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Recension Économie

Dossier / Les défis de l’écologie

Mieux répartir les coûts de la politique climatique

À propos de : J. Tirole, Politique climatique : une nouvelle architecture internationale, La Documentation française.


par Thierry Bréchet & Henry Tulkens , le 7 décembre 2009


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Le rapport de Jean Tirole sur la politique climatique mondiale propose une rénovation de l’architecture mise en place à Kyoto. Il ouvre en particulier des pistes pour accroître la participation des pays à l’effort de réduction des gaz à effet de serre. Des mécanismes de compensation, tels qu’une attribution généreuse de droits à polluer, permettrait notamment une participation plus importante des pays émergents.

Recensé : Jean Tirole, Politique climatique : une nouvelle architecture internationale, rapport du Conseil d’Analyse Économique, Paris, La Documentation française, 2009.

Sans être un brûlot, le rapport commandité par le Conseil d’Analyse Économique à Jean Tirole sur la question des politiques climatiques n’en jette pas moins quelques pavés dans la mare, pour ne pas dire dans le marasme ambiant. Il constitue une lecture revigorante à la veille de l’échec annoncé du sommet de Copenhague. L’objet de cette recension est de motiver le lecteur non seulement à lire le rapport Tirole, mais aussi à s’intéresser à la question climatique et à tenter d’y contribuer.

Les enjeux économiques de Copenhague

Intitulé Politique climatique : une nouvelle architecture internationale, ce rapport porte la marque de son auteur, directeur de l’École d’économie de Toulouse et spécialiste des questions de régulation et d’incitations notamment. L’un des principaux problèmes associés au changement climatique est l’absence d’un régulateur mondial capable de mettre en œuvre une politique efficace. Nous sommes donc face à un problème de déficience d’incitations. La question du changement climatique est par ailleurs caractérisée par sa dimension de long terme (posant des questions d’équité intergénérationnelle) et la forte incertitude qui lui est associée (engendrant une méconnaissance des options de réduction d’émission et des impacts futurs). Ces trois caractéristiques ne sont pas indépendantes. Le rapport Tirole les couvre toutes les trois, non seulement par les apports de l’auteur lui-même, mais aussi par la contribution bienvenue de compléments et de commentaires. Le rapport commence par étudier les questions les plus générales (2. « À la recherche de l’efficacité », 3. « La négociation et la compensation ») et termine par les questions d’implémentation locale (5. « L’efficacité à chaque niveau de subsidiarité »), en passant par une question inquiétante pour beaucoup ces temps-ci (4. « Et si Copenhague échouait ? »). Le lecteur pressé trouvera dans le chapitre 1 un résumé, tandis que le dernier chapitre propose une « Feuille de route ».

La conférence de Copenhague de décembre 2009 doit donner une suite au Protocole de Kyoto. Loin d’être un échec, comme beaucoup l’avancent, ce dernier a été un succès. Qu’autant de pays développés se soient engagés légalement à réduire leurs émissions, et qu’ils y soient parvenus, relève en effet du miracle [1]. Ce miracle va-t-il se reproduire à Copenhague ? Pour Jean Tirole, le contraste est saisissant entre les objectifs ambitieux de certains gouvernements, notamment de l’Union européenne, et l’avancement des négociations internationales préliminaires à la conférence : faut-il y voir la chronique d’un échec annoncé ? L’auteur tente d’imaginer une issue plus ambitieuse. Celle-ci requiert la mise en place 1) d’instruments économiques incitatifs permettant de minimiser le coût de la lutte contre le changement climatique, 2) de mécanismes garantissant la pérennité de ces engagements, et 3) la conception de mécanismes de transferts qui fassent adhérer les principaux pays à cet accord.

Pour Jean Tirole, le vrai risque est celui d’un « mauvais » accord à Copenhague, c’est-à-dire d’un accord qui conduirait à repousser les réductions d’émissions de gaz à effet de serre. L’action précoce est donc essentielle. La mise en place d’un accord gagnant-gagnant est ensuite nécessaire, afin que chaque pays ait une incitation à le rejoindre. La lisibilité à long terme constitue par ailleurs un élément clé, à travers notamment un « signal prix du carbone » élevé. Seul un prix du carbone élevé permettrait, selon Tirole, d’atteindre l’objectif d’efficacité de manière durable, par le développement d’énergies propres, la modification des modes de transport et des infrastructures et la réduction de la déforestation en particulier. À cet égard, l’usage de permis d’émission négociables, prévu par le Protocole de Kyoto, est à maintenir, pour autant que ces permis soient mis aux enchères. Enfin, concernant l’engagement des pays en développement, Jean Tirole critique fortement le Mécanisme de Développement Propre (MDP), qui permet aux pays développés d’obtenir des crédits carbone en réalisant des projets d’investissement réduisant les émissions de gaz à effet de serre dans les pays en développement. Il préconise l’inclusion des pays en développement dans le marché carbone, quitte à leur donner une allocation généreuse de quotas. Quant à la feuille de route proposée, elle porte moins sur la stratégie de long terme que sur la tactique à adopter dans l’immédiat pour que Copenhague aboutisse à un accord.

L’ouvrage, disponible à la Documentation française, contient par ailleurs quelque 260 pages de compléments rédigés par une série d’auteurs spécialisés. Ainsi, la plupart des thématiques soulevées par les politiques climatiques sont abordées. Citons, sans être exhaustif, l’incertitude, la place des instruments économiques dans les négociations internationales, les stratégies nationales (sont en particulier traités l’Europe, les États-Unis, la Chine, l’OPEP), le rôle des accords sectoriels, le financement de l’adaptation dans les pays en développement, etc. En bref, une mine d’or pour le lecteur intéressé par les enjeux soulevés par les politiques climatiques.

Les justifications de l’architecture cap and trade

Quand certains proposent de fixer des normes ou de taxer les émissions, Jean Tirole reprend dans son rapport l’architecture cap and trade de Kyoto comme élément fondamental de l’accord souhaitable à Copenhague. Ce système repose sur la création d’une certaine quantité de droits à polluer relatifs à un objectif global de plafonnement des émissions de gaz à effet de serre (cap), les pays pouvant ensuite modifier la répartition initiale des droits à polluer en les échangeant sur le marché des permis d’émission (trade). Cette thèse trouve une solide justification dans la théorie des jeux et la théorie de l’équilibre général, dont le Protocole offre une application à la fois pertinente et originale. Un autre mérite majeur de l’architecture Kyoto est de présenter une répartition logiquement justifiée des rôles respectifs du secteur public (les États) et du secteur privé (les marchés). En effet dans ce cadre :

  • il y a le cap (objectif de plafonnement) sur les émissions globales, qui fixe quantitativement le degré de rareté collective de la ressource environnementale. Il est choisi par les États, ce qui est dans la logique du bien économique en cause puisqu’il s’agit d’une externalité globale ayant les caractéristiques d’un bien public ;
  • et il y a le trade qui, en répartissant l’exercice des droits (qui sont, eux, des biens privés), réalise par le marché l’allocation à coût minimal de la ressource environnementale entre ses utilisateurs.

Dans le cadre de Kyoto, les États signataires peuvent déroger à leurs engagements en matière d’émission de trois manières : en rachetant des droits à polluer, par le MDP et par un mécanisme équivalent au MDP pour des investissements « verts » au sein des pays développés. Dès lors, si le titre du rapport Tirole parle d’une « nouvelle architecture » internationale, il nous semble surtout proposer une architecture rénovée, fondée sur une structure classique dont la qualité est éprouvée, et à laquelle il apporte de multiples compléments.

La protection du climat, une « valeur » à partager

Aujourd’hui, parmi les 189 pays des Nations Unies qui se sont prononcés sur Kyoto, 188 ont ratifié le Protocole et un seul – les États-Unis – ne l’a pas ratifié. Néanmoins, les États qui ont ratifié le Protocole ne sont pas tous censés observer le même comportement :

  • pour 38 pays, il s’agit de respecter à l’issue de la période d’engagement 2008 – 2012 une borne supérieure à leurs émissions, énoncée à l’Annexe B du Protocole, à laquelle ils peuvent déroger par un des trois mécanismes de flexibilité évoqués plus haut ;
  • pour les 150 autres pays (essentiellement des pays en développement ou émergents), il y aura évolution de leurs émissions « comme bon leur semble » (en anglais, business-as-usual, ou BAU) pendant la période d’engagement, ainsi que la possibilité de participer au MDP [2].

Dans son rapport, Jean Tirole plaide pour un accroissement de la participation des pays dans le cadre du nouvel accord, accroissement qui porte selon nous sur le deuxième groupe de pays : l’évolution future des émissions des pays ayant ratifié le Protocole de Kyoto hors Annexe B ne serait plus celle du « comme bon leur semble », mais suivrait une trajectoire convenue d’avance.

Il y a ainsi maintien d’une grande coalition « à la Kyoto », accompagné d’un important changement de stratégie pour les pays hors Annexe B. Pour ceux-ci, la proposition n’est pas d’imposer des restrictions d’émissions, mais bien de rendre ces émissions moins incertaines. Ce dernier qualificatif paraît plus important pour la communauté internationale que pour chaque pays pris individuellement (chacun peut s’écarter de la trajectoire convenue via l’achat de droits à polluer à d’autres États si nécessaire). En effet, du point de vue collectif mondial, le fait que la somme des émissions soit connue et respectée au fil du temps est évidemment un facteur décisif pour la qualité de l’environnement mondial. Dans le vocabulaire de la théorie économique, la quantité de bien public à obtenir sera ainsi bien définie, alors qu’elle l’était mal dans le Protocole de Kyoto.

Mais comment convenir à l’avance des trajectoires d’émissions de gaz à effet de serre ? Et comment convaincre les pays de les accepter comme référence ? La lecture du rapport laisse entrevoir quelques pistes :

  • on peut commencer par demander aux pays quelle serait leur trajectoire BAU. Si l’on adopte celle-ci et si l’on attribue à tout pays réticent un montant de droits initiaux d’émission exactement égal à ce que prévoit la trajectoire BAU qu’il annonce, Jean Tirole montre de manière convaincante que la seule existence d’un prix positif du carbone incite déjà le pays à respecter sa trajectoire ;
  • les trajectoires retenues peuvent de plus inclure une solide marge de sécurité, permettant alors ce que Jean Tirole recommande comme des allocations « généreuses » de droits d’émission ;
  • enfin, et pour renforcer un argument de compensation plus d’une fois employé dans le rapport à propos d’allocations initiales généreuses, on peut évoquer l’idée souvent avancée par les pays émergents que les pays développés sont responsables du problème actuel. Les allocations de droits initiaux ayant des propriétés parallèles à des transferts de ressources, la générosité dans ces allocations peut alors être présentée comme une reconnaissance de cette responsabilité historique.

En fait, le prix du carbone a révélé que la protection du climat avait une valeur. En étant généreux avec les pays émergents dans l’attribution des droits initiaux, on leur propose de partager cette valeur. Tel serait le sens d’une attribution généreuse de droits d’émission à des pays dans lesquels les dommages du changement climatique sont importants, même s’ils émettent peu. Le partage de valeur ainsi réalisé leur offre en effet, outre la possibilité d’alléger leur charge en matière de réduction d’émissions, la perspective du bénéfice financier de la vente des droits dont ils n’auront pas besoin.

par Thierry Bréchet & Henry Tulkens, le 7 décembre 2009

Aller plus loin

 Le rapport Tirole est disponible en ligne sur le site de la Documentation française : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics.

Pour citer cet article :

Thierry Bréchet & Henry Tulkens, « Mieux répartir les coûts de la politique climatique », La Vie des idées , 7 décembre 2009. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Comment-repartir-les-couts-de-la

Nota bene :

Si vous souhaitez critiquer ou développer cet article, vous êtes invité à proposer un texte au comité de rédaction (redaction chez laviedesidees.fr). Nous vous répondrons dans les meilleurs délais.

Notes

[1Les chiffres officiels des émissions sont disponibles sur http://unfccc.int.

[2Dans les termes techniques de la littérature de théorie des jeux, nous interprétons ci-dessus le Protocole de Kyoto comme un «  équilibre de Nash partiel, par rapport à une coalition  » – celle des 188 ratifiants – et non pas comme un équilibre en termes de la coalition des 39 pays de l’annexe B comme certains le font parfois. Car dans cette dernière interprétation, la ratification des pays non membres de l’Annexe B et leur participation au MDP ne trouvent pas d’explication.

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