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Essai Politique

Comment financer le revenu universel ?


par Marc de Basquiat , le 14 février 2017


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Cet automne dans nos pages, Clément Cadoret taxait d’irréalisme les propositions de revenu universel. Économiste et président de l’Association pour l’Instauration d’un Revenu d’Existence, Marc de Basquiat lui répond en détaillant la logique et les paramètres du LIBER, variante du revenu de base pour laquelle il plaide.

L’idée de distribuer chaque mois à tous les membres d’une communauté un montant identique, qu’on l’appelle revenu universel, revenu d’existence, allocation universelle, revenu minimum garanti, revenu de base ou plus généralement basic income à l’international, est source de débats qui ont pris une ampleur sans précédent en France depuis l’année 2016.

L’idée n’est pas neuve et a circulé selon les époques dans plusieurs familles politiques et intellectuelles. Mais tant qu’il s’agissait de réfléchir à un concept théorique, en le confrontant avec la théorie de la justice de John Rawls, la vision du travail de Karl Marx ou celle de la liberté individuelle de Milton Friedman, l’enjeu de ce débat était limité à quelques cercles d’intellectuels, sans grande conséquence. Nous n’en sommes plus là, avec l’irruption du concept dans le discours des responsables politiques, qui le font connaître à l’ensemble des électeurs et lui donnent le poids d’un argument électoral de premier plan. Le revenu de base a été un sujet clé de l’élection finlandaise d’avril 2015, puis a fait l’objet d’un référendum en Suisse le 5 juin 2016. Il est également la mesure-phare de Benoît Hamon, candidat socialiste à l’élection présidentielle d’avril 2017 en France.

Devenu de fait un objet de confrontation politique, le revenu inconditionnel d’existence risque d’être victime de certaines confusions conceptuelles. S’intéressant à une proposition qui ouvre de nombreuses questions ardues, philosophiques, économiques, sociologiques, chaque candidat est logiquement amené à définir sa propre mesure, en insistant sur ce qui la différencie des autres. Ce débat politique est centrifuge, exacerbant les oppositions, avec pour conséquence mécanique d’éparpiller le concept.

La première difficulté est que les points d’entrée dans le débat sont variés, certains acteurs étant favorables à la proposition d’un socle de revenu qui élimine la grande pauvreté, d’autres appréciant le potentiel simplificateur, ou le caractère intégrateur d’un mécanisme universel s’appliquant à toute la population d’un pays. Il est nécessaire de rappeler les caractéristiques fondamentales du concept.

La deuxième difficulté vient de la diversité des critiques, qui sont principalement de trois ordres. Un souci de faisabilité économique d’abord : comment équilibre-t-on le financement ? Une réticence morale ensuite : pourquoi la communauté nationale financerait-elle des personnes qui ne veulent pas travailler ? Un conflit idéologique enfin : ce mécanisme universel ne risque-t-il pas d’affaiblir une protection sociale héritée de décennies de luttes sociales ?

La première définition d’un revenu universel

Il est nécessaire de revenir aux sources du débat pour l’éclaircir. Les promoteurs d’une forme de revenu de base, en France et partout dans le monde, reconnaissent la paternité de Thomas Paine, qui observe dans La justice agraire , après avoir rencontré les peuples premiers d’Amérique du Nord :

La pauvreté, donc, est une chose créée par ce qu’on appelle la vie civilisée. Elle n’existe pas dans l’état naturel. Par contre, l’état naturel est sans ces avantages qui découlent de l’agriculture, des arts, de la science et de l’industrie.

Le dispositif imaginé par Paine à la fin du 18e siècle est évidemment décalé en ce début du 21e, puisqu’il s’agit

de créer un fonds national, duquel sera payée à chaque personne, parvenue à l’âge de vingt et un ans, la somme de quinze livres sterling, en compensation partielle, pour la perte de son héritage naturel, par l’introduction du système de propriété foncière ; Et aussi, la somme de dix livres par an, à vie, à chaque personne vivant maintenant, de l’âge de cinquante ans, et à tous les autres quand ils parviendront à cet âge.

Néanmoins, Paine a énoncé les caractéristiques essentielles du revenu universel, reprises par toutes les propositions ultérieures, proposant en particulier :

que les paiements (…) soient faits à chaque personne, riche ou pauvre. Il est préférable de faire ainsi, pour empêcher des distinctions désobligeantes.

Lutter contre les désincitations

Aujourd’hui, la proposition d’un revenu d’existence s’inscrit dans la continuité de l’instauration du RMI en 1988 et du RSA en 2008. Le créateur du RMI, Lionel Stoléru, auteur en 1974 de la première proposition élaborée de revenu universel en France [1], rappelait inlassablement que le fait de ne pas savoir le matin en se levant comment sera assurée sa subsistance quotidienne est le premier obstacle à l’insertion dans l’activité économique.

En effet, passer ses journées en démarches administratives ou à faire la queue aux Restos du Cœur n’est pas compatible avec la recherche d’un emploi régulier. Le RMI différentiel (renommé RSA Socle) est désincitatif, chaque euro gagné par le travail étant soustrait à l’allocation. La complexité des mécanismes sociaux est également un obstacle à l’insertion des personnes en difficulté. Le différentiel important entre le coût pour l’employeur et la somme nette versée au salarié – et plus généralement la fiscalité importante pesant sur l’activité économique – démotive autant le salarié que celui qui l’emploie.

Ceci est d’autant plus regrettable que la plupart des chômeurs cherchent réellement à trouver leur place dans la société. Les militants d’ATD Quart Monde le clament haut et fort : « ce qu’on veut, c’est du boulot ! ». Mais ils sont confrontés à des obstacles bien réels. L’enjeu n’est certainement pas de les inciter à travailler, mais plutôt d’éliminer systématiquement toutes les désincitations qui les en empêchent.

Les deux formulations ne sont pas équivalentes : « inciter quelqu’un à travailler » ou « supprimer les désincitations qui l’empêchent de travailler ». Le discours politique a malheureusement adopté la formulation la plus concise, mais ce glissement sémantique généralisé, trompeur, se fait au détriment des personnes concernées.

La première réponse à la question des désincitations est apportée par le philosophe Philippe Van Parijs : il propose de garantir à chacun la liberté réelle de faire des choix de vie rationnels, grâce à l’attribution régulière, systématique et sans condition, d’un socle de revenu. Ce que Paine justifiait comme compensation de la perte d’un héritage naturel, Van Parijs l’exprime positivement comme la capacité donnée à chacun d’utiliser sa liberté.

Et cette liberté est féconde pour la société dans son ensemble, ainsi que l’exprime le sociologue Alain Caillé [2] :

la seule chose que la société soit en droit de demander positivement en échange d’un revenu inconditionnel de citoyenneté, ce n’est pas de l’utilité, indéterminable, mais de l’initiative, de la vie et de la participation effective à la production de la collectivité par elle-même. Liberté doit être laissée à ceux qui reçoivent un revenu inconditionnel, dont il faut quand même rappeler qu’il ne leur permet guère de mener la grande vie, de décider par eux-mêmes de ce qui est utile ou de ce qui ne l’est pas.

Le LIBER, une proposition réaliste

La question de la faisabilité économique du revenu universel d’existence se pose d’autant plus facilement qu’y répondre de façon sérieuse suppose de combiner des modifications techniques portant sur de nombreux domaines du système socio-fiscal. Pour cela, une compréhension assez large des mécanismes actuels est nécessaire, qui n’est pas partagée par l’ensemble de la population. Qui, à part les personnes fragiles, connaît les travers du RSA ? Qui, même parmi les bénéficiaires, a conscience de l’iniquité de certaines dispositions de l’impôt ? N’ayant pas une conscience très claire des inconvénients du système actuel, les citoyens saisissent difficilement les avantages que comporte une proposition de rupture.

C’est pourquoi l’auteur de ces lignes s’est associé à un think tank pour documenter une explication pédagogique de la forme concrète que prendrait un revenu universel en France. Le rapport LIBER, un revenu de liberté pour tous, paru en 2014 et suivi d’un second volume en janvier 2017, a précisément pour objectif de montrer que le revenu universel est une « proposition réaliste ».

Le rapport montre que l’accumulation de dispositifs redistributifs, sous forme d’impôts, de prestations sociales et familiales, de cotisations sociales non contributives et d’exonérations diverses, génère une fonction de redistribution globalement proche d’une fonction affine : les aides accordées aux plus défavorisés diminuent plus ou moins continument lorsque leurs revenus augmentent, et la pente de cette diminution se prolonge simplement, pour les contributeurs nets, dans le calcul des impôts.

Bien entendu, on observe des irrégularités et des différences entre diverses catégories de la population et diverses natures de revenus, sur lesquelles on peut s’interroger. Pourquoi les retraités contribuent-ils aussi peu, alors qu’ils sont les premiers bénéficiaires de la protection sociale ? Pourquoi les couples aisés bénéficient-ils d’un traitement fiscal très privilégié ? Pourquoi les jeunes ne bénéficient-ils d’aucune aide en dessous de 25 ans ?

Le principe développé par le LIBER est de supprimer toutes les divergences dont la légitimité paraît discutable, pour généraliser à toute la population les paramètres de la redistribution moyenne observée. Afin de ne faire aucun perdant parmi les plus défavorisés, le montant du revenu universel est légèrement renforcé, ce qui augmente légèrement la contribution moyenne des plus aisés.

C’est ainsi que, à la fin de l’année 2016, le LIBER aurait été de 480 euros mensuels par adulte, de 270 euros pour les personnes entre 14 et 18 ans, de 200 euros pour les moins de 14 ans. À l’instar du rapport Sirugue, le LIBER conserve inchangées les allocations logement et prévoit des compléments pour les personnes âgées et les handicapés, leur permettant d’atteindre, voire de dépasser – par individu – le niveau des aides actuelles (ASPA et AAH en particulier). Les personnes n’appartenant pas à la communauté nationale, en particulier les demandeurs d’asile, seraient couvertes par d’autres dispositifs, comme aujourd’hui. Le système de santé et les prestations sociales contributives (retraites, chômage) ne seraient pas modifiées.

Le financement du LIBER est assuré par construction. Le revenu universel prend la forme d’un crédit d’impôt individuel mensualisé, se déduisant d’un prélèvement LIBERTAXE au taux de 23 %. L’assiette du prélèvement est proche de celle de la Contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), environ 1,450 milliards d’euros en 2016, ce qui équilibre le LIBER calculé pour une population française d’environ 67 millions d’habitants en situation stable et régulière dans le pays. Il est important de noter que LIBER et LIBERTAXE se combinent pour former un seul dispositif fiscal, un impôt mensuel progressif et familialisé, qui résulte pour la majorité de la population en une aide fiscale, et pour les autres en un prélèvement. Dans nos simulations, la masse prélevée annuellement auprès des contributeurs nets est un peu inférieure à 100 milliards d’euros par an, équivalente par construction à ce qui est distribué aux bénéficiaires nets.

La mise en place du LIBER permettrait de supprimer totalement plusieurs mécanismes actuels : l’impôt sur le revenu (avec le quotient conjugal et familial, les niches fiscales), la plupart des cotisations sociales non contributives, de nombreuses prestations sociales et familiales (Revenu de solidarité active (RSA), Allocation de solidarité spécifique (ASS), Revenu de solidarité (RSO), Allocation temporaire d’attente (ATA), Prime transitoire de solidarité (PTS), Allocation veuvage (AV), Allocation supplémentaire d’invalidité (ASI), Prime d’activité (PA), Allocations familiales (AF), Complément familial (CF)).

Par rapport au système actuel, les gagnants seraient les actifs, les couples modestes et les familles avec un seul enfant. Les plus aisés, en particulier ceux percevant des revenus autres que d’activité, seraient sollicités un peu plus fortement qu’aujourd’hui (environ 4 %) pour équilibrer le financement de l’ensemble.

Ainsi esquissée, la proposition LIBER n’a rien d’une « pensée magique ». Au contraire, le montage est précis et équilibré.

Ses avantages essentiels

Dans un article paru à la fin du mois de novembre 2016 dans La vie des idées, Clément Cadoret confirme des avantages fondamentaux associés à l’instauration d’un revenu universel :

 « le revenu universel peut évidemment permettre d’améliorer la situation des personnes les plus vulnérables et réduire le risque de pauvreté » ;
 « la simplicité du dispositif contribuerait d’abord à faire disparaître le non recours » ;
 « l’ouverture du revenu universel à l’ensemble des individus âgés de plus de 18 ans permettrait également d’améliorer sensiblement la situation des 18-25 ans » ;
 « l’individualisation associée au revenu universel et la suppression des échelles d’équivalence aujourd’hui appliquées dans le cas du RSA conduiraient à augmenter les montants servis aux couples ».

Par ailleurs, il corrige les analyses et propositions fantaisistes ou manquant de rigueur, qui polluent le débat :

 « il ne peut être financé par un simple jeu de bonneteau impliquant les minima et prestations existants » ;
 « le revenu universel doit être financé par de nouvelles recettes, étant entendu que tout financement par une réduction des prestations sociales présente des risques sociaux majeurs » ;
 « il n’est pas envisageable de ne pas recourir à la taxation des revenus des ménages » ;
 « certaines pistes de financement ne sont même pas susceptibles d’être examinées : (…) taxation comportementale » dont l’objectif est « une disparition à terme de l’assiette fiscale taxée, (…) monnaie hélicoptère (…) par nature temporaire » ;
 « la portée des expériences étrangères menées, et souvent improprement citées, est en effet très limitée ».

Cependant, certains éléments de l’article de Clément Cadoret méritent d’être discutés.

Ce qu’il advient des autres aides sociales

Clément Cadoret fait amplement référence à nos travaux, mais sa lecture, probablement un peu rapide, est passée à côté de certains aspects importants. Il a cru déceler des cas où d’actuels bénéficiaires de la protection sociale toucheraient une aide moins importante avec un revenu universel. En réalité, si nos propositions ont pour but de simplifier le maquis actuel, elles n’ont rien de simpliste. Il est bien entendu nécessaire de compléter la protection universelle socle que constitue le Revenu d’existence par des compléments activés selon les conditions particulières de chaque famille.

C’est d’abord le cas pour le logement. Les difficultés que rencontre une personne pour se loger ne sont pas résolues en lui donnant de l’argent, mais en s’assurant qu’elle ait un toit. Cela semble un truisme. Mais trouver un logement adapté à chaque famille est une opération compliquée, nécessitant de prendre en considération la composition familiale, l’éloignement des opportunités d’emploi et des écoles, l’existence ou non de moyens de transport, le coût du logement et des services dans la zone ciblée, la disponibilité du foncier, etc. Les propositions de la Fondation Jean Jaurès en mai 2016 ou de l’OFCE en décembre, qui remplacent l’aide au logement par une valorisation apparemment généreuse du revenu de base, sont incohérentes. L’aide au logement est un sujet distinct du revenu de subsistance, qui nécessite d’apporter une réponse adaptée, comme nous y invite la règle posée par le prix Nobel Jan Tinbergen : pour chaque objectif de politique publique, il convient de définir un outil, et un seul.

Le cas des bénéficiaires actuels d’aides spécifiques, personnes âgées (ASPA) ou handicapées (AAH), est intermédiaire. La mise en place d’un Revenu universel d’existence permettra de sécuriser et simplifier les démarches de personnes particulièrement fragiles de notre société. On sait la complexité et les délais des démarches (plus d’un an) pour demander une Allocation adulte handicapé de 808 euros par mois. Demain, chacun percevrait déjà automatiquement 480 euros et n’entamerait des démarches que pour obtenir le complément conditionnel de 328 euros et d’éventuelles prestations additionnelles de 105 ou 179 euros. Bien entendu, le circuit actuel de validation médicale ne serait pas fondamentalement modifié, mais l’enjeu financier étant moins élevé, il serait probablement possible (et souhaitable) de simplifier les démarches.

Enfin, les actuels 85 000 demandeurs d’asile, bénéficiaires de l’Allocation demandeur d’asile (ADA) ne verraient aucun changement, cette aide spécifique étant a priori conservée. Le cas d’autres personnes ayant un statut intermédiaire dans le pays doit être analysé soigneusement, pour y porter des solutions adaptées.

Trois erreurs d’analyse sur le revenu d’existence

Dans son article, Clément Cadoret assimile le texte publié par la Fondation Jean Jaurès en mai 2016 à une proposition de revenu de base. En réalité, les auteurs de ce texte ne sont aucunement des promoteurs du concept, leur rapport étant une caricature destinée à le discréditer. D’ailleurs, Clément Cadoret perçoit parfaitement l’incongruité de ce texte : « la proposition formulée dans ce cadre a de quoi surprendre ». Qui peut sérieusement présenter un programme qui serait « la fin de l’assurance sociale » ? Aucun promoteur raisonnable du revenu universel ne s’inscrit dans le programme de la Fondation Jean Jaurès.

Plus ennuyeux est l’emprunt que fait Clément Cadoret à l’analyse critique d’Henri Sterdyniak du revenu universel dans son introduction à la journée débat de l’OFCE le 13 octobre 2016 :

H. Sterdyniak a récemment estimé que, sur la base des projets proposés, ce revenu devrait représenter 785 €/mois pour l’ensemble des actifs, et être majoré pour les plus de 65 ans et les personnes en situation de handicap à hauteur de 1 100 €. Versé tous les mois à chaque français de plus de 18 ans, le revenu universel coûterait alors environ 560 milliards d’euros.

Comme nous l’avons mis en évidence dans une note récente, cet opposant résolu à l’idée d’un socle de revenu universel multiplie les tours de passe-passe, à commencer par l’escamotage des aides au logement pour afficher un montant irréaliste de 785 euros mensuels par adulte. Le reste du raisonnement est à l’avenant, Henri Sterdyniak expliquant in fine qu’il faudrait ajouter une CSG au taux invraisemblable de 40 % pour financer un revenu de base minimal. Plus réaliste, le taux de la LIBERTAXE que nous proposons est de 23 %, l’impôt sur le revenu étant en grande partie remplacé par la simple combinaison, familialisée et progressive, du LIBER et de la LIBERTAXE.

La troisième erreur d’analyse est plus fondamentale encore. La quasi-totalité des articles qui fleurissent sur le revenu universel depuis le début de l’année 2016 n’évoquent aucunement les évolutions de la fiscalité des ménages, laissant croire qu’il s’agirait surtout d’une question de réorganisation des prestations sociales. Ce faisant, on passe totalement à côté du sujet. Le premier outil de redistribution en France est bel et bien l’impôt sur le revenu, avec ses tranches aux taux différenciés qui induisent une redistribution verticale forte, et ses diverses dispositions, en particulier le quotient conjugal et le quotient familial, qui induisent une redistribution horizontale massive, supérieure au RSA et aux allocations familiales.

La proposition LIBER remplace d’abord l’impôt sur le revenu. Depuis 1974, Lionel Stoléru a énoncé avec constance que la proposition d’un revenu d’existence est avant tout une réforme fiscale. Les sénateurs de la mission d’information qui a présenté son rapport le 19 octobre 2016 l’ont également perçu, puisqu’ils écrivent en conclusion de leur note de synthèse : « le principe d’un impôt négatif [doit] être privilégié à terme mais sa mise en œuvre [reste] conditionnée à une vaste réforme du système fiscal ».

Mais explorer la redistribution induite par l’ensemble des règles complexes – et de fait opaques – de l’impôt sur le revenu est au moins aussi compliqué que le nécessaire chantier de la fusion des minima sociaux. Par exemple : alors que le taux nominal de la plus haute tranche est de 45 %, qui sait que les revenus distribués aux détenteurs d’actions de sociétés françaises font l’objet d’un abattement de 40 %, ce qui réduit le taux marginal supérieur à 27 % en réalité ? En sus de la LIBERTAXE qui accompagne le LIBER, il est absolument nécessaire de définir un prélèvement complémentaire, d’environ 30 milliards d’euros, qui permette de mettre en œuvre une politique fiscale différenciée selon divers objectifs légitimes. C’est un sujet complémentaire, relativement indépendant de la question du revenu universel, mais qu’on ne peut ignorer.

Sortir de l’impasse

Clément Cadoret juge dans sa conclusion que « le revenu de base semble dans une impasse ». Nous partageons cette inquiétude, car pour discuter de propositions réalistes et bénéfiques à l’échelle du pays, un travail approfondi est nécessaire. L’Association pour l’Instauration d’un Revenu d’Existence (A.I.R.E.) y contribue en discernant les propositions inadaptées, qu’elles soient formulées par des détracteurs ou des promoteurs du concept de revenu de base inconditionnel. Laissant de côté toute idéologie, la motivation de ce travail est simplement l’analyse des dysfonctionnements du système socio-fiscal actuel, plus particulièrement les facteurs de désincitation et les iniquités tapies dans la complexité, en vue de « se doter d’un nouveau cadre de pensée capable de proposer des réponses adaptées aux défis de la pauvreté, de l’emploi et de l’émancipation de l’individu », ainsi que le synthétise élégamment Clément Cadoret.

Le premier pas consiste à opérer ce basculement conceptuel du champ social vers le champ fiscal, universel par nature, ainsi que le rappelait une tribune collective le lendemain de la publication du rapport Sirugue. La question de la fusion de divers mécanismes de protection sociale est en réalité de second ordre. La mission d’information du Sénat l’a compris et l’indique dans la synthèse de ses recommandations.

Par ailleurs, nous sommes pleinement d’accord avec Clément Cadoret lorsqu’il affirme « l’impossibilité de mesurer la totalité des effets d’une réforme aussi conséquente en termes d’emploi, de niveau de vie, de redistribution des revenus ou encore d’incitation au travail ». Beaucoup reste à faire avant de proposer une généralisation à l’échelle d’un pays. Nous reconnaissons également la pertinence de sa mise en garde ultime : « À trop s’en remettre aux vertus du revenu universel et à son horizon de mise en œuvre forcément très lointain, on oublie bien souvent l’immédiateté de la crise économique et sociale et la possibilité d’agir rapidement afin d’y remédier ».

par Marc de Basquiat, le 14 février 2017

Pour citer cet article :

Marc de Basquiat, « Comment financer le revenu universel ? », La Vie des idées , 14 février 2017. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Comment-financer-le-revenu-universel

Nota bene :

Si vous souhaitez critiquer ou développer cet article, vous êtes invité à proposer un texte au comité de rédaction (redaction chez laviedesidees.fr). Nous vous répondrons dans les meilleurs délais.

À lire aussi


Notes

[1L. Stoléru, Vaincre la pauvreté dans les pays riches, Paris, Flammarion, 1974.

[2A. Caillé, « De l’inconditionnalité conditionnelle », La revue du MAUSS, n°7, 1996.

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