedar Rapids dans l’Etat d’Iowa : elle fut bâtie entre 1929 et 1934, au milieu de la Grande Dépression, à l’initiative d’un groupe de sunnites libanais.
Le mouvement Nation of Islam, fondé au milieu des années 1930 et repris en mains par Elijah Muhammad, s’adresse principalement aux Noirs dans le cadre de la lutte pour l’égalité raciale. Soutenu puis critiqué par Malcolm X et le propre fils de Muhammad, il décline avec la dérive raciste et antisémite de son leader Louis Farrakhan [2] ; le tout nouveau député Keith Ellison s’est d’ailleurs excusé d’avoir milité pendant dix ans au sein de ce mouvement. À partir de 1965, l’assouplissement des lois sur l’immigration attire des centaines de milliers de ressortissants du Moyen-Orient. Des associations musulmanes voient le jour, comme la Muslim Students’ Association (1963), l’American-Arab Anti-Discrimination Committee (1980), l’Islamic Society of North America (1981) et l’American Muslim Council, un lobby créé au milieu des années 1980 et basé à Washing-ton.
L’intégration des musulmans dans un pays chrétien comme les États-Unis suscita des débats dès la deuxième moitié du XXe siècle [3], la grande question étant de savoir si les musulmans pouvaient s’« américaniser [4] », c’est-à-dire se fondre harmonieusement dans le melting pot célébré par Israël Zangwill à la veille de la Première Guerre mondiale. Pourtant, jusqu’aux attentats du 11-Septembre, la communauté musulmane était restée plutôt discrète ; c’est dans le sillon de la « guerre contre le terrorisme » qu’on observe une multiplication de rapports et d’études sur l’islam en Amérique. Dans The North American Muslim Resource Guide, publié en 2002, Mohamed Nimer estime ainsi qu’en Amérique du Nord, 25 % des musulmans sont originaires d’Asie du Sud, 23% du monde arabe, 10 % d’Afrique subsaharienne, 10 % d’Iran et 6 % de Turquie, tandis que 14 % descendent d’esclaves déportés d’Afrique (cf. l’encadré p. 59). Différentes enquêtes dressent le portait d’une communauté relativement riche et plus diplômée que la moyenne. Une étude menée par l’université de Cornell en avril 2002 montre que les musulmans américains sont principalement étudiants, ingénieurs, médecins et informaticiens ; inversement, ils sont sous-représentés dans les métiers de la presse et de l’édition, dans l’industrie cinématographique et dans les professions libérales. Mais les statistiques suscitant le plus de commentaires sont d’ordre démographique : aux États-Unis, la communauté musulmane compte à peu près sept millions de personnes, ce qui la rend comparable à la communauté hispanique au début des années 1980. Avec un taux d’accroissement annuel de 6 % (contre 0,9 % pour l’ensemble des États-Unis), ce chiffre pourrait être doublé d’ici à 2014.
Ces études, qui se combinent avec une floraison d’« Islamic Studies » dans les universités, traduisent un sentiment dominant : qu’on le veuille ou non, l’islam fait désormais partie du décor. Comme le disent les Américains, « they are here to stay ». Originellement cantonnés dans les métropoles industrielles, les musulmans vivent aujourd’hui aussi bien dans le Sud profond que dans les petites villes de la Prairie. Ils ont des écoles, des centres sociaux, des commerces, des associations et des groupes de pression. En 2003, on comptait ainsi plus de 1 200 Islamic Centers offrant, en plus d’un espace de prière, des services sociaux, des stands de vente, des clubs de loisirs, des activités sportives et des lieux de rencontre. Une Islamic American University propose aux jeunes et aux adultes d’étudier la charia, la linguistique ou les sciences, avec un diplôme à la clé. Des sites Internet donnent des conseils en ligne pour conformer sa vie aux préceptes du Coran, combattre les addictions ou encore se garder des biens de consommation de l’« Amérique impérialiste ». Ce genre de constat pourrait n’avoir qu’une valeur sociologique mais, dans la conjoncture du 11-Septembre, il a fait irruption sur la scène publique avec une force peu commune.
Les scènes de la vie musulmane
Le livre de G. Abdo, Mecca and Main Street, en atteste avec éclat : cette journaliste, auteur de livres sur l’islam en Égypte et en Iran (mais elle-même non musulmane), a sillonné le pays pour visiter mosquées, écoles, centres sociaux et stations de radio. Son livre, comme un journal de bord, décrit des scènes de la vie musulmane : le mariage arrangé d’une adolescente de quinze ans d’origine yéménite, une enclave islamique dans le fin fond du Michigan avec sa mosquée et ses épiceries, les activités du leader du « Réseau d’action musulmane dans les quartiers » de South Chicago, la naissance d’un hip hop musulman dont les paroles empruntent au Coran et à la Sunna, le parcours de la jeune présidente de la Muslim Students’ Association qui joue au football avec son voile, etc. Ces pages, mélange de « choses vues », de considérations historiques et de propos d’actualité, forment-elles une monographie sur une religion dynamique parmi les dizaines que comptent les États-Unis ? Derrière les tranches de vie, le propos a bien sûr une visée politique. Comme le précise d’emblée le sous-titre du livre, il s’agit de découvrir « la vie quotidienne des musulmans aux États-Unis après le 11-Septembre ».
Car les nouveaux périls planétaires ont suscité une batterie de questions angoissantes. Qui sont ces voisins aux côtés desquels les Américains vivaient sans y prêter attention ? Ce couple tranquille de Saoudiens dissimule-t-il une cellule dormante d’Al-Qaïda ? Pourquoi est-ce la religion musulmane qui progresse le plus vite aux États-Unis ? À l’heure où l’obscurantisme, l’intolérance et l’antisémitisme sont en pleine résurgence dans le monde musulman, l’islam est-il soluble dans la liberté américaine ? Au début du XXe siècle, les immigrants juifs et catholiques étaient sommés de se plier à un idéal d’« anglo-conformity ». Dans les années 1960, intellectuels et journalistes se demandaient comment insérer les Noirs dans la société américaine. Aujourd’hui, les musulmans sont la nouvelle cible de ces exhortations.
Mais des débats ont aussi lieu au cœur de l’Islam américain, condamné à vivre dans l’ombre du 11-Septembre. Il n’est pas évident d’être musulman alors que la « guerre contre la terreur » bat son plein, ni d’être jugé à l’aune de valeurs qui ne sont pas les siennes. Pour un musulman américain, quelle identité chérir ? Doit-on rester lié à sa nationalité d’origine, qu’elle soit yéménite, palestinienne ou pakistanaise, faut-il communier dans une foi universelle au sein de la Oumma ou suffit-il de plaquer sur le rêve américain un « islamic lifestyle » ?
La réponse à ces questions est peut-être déterminée par le sentiment de rejet que les musulmans américains ressentent. Au cours de ses voyages, Geneive Abdo s’est aperçue que « le 11-Septembre a dramatiquement altéré la manière dont les musulmans vivent dans ce pays ». En 2004, près de la moitié des Américains estimaient que l’islam est la religion la plus susceptible de promouvoir la violence ; plus d’un tiers en avait une mauvaise opinion. Pour Geneive Abdo, cette réaction est d’autant plus désolante que beaucoup d’Américains ignorent tout de l’islam et du Coran : « Certains parlent des musulmans comme s’il s’agissait d’une espèce étrangère. »
« L’ennemi intérieur »
Mais les faits sont là : beaucoup décrivent l’islam comme une religion congénitalement violente et intransigeante. En 2002, le télé-évangéliste Jerry Falwell déclarait sur CBS que le prophète Mahomet était « un terroriste ». Daniel Pipes, chroniqueur prolifique, auteur de plusieurs livres sur l’islam et notamment de Militant Islam Reaches America (2002), s’est fait une spécialité de dénoncer les menées des activistes musulmans. Dès novembre 2001, dans Commentary, il alertait ses compatriotes sur le « danger intérieur » que représente l’islam militant. Il y décrivait les musulmans comme des factieux tramant de noirs desseins contre leurs hôtes : « La population musulmane dans ce pays n’est semblable à aucun autre groupe, parce qu’elle comprend une proportion substantielle de personnes – beaucoup plus nombreuses que les agents d’Oussama Ben Laden – qui partagent avec les pirates de l’air la haine de l’Amérique et le désir ultime de la transformer en une nation soumise aux restrictions de l’islam militant. »
L’inquiétude de Daniel Pipes ne s’est pas dissipée avec le temps, bien au contraire. Sur son blog, en août 2006, il réclamait des « mesures de sécurité vis-à-vis des musulmans occidentaux », dans la mesure où l’identité du prochain djihadiste suicidaire ne peut être devinée à l’avance. En octobre 2006, la proposition d’un aéroport américain lui a donné une nouvelle occasion de se faire entendre : il était question que les chauffeurs de taxi musulmans opérant à l’aéroport de Minneapolis soient dispensés, par un système de code lumineux placé au-dessus de leur véhicule, de prendre en charge les passagers porteurs d’alcool. Dans un article publié sur le site conservateur FrontPageMagazine.com, Daniel Pipes s’est insurgé contre cette volonté d’instaurer la « loi islamique dans le Minnesota ». En suscitant l’ire de lecteurs américains, anglais et australiens, cette intervention énergique a fait échouer le projet. Pipes s’en félicite : « Les islamistes doivent comprendre que c’est la Constitution qui régit les États-Unis, pas la charia [5]. »
Pour montrer que sa guerre contre le terrorisme ne vise pas l’islam, l’administration Bush a multiplié les marques de politesse à l’intention de la communauté musulmane. Le 17 septembre 2001, lors d’une visite dans une mosquée, le président Bush déclarait que « l’Amérique compte des millions de citoyens musulmans et que les musulmans apportent une contribution extrêmement précieuse à notre pays ». Quelques jours plus tard, la Maison Blanche invitait un haut dignitaire musulman, le cheikh Hamza. Depuis, George Bush n’a cessé de rappeler que la très grande majorité des musulmans étaient des « gens originaires », que les terroristes n’étaient pas de vrais musulmans, qu’ils avaient pris en otage non seulement des citoyens innocents, mais l’islam lui-même.
Mais s’échiner à vouloir discerner les « bons » musulmans des « mauvais » [6] a-t-il un sens ? Pour Geneive Abdo, beaucoup « veulent croire que les Américains peuvent faire la distinction entre le militant islamiste profilé par Fox News et le paisible musulman qui vit dans la maison d’à côté ». Daniel Pipes lui-même n’en disconviendrait pas : musulmans et islamistes n’ont rien à voir. Mais on peut aussi penser que, au-delà des apparences, ces déclarations ont pour effet de fragiliser la communauté musulmane dans son ensemble. Au demeurant, ce type d’insinuations n’a pas toujours visé l’islam. Toute l’histoire des États-Unis est ponctuée de brusques poussées de nativisme, qui érigent certaines communautés –les Irlandais, les Juifs, les Japonais, les Noirs – en repaires d’ennemis et de traîtres.
Déclarations de loyauté
Il reste que les musulmans d’Amérique se sentent observés, montrés du doigt. Les associations se sont mobilisées pour combattre les préjugés qui pèsent sur eux. Le Council on American-Islamic Relations (CAIR), un groupe de pression installé à Washington, a lancé une campagne de sensibilisation intitulée « Islam in America » et conçue pour endiguer la vague de rhétorique antimusulmane. Il tente en outre d’alerter l’opinion au sujet des dérives de la législation « patriotique » de Bush et des excès de zèle de la police aux frontières, par exemple quand des touristes musulmans sont arrêtés par erreur. La Muslim American Society, qui se définit comme une association religieuse, charitable et culturelle, s’efforce à la fois de promouvoir l’islam comme « un mode de vie total » et de récuser ceux qui présentent les musulmans comme des éléments « séditieux, dangereux et totalement incompatibles avec la vie américaine [7] ».
Parallèlement – et ceci montre que les musulmans sont entrés nolens volens dans l’ère du soupçon –, les associations affichent publiquement leur loyauté nationale. Au lendemain du 11-Septembre, des dizaines d’associations musulmanes ont publié des communiqués condamnant les actes terroristes commis au nom de l’islam. En 2005, le CAIR et plus de 120 associations musulmanes ont apporté leur soutien à une fatwa contre le terrorisme et l’extrémisme décrétée par un conseil de jurisprudence islamique. Ce texte rappelait que « l’islam condamne strictement l’extrémisme religieux et l’usage de la violence contre des vies innocentes. Il n’y a aucune justification dans l’islam pour l’extrémisme ou le terrorisme. Prendre pour cible la vie de civils et les biens par le biais d’attentats suicides ou de toute autre attaque est haram [interdit] et ceux qui commettent ces actes barbares sont des criminels, non des martyrs. »
À travers le pays, de nombreux musulmans donnent des gages de patriotisme en arborant la bannière étoilée à leur fenêtre ou en chantant « God Bless America » en public. Plus largement, les associations musulmanes s’activent comme n’importe quel groupe de pression, ce qui permet à la fois de maximiser leur influence et de prouver que l’islam ne s’exprime pas par la violence. En novembre 2004, à la veille des élections, le CAIR a donné des consignes pour s’inscrire sur les listes électorales, aller voter, mener des enquêtes sur les comportements électoraux des musulmans et, plus généralement, être « politiquement actif » afin de bâtir des coalitions avec des groupes qui partagent des valeurs communes.
Une modernité musulmane
Individuellement, les musulmans américains sont dans le doute. Doivent-ils, comme on le leur suggère avec insistance, s’adapter aux standards de la société américaine ? Irshad Manji, auteur du best-seller international The Trouble with Islam, fait partie de ces experts qui ont émergé après le 11-Septembre. Lesbienne revendiquée, favorable à Israël et à la politique américaine au Moyen-Orient, elle déclare vouloir transformer l’islam en une religion progressiste, féministe, compatible avec les valeurs de tolérance prônées par l’Occident. Mais, pour la plupart des musulmans, elle ne fait que dire aux Américains ce qu’ils veulent entendre ; il n’est pas du tout certain qu’un « islam américanisé » emprunte la voie hétérodoxe et permissive, nimbée d’un petit parfum de scandale, qu’Irshad Manji a tracée à l’usage des médias. Il n’est pas évident non plus que les musulmans américains fassent leur révolution en embrassant les valeurs d’un islam consumériste et gentrifié, perméable aux injonctions du marketing et des charities, sorte de coach pour parvenir à la réalisation de soi [8]. Quant à l’islam activiste d’un Farrakhan, obsédé par la race et ouvertement hostile aux Blancs, il appartient au passé.
L’islam américain contemporain se dote d’autres figures, d’autres ambitions. L’arrivée aux États-Unis de musulmans originaires du monde arabe et asiatique à partir de 1965 a déplacé son centre de gravité : désormais, il entretient moins de rapport avec l’histoire de l’esclavage et la mémoire afro-américaine qu’avec le sunnisme d’Arabie saoudite, d’Égypte ou du Pakistan. Ceci explique qu’il soit moins contestataire et plus sensible aux questions de doctrine, moins ancré dans l’histoire nationale et davantage ouvert sur le monde (islamique). Le modèle du musulman après le 11-Septembre, c’est celui qu’offre le père de famille travailleur, immigré dans les années 1960 mais éduqué et intégré, respectueux de son voisinage mais élevant ses enfants dans la fidélité au « vrai » islam.
Au gré de ses déplacements, Geneive Abdo a découvert « une communauté dynamique et active » capable de nombreuses adaptations locales, signe que la vitalité de l’islam n’empêche pas des compromis avec la société environnante. Selon elle, les jeunes « peuvent considérer que leur identité islamique est plus importante que leur identité américaine, mais cela ne signifie pas qu’ils rejettent ce que l’Amérique a à offrir. Au contraire, les jeunes musulmans américains pourraient constituer la première communauté islamique au monde susceptible de régler ce qui est perçu comme un conflit entre le monde musulman et l’Occident. » Dans la mesure où les enfants des immigrés musulmans assument l’héritage de deux civilisations, il est inutile de prétendre réformer l’islam américain : il est d’ores et déjà « moderne », c’est-à-dire adapté au monde libéral qui est le sien.
À la lumière de ces constats, peut-on dessiner l’avenir des musulmans d’Amérique ? La question du terrorisme islamiste, qui inquiète tout un chacun et obsède l’administration Bush, est paradoxalement la plus facile à régler, dans la mesure où toutes les associations musulmanes, faisant assaut de patriotisme, ont condamné sans ambiguïté les agissements de la nébuleuse Al-Qaïda. Il est aisé de constater, d’autre part, que les premières victimes de la terreur islamiste dans le monde et notamment en Irak sont des musulmans. Depuis les révolutions de la fin du XVIIIe siècle, la loyauté de certains citoyens est régulièrement mise en cause lors des guerres ; ces crises de confiance ont été surmontées avec le retour à la normale.
Il est vrai que, comme l’observe Geneive Abdo, les jeunes musulmans se reconnaissent de plus en plus dans une « attitude de rejet » qui les conduit à privilégier leur engagement musulman au détriment de leur identité américaine. Mais cette manière d’opposer deux appartenances laisse entendre que les États-Unis seraient menacés de l’intérieur par une « cinquième colonne ». Certes, les jeunes observent les pratiques religieuses plus fidèlement que leurs parents, ils étudient le Coran et portent le voile plus souvent. Mais Geneive Abdo note significativement qu’ils manifestent un esprit critique par rapport aux recommandations de l’imam, souhaitant comprendre les dogmes de la foi avant de les appliquer dans leur vie quotidienne. De toute façon, dans un pays comme les États-Unis, observance religieuse et loyauté nationale ne s’opposent pas, tant s’en faut ; les membres de l’administration Bush ont parfaitement su conjuguer le fondamentalisme chrétien et le patriotisme. Par-delà le conflit au Proche-Orient et la « guerre contre la terreur », on peut tout à fait imaginer que traditionalistes chrétiens, juifs et musulmans coexistent en bonne intelligence, unis dans la défense des valeurs familiales et le refus de l’avortement.
Il est donc probable que, tout comme les Islamic Centers ont essaimé dans le Midwest, l’islam rigoriste trouvera sa place dans la mosaïque religieuse américaine. Plus visible, plus respecté peut-être, il pourra conserver sa spécificité tout en adoptant des références culturelles communes ; tel semble d’ailleurs être le destin de l’« Amérique post-ethnique » prophétisé par David Hollinger [9]. En revanche, l’entrée en politique des musulmans, à travers des lobbies et des leaders comme Keith Ellison, ne peut que donner davantage de poids à l’islam, voire pousser l’Amérique à manifester une forme de solidarité avec certaines communautés musulmanes, qu’elles vivent en Palestine, en Irak ou ailleurs.
Article tiré de La Vie des Idées (version papier), n°20, mars 2007