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Essai International

Dossier / La Démocratie dévoyée

Élections à vendre ?
Le financement des partis politiques en Grande-Bretagne


par Emmanuelle Avril , le 14 octobre 2020


La Grande-Bretagne a légiféré tardivement sur le financement des partis politiques. Avec une faible part d’argent public et des sources variées de fonds privées, ce système est accusé de favoriser les grands donateurs et les extrémismes. Ces critiques invitent à repenser un système plus juste.

En Grande-Bretagne comme ailleurs, l’argent et la politique entretiennent des rapports difficiles. D’un côté, il est évident que dans une démocratie représentative, les partis politiques ont besoin de ressources, notamment financières. Ils doivent notamment mener des campagnes électorales très onéreuses pour faire connaître leurs programmes aux électeurs. D’un autre côté, ce fonctionnement est fortement discrédité, les partis politiques se voyant accusés de confisquer le débat public et d’être soumis à l’influence opaque de leurs soutiens financiers [1].

La question du financement des partis a un impact déterminant sur la perception que les citoyens ont de la vie politique et à ce titre, elle participe au sentiment croissant de défiance diagnostiqué dans la plupart des démocraties libérales. Les électeurs ont le sentiment que le pouvoir de financer les campagnes électorales permet à certains individus ou groupes de peser de manière disproportionnée sur le débat démocratique, voire de le fausser complètement. Bien que cette méfiance ne soit pas un phénomène nouveau et que l’idée même d’une crise de confiance fasse débat aujourd’hui, les enquêtes mettent en lumière un malaise croissant de la population vis-à-vis du financement de la vie politique [2], que les injonctions de transparence semblent paradoxalement aggraver [3].

Dans ce contexte de désaffection des électeurs vis-à-vis des élites politiques, il est donc particulièrement important d’éclairer cet angle mort du fonctionnement des partis politiques que constitue leur financement. Comment et par qui les activités des partis sont-elles financées ? Quels sont ceux qui sont en position d’influencer leurs lignes politiques, notamment au moment des élections ? Enfin, comment réfléchir à des modes de financement justes, éthiques, et adaptés aux besoins réels du système démocratique ? Si les principaux partis s’accordent sur la nécessité de renforcer le cadre législatif entourant leur financement pour redorer leur blason aux yeux de l’opinion, ils divergent quant aux modalités pratiques des réformes.

Un cadre législatif tardif

Jusqu’en 2001, les dons aux partis politiques britanniques se faisaient en toute opacité, à la fois parce que les partis n’étaient soumis à aucune obligation de déclarer l’identité de leurs donateurs et en raison de l’absence de plafonnement des dépenses de campagne. La Grande-Bretagne s’est alignée tardivement sur la législation en vigueur dans les autres pays européens suite à une série d’accusations de corruption dans les années 1990. Les plus importantes furent sans doute le scandale dit « cash-for-question » de 1994 impliquant la société de lobby Ian Greer, accusée d’avoir versé de l’argent à deux parlementaires conservateurs en échange de questions au parlement au bénéfice de l’un de ses clients, le propriétaire du magasin Harrods, Mohamed Al-Fayed, et l’affaire Ecclestone (voir encadré). Le retentissement de ces scandales conduisit les différents partis à s’accorder sur la nécessité de mieux réguler le financement de la vie publique et à la mise en place de la Commission parlementaire Neill dont les recommandations donnèrent lieu, en février 2001, à la nouvelle Loi sur les partis politiques, les élections et les référendums et à la création d’une Commission électorale indépendante et impartiale. Le rôle de la nouvelle Commission était de garantir l’équilibre entre financements publics et privés, et de contrôler les montants perçus par les partis politiques ainsi que leurs dépenses électorales.

La nouvelle loi avait trois objectifs précis : assurer que les partis disposent d’un financement suffisant pour pouvoir fonctionner correctement ; limiter le volume des dons émanant de sources inappropriées (lors de la campagne électorale de 1997, le parti conservateur avait été soupçonné d’avoir accepté des dons de la part d’individus basés à l’étranger) en rééquilibrant les financements publics et privés ; et contribuer à une meilleure égalité des chances de victoire des partis. La Commission est aujourd’hui composée de 9 membres nommés par la Reine sur proposition du parlement, dont 3 sur les conseils des trois principaux partis aux Communes (conservateurs, travaillistes et libéraux démocrates) pour un mandat de 4 ans renouvelable une fois et 1 qui représente tous les autres partis, pour un mandat de 2 ans [4]. Cette composition « hybride », qui résulte d’un amendement voté en 2009 visant à ajouter des membres disposant d’une expérience « directe » de la politique en réponse à l’accusation que la Commission n’avait pas conscience des réalités du terrain des campagnes électorales [5], remet en question le principe initial d’une Commission non partisane.

L’affaire Ecclestone

En 1997 éclate le premier scandale à éclabousser le parti travailliste de Tony Blair, six mois après son arrivée au pouvoir, lorsqu’est révélé le fait que Bernie Ecclestone, patron de la Formule 1 et ancien pilote automobile, avait bénéficié des faveurs du gouvernement Blair. Le secteur de la Formule 1 s’était en effet vu exempté de la loi interdisant la publicité pour le tabac de 2002 qui visait à mettre le Royaume-Uni en conformité avec la directive européenne en la matière. Le parti fut forcé d’admettre qu’Ecclestone lui avait versé un million de livres pendant la campagne. Tout en continuant d’affirmer qu’il avait agi en toute bonne foi, Tony Blair présenta ses excuses publiques à la télévision. Le parti dut en outre restituer l’argent suite à sa condamnation par deux commissions parlementaires qui démontrèrent que le Premier ministre travailliste avait bel et bien menti au Parlement pour dissimuler son implication, alors qu’il était intervenu personnellement quelques heures après avoir rencontré Ecclestone, demandant à ses collègues du ministère de la Santé de trouver un moyen d’accorder une « dérogation permanente » à la Formule 1.

Plus concrètement, la nouvelle loi oblige les partis à déclarer les dons reçus chaque semaine pendant la période qui sépare la dissolution du parlement et le jour du scrutin. Elle fixe également un plafonnement des dépenses pour tous les types d’élections. Les règles fixées par la Commission électorale [6] imposent un plafond de 30 000 livres sterling par parti et pour chacune des 650 circonscriptions et des plafonds de dépenses annuelles par parti et par élection. [7]. Mais si la Commission est censée jouer un rôle clé dans la protection du système démocratique, elle manque néanmoins d’outils de coercition, car les amendes qu’elle est en droit d’imposer sont peu dissuasives.

En outre, le système britannique, contrairement à ce qui existe aux États-Unis par exemple, interdit l’utilisation de la publicité politique à la radio et à la télévision, qui sont soumises à une exigence d’impartialité. Les partis politiques sont simplement autorisés à diffuser un nombre limité de spots de campagne et le temps d’antenne qui leur est alloué dans les émissions est strictement réglementé afin de garantir une visibilité équilibrée des partis.

On le voit, ces mesures visent d’une part à assurer une plus grande transparence dans les comptes financiers des partis, et d’autre part à tenter de rééquilibrer les grosses disparités observées entre partis en termes de dépenses de campagne, avec un avantage très net pour le parti conservateur sur ses rivaux. Il est intéressant de noter que ce deuxième objectif établit un lien de causalité entre l’accès à un volume de ressources supérieur à la moyenne et le fait de remporter les élections. Le besoin même de légiférer sur le financement des partis repose ainsi sur l’idée que plus un parti ou un candidat investit d’argent dans une campagne, plus il a de chances de l’emporter.

Des sources de financement variées et contestées

Sur les trois principaux types de financement dont bénéficient les partis britanniques – dons, cotisations et financement public – les dons constituent la source la plus importante et la plus contestée. Comparés aux autres partis européens, les partis britanniques dépendent en effet beaucoup plus lourdement des dons émanant de gros donateurs privés [8].

C’est le cas de la dépendance financière du parti travailliste à l’égard des syndicats, bailleurs de fonds historiques du parti, régulièrement pointée du doigt dans les médias, ainsi que des liens entre le parti conservateur et le monde de la finance. Plus récemment, les commentateurs se sont inquiétés de l’origine opaque et douteuse du financement de la campagne en faveur du Leave : en 2018 les comptes du chef d’entreprise Arron Banks ont fait l’objet d’une enquête criminelle après qu’il a été révélé qu’il avait probablement versé plus de 8 millions de livres sterling à la campagne du Leave en 2016, ce qui fait de lui le plus grand donateur de la vie politique britannique, et dont on soupçonne par ailleurs qu’il entretient des liens étroits avec la Russie.

Le financement public

L’idée communément admise qu’il n’existe pas de financement public des partis politiques en Grande-Bretagne n’est pas tout à fait exacte. S’il est vrai que les campagnes électorales ne reçoivent pas de fonds publics, les partis britanniques bénéficient, depuis 1975, d’une subvention appelée « Short money », octroyée aux partis d’opposition ayant obtenu deux sièges ou bien un seul siège avec plus de 150 000 voix aux élections législatives. Ce financement permet de couvrir les frais administratifs et de déplacement dans le cadre des activités à la Chambre des Communes, ainsi que les frais afférents aux missions du chef du principal parti d’opposition. L’engagement du gouvernement travailliste, embarrassé par le scandale Ecclestone (voir encadré), à renforcer le soutien public aux partis pour réduire l’influence des donateurs privés s’est traduit en 1999 par une réévaluation majeure des montants des sommes versées, recalculés chaque année en avril. À compter du 1er avril 2018, l’allocation versée aux partis concernés s’élevait à 17 673,65 livres sterling pour chaque siège remporté aux dernières élections, à quoi s’ajoutent 35,30 livres par tranche de 200 voix obtenues. Ainsi, en 2018-19, le parti travailliste a bénéficié de 7,8 millions de subventions publiques au titre de « Short Money » et d’un peu plus de 600 000 livres au titre de « Cranborne Money » (dispositif introduit en 1996 pour les activités effectuées à la Chambre des Lords).

Il reste qu’au total, les partis politiques britanniques ne reçoivent que 22 % de leurs revenus annuels sous forme d’aides publiques, ce qui les place très en dessous de la moyenne européenne qui se situe à 67 % (et s’élève même à 74 % au Danemark et à 87 % en Espagne).

Le financement privé

Le paysage du financement privé des partis montre des situations très hétérogènes, puisqu’il comprend des sources aussi variées que les cotisations des adhérents, les fonds versés par les syndicats, ou les dons émanant d’individus ou de groupes. Les cotisations donnent un fort avantage au parti travailliste, qui compte actuellement près d’un demi-million d’adhérents après la vague massive d’adhésions qui a accompagné l’ascension de Jeremy Corbyn à la tête du parti à partir de 2015, tout en désavantageant les conservateurs qui en comptent 180 000.

Il faut souligner que le poids des cotisations dans les finances du parti travailliste avait été renforcé par les réformes internes de 2014, justement destinées à réduire la dépendance financière du parti à l’égard des syndicats. Ces réformes visaient en effet notamment à encourager les membres des syndicats affiliés au parti (dont les plus importants sont UNITE, soutien indéfectible de Corbyn et de la candidate à sa succession Rebecca Long-Bailey, et UNISON), jusqu’alors adhérents indirects, à devenir adhérents directs à part entière (quoiqu’à un taux réduit). Ainsi, alors qu’au début des années 2000, environ 80 % du financement du parti provenait des syndicats, cette proportion a été réduite de moitié, ce qui n’empêche pas le parti d’être toujours présenté dans les médias comme étant à la solde des syndicats.

En comparaison, les dix principaux donateurs du parti conservateur lui ont versé plus de 36 millions de livres sterling depuis 2001, soit plus de 10 % de l’argent récolté depuis cette date. Bien que le parti travailliste bénéficie lui aussi des largesses d’individus fortunés (les débuts de la période Blair ayant été particulièrement fastes à cet égard), le fait que la plupart des sommes reçues par les conservateurs émanent de quelques donateurs versant des centaines de milliers de livres chacun vaut à ces derniers l’accusation d’être sous la coupe d’une poignée de milliardaires.

Selon les règles de la Commission électorale, un don est « une somme d’argent, un bien ou un service donné à un parti sans contrepartie d’une valeur supérieure à 500 livres » et doit faire l’objet d’une déclaration précisant le nom et l’adresse du donateur. Il en résulte une image très incomplète puisque la source des micro-dons, comme ceux recueillis par les travaillistes, ne peut pas être identifiée. Lorsque le montant des sommes versées par un individu dépasse 7 500 livres par an, le nom du donateur est rendu public. De plus, seules les personnes enregistrées sur les listes électorales (citoyens britanniques ou citoyens irlandais, européens ou des pays du Commonwealth installés au Royaume-Uni) sont autorisées à faire des dons, afin d’éviter toute interférence de l’étranger.

Le montant global des sommes ainsi versées aux partis politiques a crû considérablement au cours de la dernière décennie. Pendant l’année qui a précédé les élections de mai 2015, les partis politiques ont reçu un total de 100 millions de livres sous forme de dons, ce qui en a fait les élections les plus chères de l’histoire du pays, avec une augmentation très nette par rapport aux élections précédentes (44 millions en 2005 et 72 millions en 2010) [9]. Cette tendance s’est poursuivie lors des élections anticipées de 2017 qui ont vu les partis récolter 40,1 millions en seulement trois mois. Lors des élections de 2019, les partis britanniques ont reçu 30,7 millions de livres de dons supérieurs au seuil de 7500 dont près des deux tiers (63 %) sont allés au seul parti conservateur [10] soutenu par des individus favorables au Brexit. C’est en effet le parti conservateur qui a bénéficié le plus de l’augmentation des dons privés depuis 2010, ce qui traduit le souci des intérêts financiers de maintenir les conservateurs aux commandes après dix années dans l’opposition (en 2015, les sondages avaient donné le parti travailliste gagnant et depuis 2016, c’est la perspective du Brexit qui a dopé les donateurs).

Une culture des gros donateurs nocive pour la démocratie

La part extrêmement réduite de financement public pousse les partis à courtiser des individus et des organisations susceptibles de les financer, voire à chercher des moyens de contourner les règles. Une telle dépendance à l’égard des grandes fortunes n’est pas très saine pour la démocratie. Une étude comparative a montré que les partis qui reçoivent une plus grande proportion de dons ont tendance à adopter des positions plus extrêmes sur les questions socio-culturelles. Les campagnes de juin 2017 et décembre 2019 témoignent de ce phénomène, avec d’un côté un parti conservateur financé par des individus et des organisations pro-Brexit, comme la société JCB, liée à l’industriel pro-Brexit Anthony Bamford, qui a versé 1,1 million de livres au parti, le don le plus élevé, et de l’autre côté un parti travailliste dont la ligne politique a été dominée par le radicalisme du syndicat UNITE, son plus gros donateur (4,1 millions de livres en 2017). Tout cela indique que les donateurs sont en position d’orienter les politiques publiques dans une direction qui leur est favorable [11].

Ce type de distorsion a été rendu particulièrement visible lors d’un événement de collecte de fonds qui s’est tenu en janvier 2018, et où Theresa May s’est trouvée confrontée à ce qui a été décrit comme une « révolte des donateurs » : un quart des cinquante donateurs présents ont fait pression pour qu’elle accepte de quitter son poste de Premier ministre dès qu’un accord commercial serait négocié avec l’UE. Une telle anecdote est révélatrice de la nature du pouvoir au Royaume-Uni, où une poignée de grosses fortunes achètent un accès direct aux ministres et peuvent ainsi s’assurer que leur point de vue soit entendu [12]. Le potentiel d’influence d’un petit groupe de donateurs est une source d’inquiétude quant au fonctionnement démocratique du pays. Ainsi Boris Johnson (et la campagne du Leave plus généralement) s’est vu accusé de bénéficier du soutien de fonds spéculatifs, les fameux « hedge funds » [13], ce qui expliquerait son enthousiasme à promouvoir le modèle économique ultralibéral communément baptisé « Singapour-sur-Tamise ».

Vers un système plus juste ?

Les réformes proposées par les différents groupes qui font campagne pour un assainissement du système de financement des partis politiques, tels que l’Electoral Reform Society ou Unlock Democracy, visent deux objectifs principaux et complémentaires : d’une part, limiter la proportion des dons, et d’autre part, augmenter la part du financement public [14].

Il n’y a actuellement pas de limite fixée aux sommes qu’un individu ou un groupe peut verser à un candidat ou à un parti. Le plafonnement du montant des dons serait un outil assez simple à mettre en place, à condition de trouver le bon équilibre. En effet, si le plafond est trop élevé, comme c’est le cas en Espagne (100 000 euros, soit 72 000 livres), l’impact ne sera guère perceptible. Mais si le plafond est trop bas, comme aux États-Unis (2 600 dollars, soit 1 717 livres), les partis auront recours à d’autres méthodes, et le problème risque d’empirer. En effet, le plafonnement des dépenses au niveau des candidats et des circonscriptions tel qu’il existe aujourd’hui n’empêche pas que ces règles soient susceptibles d’être contournées : ainsi, en 2015, les conservateurs ont dépassé le montant des dépenses autorisé dans leurs sièges cibles en tirant parti des vides juridiques de la législation.

Par ailleurs, le développement des nouvelles technologies induit une porosité entre le niveau local et le niveau national [15]. Par exemple, les règles strictes qui ont cours dans l’audiovisuel ne s’appliquent pas aux publicités sur les réseaux sociaux, que les partis ne sont pas tenus de comptabiliser. Lors de la campagne des législatives de 2017, les partis ont consacré 42,9 % de leurs dépenses de publicité aux plateformes en ligne (les conservateurs ont dépensé 2,1 millions de livres en publicité sur Facebook, contre un demi-million pour les travaillistes). Étant donné que les partis consacrent une part toujours croissante de leur budget de campagne à la publicité en ligne, le régulateur devra trouver un moyen d’intervenir aussi dans ce nouvel espace.

Un plafonnement des dons permettrait donc de limiter partiellement les disparités de financement entre les partis, mais cela devrait être complété par une augmentation du niveau du financement public des partis pour s’assurer que ces derniers puissent tout de même remplir leur rôle correctement tout en contrebalançant les pertes de revenus, ce à quoi les gouvernements conservateurs – et de coalition – s’opposent depuis 2010 dans un contexte de restrictions budgétaires. Le contexte politique qui fait suite à la victoire décisive des conservateurs le 12 décembre 2019 est donc peu favorable à de telles réformes, d’autant plus qu’un financement direct des partis risquerait d’être mal perçu par le contribuable.

L’argent qui émane des grosses fortunes est donc source de distorsions dans le système politique britannique : ces gros donateurs, qui alimentent sans limites les caisses des partis politiques, parfois en contournant la législation, sont en effet en position d’influencer indirectement les décideurs en toute opacité – voire directement comme lorsqu’ils se voient offrir un siège à la Chambre des Lords. La voix des citoyens ordinaires s’en trouve ainsi complètement submergée. Cette perception d’une captation de la vie politique par les plus riches est nocive à plusieurs égards, notamment parce qu’elle est susceptible de conduire à un rejet du système politique de la part de l’ensemble de la population et de déboucher sur des populismes, comme on le voit aujourd’hui avec le succès de Boris Johnson.

Même si le financement des partis est un élément crucial du système, puisqu’il permet de lui assurer une certaine stabilité, l’ensemble des partis politiques souffrent d’une mauvaise image dans les médias et l’opinion du fait de leur dépendance à l’égard de sources de financement susceptibles de pervertir le fonctionnement démocratique normal. Ainsi, même si le garde-fou législatif entre l’argent et la politique est plus robuste en Grande-Bretagne qu’il peut l’être aux États-Unis par exemple, il est clair qu’une réforme du système de financement des partis politiques britanniques doit faire partie des réponses apportées à la défiance citoyenne.

Il est vrai que, comme cela a été le cas des différentes réformes visant à « moraliser » la vie publique, l’obligation faite aux partis de déclarer les dons supérieurs à un certain montant a eu pour effet de mettre en lumière la dépendance des partis à l’égard de leurs plus gros donateurs. La perception de l’intégrité du système ne s’est donc paradoxalement pas améliorée avec l’obligation de transparence, bien au contraire. Pour autant, les partis politiques continuent de constituer l’un des principaux moyens par lesquels les citoyens peuvent participer à la vie démocratique. Le rétablissement d’un lien de confiance entre les citoyens et les partis réclamerait donc une modification profonde des pratiques de ces derniers.

par Emmanuelle Avril, le 14 octobre 2020

Pour citer cet article :

Emmanuelle Avril, « Élections à vendre ?. Le financement des partis politiques en Grande-Bretagne », La Vie des idées , 14 octobre 2020. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Elections-a-vendre

Nota bene :

Si vous souhaitez critiquer ou développer cet article, vous êtes invité à proposer un texte au comité de rédaction (redaction chez laviedesidees.fr). Nous vous répondrons dans les meilleurs délais.

Notes

[1Voir par exemple «  UK party funding : no cash, no democracy  », openDemocracy, 24 novembre 2011.

[2C’est le cas par exemple des enquêtes réalisées par l’Electoral Reform Society.

[3Elise Uberoi, «  Political party funding : controversies and reform since 1997  », House of Commons Briefing Paper, Mars 2016, p. 4.

[4Les candidatures proposées font l’objet d’une évaluation par un panel indépendant qui rend ses conclusions au Président de la Chambre.

[5Peter Wardle, Rapport de la Westminster Foundation For democracy and the UK’s elections experience, 2019, p. 19.

[6The Electoral Commission, UK Parliamentary General Election 2019 : Political Parties (GB & NI).

[7The Electoral Commission, Guidance for political parties UKPGE 2019, p. 8.

[8Mathew Laurence, «  Political inequality : Why British democracy must be reformed and revitalised  », IPPR Report, 2014.

[9Samuel Jones et Sam Van der Staak, «  How to fix UK political party finance  », Democratic Audit, 25 juin 2015.

[10Lucas Audickas, «  General Election 2019 : Which party received the most donations  ?  », House of Commons Library, 24 janvier 2020.

[11Andrey Tomashevskiy, «  Does private money increase party extremism  ?  », Journal of Elections, Public Opinion and Parties, août 2019 (en ligne).

[12Darren Hughes, «  The ’Donors’ Revolt’ Against Theresa May Proves Money Still Rules the Roost in Politics  », The Huffington Post, 1er février 2018.

[13Owen Walker, «  Hedge fund managers back Boris Johnson’s leadership campaign  », Financial Times, 6 juillet 2019.

[14Jessica Garland, «  Deal or no deal. How to put an end to party funding scandals  », Electoral Reform Society, février 2015.

[15Justin Fisher, «  Party Finance  », Parliamentary Affairs, vol. 71, n°1, mars 2018, p. 171–188.

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