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Essai Société

Codifier l’engagement ethnographique ?
Remarques sur le consentement éclairé, les codes d’éthique et les comités d’éthique


par Daniel Cefai & Paul Costey , le 18 mars 2009


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Au moment où l’Association française de sociologie va adopter une Charte

déontologique, Daniel Cefaï rend public un ensemble de réflexions sur la

codification des pratiques d’enquête ethnographique et plus largement sur

la dimension normative de l’implication du chercheur. Son essai,

introduction d’un livre à paraître aux éditions de l’EHESS, est accompagné

d’une traduction du Code éthique de l’American Sociological Association par

Paul Costey.

La traduction est de Paul Costey, l’introduction de Daniel Cefaï. Extrait d’un livre coédité par Daniel Cefaï, Paul Costey, Edouard Gardella, Carole Gayet-Viaud, Philippe Gonzalez, Erwan Le Méner, Cédric Terzi (eds.), L’Engagement ethnographique, qui comprend, outre le Code d’éthique de l’ASA, des textes de Jack Katz, Robert Emerson/Rachel Fretz/Linda Shaw, Lawrence Wieder, Andreas Glaeser, George Marcus, Michael Burawoy, Lila Abu Lughod et Kim Hopper. A paraître en décembre 2009 aux Éditions de l’EHESS, coll. « En temps & lieux ». Nous remercions les Éditions de l’EHESS de nous autoriser à diffuser en primeur ces quelques pages. Toutes critiques, remarques, corrections et précisions sont les bienvenues.

Le texte qui suit est extrait d’un livre collectif, à paraître, consacré à l’engagement ethnographique [1]. Ce livre traite de l’enquête de terrain, au sens strict, en tant qu’elle comprend un moment d’observation, directe ou participante, des processus qui ont cours sur un site d’enquête. Une partie en est consacrée à la dimension normative de l’implication du chercheur qui, dès lors qu’il prend conscience que ses actes d’enquête ont des conséquences sur la vie et le milieu de vie de ses enquêtés, doit s’efforcer de réfléchir en termes déontologiques, éthiques et politiques sur les façons de maîtriser ces conséquences. L’urgence de rendre publics ces quelques éléments de réflexion s’est imposée à nous, après que l’Association française de sociologie (AFS) a décidé de faire adopter une Charte déontologique, fruit d’une réflexion de plusieurs années [2]. Nous y voyons une occasion de contribuer au débat public, avant l’échéance du vote du 15 avril 2009. Nous ne cherchons pas à commenter directement le brouillon de Charte déontologique de l’AFS. Nous rendons disponible notre traduction du Code d’éthique de l’American Sociological Association, assortie de quelques commentaires introductifs. Nous espérons par là, sans trancher, éclairer le jugement de nos collègues sociologues, mais aussi anthropologues et politistes, sur les vices et vertus d’une telle codification normative de leur discipline. Nos commentaires portent du reste essentiellement sur la codification des pratiques d’enquête ethnographique  : même si certains d’entre eux peuvent être extrapolés à d’autres modalités d’investigation, nous insistons sur la nécessité de respecter un pluralisme méthodologique.

Pourquoi traduire le Code d’éthique de l’ASA ? Cette décision a été prise, suite à plusieurs considérations. Tout d’abord, elle impose de prendre du champ par rapport à l’engagement ethnographique au sens strict, comme activité d’enquête in situ, et de le recadrer par rapport à une architecture de règles, de standards et de procédures qui définissent un métier, sa méthodologie et sa déontologie. Sans aucun fétichisme, il nous a paru important de donner accès à un tel document aux lecteurs français [3]. Il recense des questions trop rarement posées dans l’exercice de la recherche et de l’enseignement ou dans les applications que science politique, sociologie et anthropologie peuvent connaître [4]. Les débats se multiplient aujourd’hui en France, tant parmi les sociologues [5] que les anthropologues [6] ou les politistes [7], sur l’opportunité de promulguer une telle charte – déjà rendue incontournable dans certains domaines de recherche par l’alignement sur des normes internationales. Après les États-Unis, le Royaume Uni, l’Allemagne, et de nombreux pays du Commonwealth [8], l’heure est venue en France de la publication de tels documents. Quels problèmes pose cet effort de codification, par des institutions, du bien et du mal dans l’enquête en sciences sociales [9] ? Faut-il craindre la tyrannie de « bureaucraties de la vertu » [10], au nom de l’évaluation des bonnes pratiques de recherche [11] ? Quelles conséquences peut-on raisonnablement anticiper d’une telle codification ?

La codification normative : un modèle expérimental et clinique

La publication de Codes d’éthique n’est pas suspendue dans le vide. Elle a été le résultat de décennies de discussions, de scandales et de disputes, de controverses publiques dans les forums universitaires, et parfois au-delà. On ne peut l’imputer simplement à une juridicisation des relations sociales, à une culture puritaine ou à une idéologie professionnelle qui seraient le propre de certains pays. Elle s’appuie sur une réflexion déontologique, éthique et politique des chercheurs. Elle est le résultat d’un travail d’explicitation de leurs préoccupations normatives sur le terrain et d’évaluation des usages sociaux de leurs recherches – pendant, avant et après. Les chercheurs se préoccupent de plus en plus de ce qu’ils « font » aux enquêtés, à leurs collègues et à leurs auditoires, et ce souci sous-tend l’effort de formalisation des critères de « bonnes pratiques de recherche » [12]. En parallèle à leurs doutes et à leurs malaises, les organisations professionnelles se sont également inquiétées de réguler les pratiques de leurs membres. Mais ces préoccupations normatives se sont traduites aujourd’hui en dispositifs réglementaires. La finalité des codes et des comités d’éthique se joue sur un autre registre que celui du souci d’agir en tout bien tout honneur : ils ont instauré des mécanismes institutionnels d’évaluation, de normalisation et de contrôle, d’autorisation et d’interdiction de la recherche. Et ils suscitent parmi les ethnographes, tant en sociologie qu’en anthropologie, un certain nombre de griefs et de plaintes que nous allons examiner.

Le modèle d’inspiration de ces mesures légales, qui déterminent un cadre standard de la relation de terrain, est celui des codes d’éthique médicale. Une première source, souvent citée, est celle du Code de Nuremberg de 1947. Sept médecins nazis ont été condamnés à mort et d’autres à des peines de prison. Les sujets d’expériences scientifiques doivent être volontaires et informés des risques qu’ils encourent. Un calcul des bénéfices escomptés et des désagréments engendrés doit être fait, même si les principes élémentaires sont respectés. Les chercheurs doivent s’informer si des expériences similaires ont déjà été réalisées et avec quels effets pervers. Les mesures et les relevés doivent être accomplis sans dommage physique et psychologique pour les sujets. Les règles de sécurité des équipements du laboratoire et des enchaînements de l’expérience doivent si possible avoir été testées. Les chercheurs doivent être hautement qualifiés et convenablement entraînés. Les sujets, préalablement informés, doivent être libres de se retirer à tout moment d’une expérience. Les chercheurs doivent interrompre une expérience sitôt qu’elle cause du mal aux sujets.

Ces règles, confirmées par la Déclaration d’Helsinki de l’Association médicale mondiale en 1964 [13], apparaissent d’autant plus nécessaires qu’un ensemble de scandales éclatent aux États-Unis [14]. Le virus de l’hépatite est inoculé à partir de 1956 à des enfants déficients mentaux de l’institut Willowbrook, avec l’autorisation de leurs parents désireux d’y obtenir une place. Deux médecins du Brooklyn Jewish Chronic Disease Hospital injectent en 1963 des cellules de cancer à vingt-deux personnes âgées, jusqu’à ce que les familles et les médias s’en émeuvent. Enfin, l’expérience de Tuskegee a suivi des années 1930 à 1972 une cohorte de 399 hommes afro-américains atteints de syphilis, les tenant à l’écart, avec la complicité de leurs médecins, du traitement à la pénicilline inventé en 1947 – provoquant la mort d’au moins 28 personnes [15]. En 1966, le ministère de la Santé (general surgeon) énonce un certain nombre de règles, dont le respect doit être contrôlé par des comités ad hoc. En 1971, le Department of Health, Education and Welfare (DHEW) publie une brochure sur la « protection des sujets humains ». En 1974, une Commission nationale est créée par le National Research Act, voté par le Congrès. Aucun représentant d’une démarche qualitative n’est présent dans cette commission, orientée vers les pratiques biomédicales, cliniques et expérimentales. C’est elle qui édicte en 1978 les « Ethical Principles and Guidelines for the Protection of Human Subjects of Research », connu comme le Belmont report [16]. Celui-ci impose aux chercheurs de s’aligner sur les principes de « respect des personnes » (visées comme autonomes et protégées si elles sont incapables de délibérer sur leurs objectifs personnels et d’agir en conséquence), de « bienfaisance » (obligation de ne pas faire de torts, de maximiser les bénéfices et de minimiser les dommages) et de « justice » (« distributive » ou « équitable » : ne pas abuser de populations fragiles ou vulnérables dans la sélection des sujets). Agences de financement des recherches et comités de rédaction des revues devront désormais veiller au respect de ces conventions de droit, destinées à protéger les sujets de tout « risque de dommage » [17].

Cette exigence de responsabilité est aujourd’hui élargie aux non-humains. La déclaration de Rio sur le respect de l’environnement ou la déclaration de Dublin sur la protection de l’eau sont souvent mentionnées. Le Code d’éthique de l’AAA (American Anthropological Association) (juin 1998) inclut désormais la protection des animaux, en particulier des « primates non humains », la « conservation des traces (records) archéologiques, fossiles et historiques » et la préservation des « matériaux biologiques et culturels » [18]. L’enquête, comme toute action humaine, provoque des conséquences, en premier lieu sur le cercle des personnes directement impliquées. Outre l’INSERM, mentionné plus haut, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER) et l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) ont mis en place des Comités d’éthique et de précaution, qui affirment également un principe de responsabilité vis-à-vis des environnements naturels [19]. Le Comité consultatif de déontologie et d’éthique de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), créé en 2001, a publié un « Guide des bonnes pratiques de la recherche pour le développement », qui expose quinze principes pour les phases d’élaboration, de mise en œuvre et de valorisation des programmes de recherche. Parmi ceux-ci : le partage des bénéfices escomptés des résultats de la recherche ; le partenariat dans la « prise de brevets et de licences d’exploitation », et plus généralement, des droits de propriété intellectuelle ; la « protection des populations vulnérables » et « la gestion et la protection des ressources naturelles » ; l’exigence de « développer et de pérenniser un appareil de recherche de qualité internationale » dans les pays partenaires ; ou l’équité en termes de « conditions d’emploi, de protection sociale et de rémunération des personnels des pays en développement ».

Le souci de réflexivité éthique ne fait que croître, en réponse à des mouvements de défense de droits des autochtones, de l’environnement ou du patrimoine ou à des revendications de politique de réciprocité de la part des pays en développement, en parallèle à la promulgation d’une législation internationale sur ces sujets.

L’invention d’une déontologie : une casuistique de situations problématiques

On ne peut donc plus dissocier l’enquête sur la méthodologie de la réflexion sur la déontologie : l’exercice du métier d’ethnographe requiert de toujours prospecter sur ces deux fronts, afin de régler des problèmes pratiques, rencontrés concrètement [20]. Ces problèmes pratiques ont des conséquences sur le type de données que l’on produit et d’analyses que l’on publie et sur les conséquences que ces données et ces analyses auront sur l’opinion publique et sur l’action publique, ainsi que sur les vies, les environnements, les réputations et les capacités des personnes enquêtées. L’interrogation sur les cadres normatifs de l’enquête ethnographique est d’une extrême richesse – et aucun Code, fût-il la Constitution, Grundgesetz ou Magna Carta d’une discipline, ne peut la restituer.

De ce point de vue, un travail remarquable, de type casuistique, a été mené par les anthropologues aux États-Unis, dans le cadre de la « Triple A » – Association américaine d’anthropologie. Le Handbook on Ethical Issues in Anthropology de Joan Cassell et Sue-Ellen Jacobs a ainsi parachevé plusieurs tentatives de réflexion, notamment celle inaugurée dès 1976 par James Spradley dans une rubrique, « L’éthique et l’anthropologue », de l’Anthropology Newsletter [21]. Si l’on dévide le fil généalogique, les questions éthiques étaient déjà présentes, bien antérieurement, dans la discipline. Mais les années 1960 sont un moment de basculement. En 1965, le Bureau exécutif de l’AAA est interpelé à propos de l’implication d’anthropologues dans des opérations d’espionnage et de contre-insurrection, ce qui conduit à la constitution d’une Commission d’enquête et à la publication du rapport Beals en 1966 et d’un premier brouillon de Code en 1969, fortement controversé dans la Newsletter de l’AAA. Un premier Comité d’éthique de neuf membres est élu en 1970 et se voit d’emblée confronté au problème de la recherche clandestine au Vietnam et en Thaïlande pour les agences fédérales [22]. Le point intéressant est que ces premières tentatives de régulation proviennent des demandes des membres de l’AAA. Après la fin de la guerre du Vietnam, en 1975, les problèmes changent de nature. Si le problème de la collaboration avec l’Armée et la CIA ressurgit en 1983 avec les conflits d’Amérique Centrale, puis en 1990 et après 2001, à propos de la Guerre du Golfe et de la lutte contre le terrorisme, ce sont d’autres cas que recensent J. Spradley et J. Cassell.

Citons-en quelques uns. Une anthropologue en Asie du Sud-Est assiste à un meurtre sur la place du village : quand la police lui demande de témoigner, que doit-elle faire, alors que le « coupable » a payé le prix du sang et participé à l’enterrement de sa « victime » ? Pour ne pas se rendre complice d’un crime aux yeux de la morale et de la loi, doit-elle rompre le silence des habitants du village, renier le droit coutumier et condamner du même coup son travail de terrain ? Quelle attitude adopter dans toutes les situations d’illégalité, de dissimulation de preuves, de mensonge aux autorités, et plus grave, d’invitation à transgresser le droit – accepter des cadeaux volés, participer à des opérations criminelles, consommer des substances stupéfiantes ? Une anthropologue se rend compte qu’un enfant prématuré a subi des dommages psychiques irréversibles en raison d’une erreur du personnel hospitalier où il est recueilli et que cette erreur a été dissimulée à ses parents : quelle obligation doit passer en premier, celle de dire la vérité à la famille ou celle de rester loyale vis-à-vis du personnel ? Est-elle en mesure de porter un jugement sur cette erreur et d’établir des responsabilités ? Doit-elle faire part de ses doutes à la direction du service de l’hôpital ? Ou doit-elle s’interdire toute « délation » et ne pas intervenir dans la vie de l’hôpital ? Idem pour un autre enquêteur qui constate que les procédures de réanimation de patients mourants, ce que les internes appellent le « Code 99 », sont appliquées plus lentement (slow code) sur certains patients que sur d’autres.

Une anthropologue qui dispose de médicaments est confrontée à des cas de malaria : doit-elle ou non distribuer ses ressources auprès des habitants du village ou s’abstenir de le faire, faute de disposer d’une prescription médicale et de pouvoir assurer un traitement prolongé ? Un autre chercheur se voit signifier par ses enquêtés qu’il peut décrire tout ce qu’il veut concernant leur culture matérielle, mais en aucun cas divulguer leurs croyances et leurs rituels religieux : peut-il dès lors s’accorder la licence, au nom de la science, de rendre publiques ces informations qu’on lui demande de garder secrètes ? Et comment un chercheur à qui une femme battue demande de l’aide doit-il réagir ? Peut-il intervenir dans des contextes domestiques ? Doit-il écouter sa conscience ou se décharger sur les usages de la communauté qu’il étudie ? Doit-il assister sans mot dire à des rites d’initiation qui seraient catégorisés comme des tortures corporelles dans son monde d’origine ? Doit-il s’impliquer dans des places de juge et d’arbitre dans des conflits entre personnes, familles ou clans, quand on l’y invite ? Dans des conflits d’aménagement du territoire, doit-il rester sur la touche et ne pas engager d’action contre des intérêts privés ou publics, ou peut-il prendre parti et conseiller, organiser, défendre les intérêts et revendiquer les droits de ses enquêtés ? Dans quelle mesure et jusqu’à quel point doit-il agir ou ne pas agir ?

Un autre registre concerne des problèmes internes à la profession. Une agence fédérale contracte un anthropologue pour enquêter sur les transformations du milieu écologique de Nations premières en Amérique du Nord : sans stipulations concernant la propriété des données, les photographies, les entretiens et les carnets de terrain lui appartiennent-ils ou doit-il les rétrocéder à son financeur ? Quelle attitude un(e) étudiant(e) doit-il (elle) adopter dans des cas de plagiat par un(e) collègue ? Dans des cas d’utilisation de notes de terrain par un(e) professeur(e) à qui elles avaient été confiées ? Dans des cas où est constatée la falsification de données dans le cadre d’une enquête collective ? Dans des cas où un conflit d’intérêt est repéré entre l’activité universitaire et les engagements extra-universitaires d’un(e) collègue ? Une anthropologue de la médecine en Égypte prépare un dossier de financement pour une ONG auprès d’une fondation privée, mais se voit demander par un autre institut de coopération entre les États-Unis et l’Égypte qui l’emploie de différer cette candidature : doit-elle participer secrètement à cette manœuvre et mettre sa réputation en péril, en parler en clair au bureau de l’ONG pour le pousser à négocier, consulter la fondation privée pour rechercher un moyen terme ou s’abstenir de toute interférence et se mettre à dos son employeur ?

Ces questions sont de plus en plus aiguës aujourd’hui. Certaines débordent le cadre strict de l’enquête ethnographique, comme celle du statut des données rendues publiques dans des environnements numériques et du devenir du droit d’auteur [23] ou celle de la compatibilité entre recherche-action, experte ou impliquée, et recherche universitaire, supposée détachée ou distanciée. D’autres sont plus spécifiques à la méthode ethnographique et ne se retrouvent pas dans des enquêtes quantitatives ou historiques. Reste que tous ces cas ont été présentés, discutés en détail et diffusés à grande échelle dans les bulletins des associations professionnelles. On pourrait facilement imaginer, aujourd’hui, une telle arène de réflexion déontologique et de formation pédagogique, en langue française – qui pourrait être localisée sur une plateforme électronique, et pourquoi pas, sur les sites des associations professionnelles des sociologues, anthropologues ou politistes.

Le consentement éclairé : vices et vertus d’un dispositif

Un mot clef de cette littérature normative est celui de consentement éclairé (informed consent). Éclairé : toutes les informations concernant les orientations et les objectifs du projet – les identités des sponsors et des financeurs, les procédures qui vont être mises en œuvre, les garanties d’anonymat et de confidentialité, les usages qui seront faits des résultats, les agréments et les désagréments qui peuvent en découler – doivent être dévoilées « dans un langage accessible à tous » par l’enquêteur à l’enquêté, qui est supposé disposer des compétences requises pour comprendre ce type d’informations. Consentement : sur ce fondement, l’enquêté est supposé être raisonnable et responsable, disposer de sa liberté d’appréciation et d’évaluation, et prendre la décision de participer de façon volontaire, sans subir aucune forme de contrainte de la part de l’enquêteur ou d’une tierce instance, comme d’un employeur ou d’un gouvernement. Des personnes qui n’ont pas la « capacité légale » de donner leur accord ne peuvent pas être des sujets d’enquête – les mineurs ou les incapables/ inaptes – à moins d’être couverts par leurs parents ou tuteurs légaux.

Le formulaire doit indiquer les conditions, lieu et moment, d’obtention du « consentement éclairé ». Le consentement doit être écrit, sauf s’il est « culturellement inacceptable ou inapplicable ou ne peut être obtenu en raison d’une situation particulière, tel qu’analphabétisme ou risque pour les participants » [24]. La formule qui « scelle l’entente » entre enquêteur et enquêté est la suivante : « Je soussigné, X, déclare avoir pris connaissance des informations ci-dessus, en avoir discuté avec la responsable du projet, la professeure Y, et comprendre le but, la nature, les avantages, les risques et les inconvénients de l’étude en question. Après réflexion, je consens librement à prendre part à cette étude. Je sais que je peux me retirer en tout temps sans préjudice ». Elle contient une clause supplémentaire, à laquelle l’enquêté peut répondre par « Oui » ou par « Non » : « Je consens à ce que les données recueillies dans le cadre de cette étude soient utilisées pour des projets de recherche subséquents de même nature, conditionnellement à leur approbation par un comité d’éthique de la recherche et dans le respect des mêmes principes de confidentialité et de protection des informations ». Toute plainte de l’enquêté peut être adressée au médiateur (ombudsman) de l’Université, dont les coordonnées sont fournies.

Cette procédure a le mérite indéniable de sensibiliser les chercheurs aux conditions et aux implications normatives de leurs activités. On ne peut plus enregistrer en audio ou vidéo sans s’assurer de l’accord des enquêtés. Le respect de la vie privée, la protection des droits de la personne, les précautions contre les risques de fuite des informations, les garanties contre les intrusions de pouvoirs économiques ou politiques, sont pris au sérieux. L’exigence d’un compte-rendu aux enquêtés des résultats de l’enquête tend à se généraliser, par-delà toutes les difficultés de « traduction » qui peuvent se poser. Et les « droits de propriété intellectuelle » des enquêtés sur certains matériaux d’enquête sont reconnus légalement [25]. Mais cette procédure n’en est pas moins ambiguë [26]. Elle recourt à un calcul factice de l’équilibre des profits et des risques, des dommages et des bénéfices pour les enquêtés, difficilement évaluables et prévisibles en comparaison avec ceux de la recherche expérimentale et biomédicale. Jusqu’à quel point peut-on dire qu’un enquêté sera clairement informé des intentions de l’enquêteur et des usages qui seront faits de l’enquête ? Que peut bien signifier cet acte juridique pour un enquêté à peine scolarisé, ou dont les seuls rapports avec le droit et la justice sont d’ordre répressif ? Comment expliquer aux membres d’une société sans écriture les enjeux de cette activité sociale tellement étrange qu’est l’investigation ethnographique [27] ? Qui est habilité à donner de telles autorisations quand une institution encadre une relation de face-à-face ? Faut-il s’en tenir à l’accord donné, au nom de la collectivité, par un chef de village ou de tribu, dans des sociétés sans écriture ? Et comment y traduire les notions de « consentement », de « libre », d’ « éclairé » ou d’ « individu », qui sont chargées d’une longue histoire juridique et politique ? Quelle perception les membres d’autres « mondes » ou « cultures » ont-ils de la formulation universaliste de principes et de procédures [28] ? Que peuvent bien signifier les notions de « confidentialité » ou d’ « anonymat » quand le clivage entre expériences publiques et privées n’est pas historiquement advenu [29] ? Et même si un tel clivage est opérant, comment les mettre en œuvre ? Comment anonymiser, quand les résultats de l’enquête sont destinés à circuler dans un milieu d’interconnaissance, où tout le monde se reconnaîtra ou croira se reconnaître ? Comment y parvenir quand on pratique une ethnographie centrée sur des cas biographiques ou situationnels, aisément identifiables ? Comment anonymiser des organisations ou des institutions ou leurs représentants attitrés, quand la simple description de leurs trajectoires, de leurs activités ou de leurs opinions suffit à les reconnaître ? Comment, parfois, gommer certaines informations et dissimuler l’identité des informateurs, alors même que ceux-ci revendiquent la publicité de leurs prises de positions [30] ?

N’est-ce pas par ailleurs présumer du fait que l’enquêteur disposerait a priori d’une connaissance claire de ce qu’il recherche ? Le propre de l’ethnographie n’est-il pas de définir ses objets et ses questions d’enquête sur le terrain ? La part la plus féconde de l’enquête réside souvent dans les transformations de perspective des enquêteurs et des enquêtés, dans le dialogue avec soi et avec autrui que l’enquête occasionne, et parfois dans la modification des rapports de pouvoir, des formes de communication ou des modes de justification en vigueur dans un groupe, une organisation sociale ou une institution politique. Les procédures du consentement éclairé apparaissent à certains aussi formelles et rituelles qu’inefficaces. Elles ne préviennent pas les dérapages au cours des interactions in vivo ou dans l’utilisation des matériaux collectés. Elles ne peuvent contraindre l’imprévisible dynamique de l’enquête dans les termes fixes d’une déclaration d’intention. Elles ont une vision simpliste des relations ambivalentes entre individus et des enjeux complexes entre collectifs. Elles tendent à faire des enquêtés des victimes potentielles manœuvrées par de cyniques universitaires. Et elles condamnent à ne plus travailler sur des pratiques cachées, honteuses ou interdites, réprouvées ou illicites – tout écart critique par rapport aux conduites des enquêtés devient impossible. Ces procédures engagent une conception contractualiste du consentement, qui serait donné une fois pour toutes, de façon univoque et explicite, même si des clauses d’interruption de la relation d’enquête sont incluses dans le contrat. Sur le terrain, le consentement est un don de confiance et un pari de l’enquêté sur la compétence, la fiabilité et l’utilité de l’enquêteur – don et pari toujours réversibles. La confiance donnée s’accorde de façon réitérée ou se retire par à-coups au cours de la temporalisation de l’enquête. Dans certains cas, elle est relancée par une discussion entre enquêteurs et enquêtés sur ce qui peut et doit être fait, à moins que le désaccord conduise à une fin de non recevoir : l’enquête est alors compromise. Les ethnographes, plus que n’importe quel autre chercheur, sont soumis à une activité intense de catégorisation morale de la part de leurs enquêtés. Ils sont, à la différence des sondeurs et intervieweurs qui ne font que passer (single shot pencil and paper survey), pris dans des liens d’obligation et de responsabilité, contraints à la bonne conduite et exposés au risque de discrédit. Comme dans la vie de tous les jours : l’éthique se joue et se rejoue dans l’interaction, elle est affaire d’ethos, d’appréciation et d’évaluation in situ. L’activité juridique et judiciaire ne peut en aucun cas se substituer à l’exercice de la raison pratique [31].

La transposition au travail de terrain du modèle clinique et expérimental ou du modèle formel du social survey pose donc beaucoup de problèmes. La juridicisation des relations sociales ne pallie pas l’exercice du jugement moral en situation. Les autorisations des comités d’éthique et les formulaires de consentement éclairé finissent par n’avoir plus qu’une valeur de procédure, et risquent, par un effet pervers, d’exonérer les chercheurs de toute conscience active de leurs responsabilités. Pire encore, faute de consulter les ethnographes sur les conditions de leur travail, cette forme de bureaucratisation et de juridicisation de la recherche peut tout simplement rendre impossible la pratique de leur métier. Comment faire, alors, pour administrer cette tension insoluble entre le droit régissant les libertés privées, de protection des informations personnelles et de reconnaissance d’une propriété intellectuelle, et le droit à l’enquête, constitutif de la vie démocratique [32] ? Dès lors qu’un code d’éthique ou une charte déontologique sont promulgués, la question se pose de leur statut et de leur portée. L’Association des anthropologues sociaux du Royaume-Uni et du Commonwealth adopte par exemple une position mesurée dans ses « Ethical Guidelines for Good Social Research » [33] : « La réputation de la recherche anthropologique dépendra nécessairement moins des normes éthiques que les corps professionnels affirment que de la conduite des chercheurs individuels. Ces conseils/ directives sont destinés à aider les anthropologues à résoudre de façon satisfaisante et équitable leurs dilemmes. La déclaration d’idéaux n’impose pas un ensemble rigide de règles, soutenu par des sanctions institutionnelles, étant donné les variations à la fois des préceptes moraux des individus et des situations dans lesquelles ils travaillent. Les conseils/ directives ne peuvent résoudre les difficultés dans le vide, ni attribuer une plus grande importance à un principe plutôt qu’à un autre. Ils sont plutôt destinés à éduquer les anthropologues, à les sensibiliser aux sources potentielles de conflit éthique et aux dilemmes qui peuvent se présenter dans les pratiques d’expertise, de recherche et d’enseignement. Ils ont un statut informatif et descriptif plutôt qu’autoritaire et prescriptif. Leur visée est de s’assurer que lorsque un écart est constaté par rapport aux principes, ou lorsqu’il apparaît qu’un groupe ou une partie intéressée jouit d’un privilège, éprouvé en situation ou nécessaire selon la loi, les décisions du chercheur doivent être fondées sur une forme de prévoyance/ clairvoyance (foresight) et de délibération éclairée (informed deliberation) ».

La polémique autour des Institutional Review Boards

La procédure du consentement éclairé est souvent impraticable, et les problèmes qu’elle soulève ont été pointés très tôt par les sociologues [34] et les anthropologues [35]. Pour certains, le fait que les enquêtés aient signé un formulaire risque d’avoir pour effet paradoxal de déresponsabiliser l’enquêteur : une fois qu’il est « couvert » légalement, il n’a plus à s’inquiéter des dommages potentiels, dans le court terme comme dans le long terme, que sa recherche peut provoquer sur le terrain. Pour d’autres, on aurait là une forme d’hypocrisie des institutions académiques qui se préoccupent plus d’éviter le procès, en réputation ou au tribunal, que de ménager les intérêts et les droits des enquêtés. Elles doivent d’autant plus se donner une respectabilité publique et se prémunir contre les risques de scandale qu’elles dépendent de financements privés pour survivre [36]. Mais le consentement éclairé, écrit ou oral, a la vertu de rappeler l’enquêteur à ses responsabilités et de rappeler ses droits à l’enquêté. D’une part, il impose de ne pas oublier le caractère difficile de la posture ethnographique. Qui n’a pas été confronté, sinon au sentiment d’une « violence », en tout cas au mécontentement, à l’insatisfaction, sinon à l’indignation des enquêtés, du simple fait de se retrouver dans le compte-rendu d’une situation ? Si respectueux soit son travail de restitution d’épreuves vécues, d’expériences ou d’activités, l’ethnographe, tout en évitant les forçages de l’objectivation, sélectionne et recompose nécessairement, dans sa mise en récit et en analyse, ce dont il a été le témoin ou le confident. Et quel que soit son souci d’équité descriptive, les perspectives auxquelles il a affaire sont nécessairement plurielles et conflictuelles : l’ethnographe peut s’interdire tout parti-pris et neutraliser toute forme d’engagement du point de vue de tel ou tel acteur, l’idéal d’impartialité reste impossible à atteindre.

On perçoit déjà les problèmes d’évaluation auxquelles ne peuvent qu’être confrontés les Institutional Review Boards (IRB), dont l’avis favorable commande l’obtention de crédits, de subventions ou de bourses de recherche, privés ou publics, ainsi que l’autorisation de mener des enquêtes et de publier des résultats. Ces commissions d’éthique et de déontologie, au nombre de plusieurs milliers aujourd’hui en Amérique du Nord [37], sont dans l’administration de chaque institut de recherche, université ou hôpital, chargées de contrôler la conformité juridique et réglementaire des projets de recherche ou des manuscrits à publier. Dès son institution par le gouvernement fédéral aux États-Unis en 1979, ce dispositif est paru problématique [38]. Il ne cesse depuis de défrayer la chronique, de susciter des prises de position radicales contre sa fonction de censure et de répression [39] ou d’en provoquer d’autres, plus conciliantes et plus mesurées, proposant de les réaménager [40].

Le problème de base des IRB est la mise hors la loi d’une bonne partie de la recherche ethnographique, laquelle, par définition, n’a pas de conception (design) préétablie. La plupart des interactions sur le terrain ne sont pas perçues, au moment où elles sont accomplies, comme des moments de recueil de données : faut-il dès lors exclure toute expérience et toute mémoire autobiographique de l’enquête ? Comment faire quand la plupart des rencontres sur le terrain sont contingentes, non prévisibles, qu’elles relèvent à la fois de la vie personnelle et de la méthode d’investigation, et que c’est d’elles que dépend la constitution même de l’objet d’enquête ? Et au-delà, faut-il renoncer à enquêter sur les activités immorales, illégales et criminelles, qui échappent aux dispositifs d’enquête formelle et quantitative – abandonner toute forme d’observation, directe ou participante, sur les radicalismes religieux ou politiques, sur la criminalité en col blanc, la délinquance, le narcotrafic ou la prostitution [41] ? Faut-il s’abstenir de toute enquête dans des régimes autoritaires, par crainte des usages politiques, policiers ou militaires qui pourraient en être faits [42] ? Et sous le prétexte de ne pas nuire aux enquêtés, individus ou institutions, et de réguler des pratiques d’enquête, ce qui est en soi louable, faut-il bafouer le droit à l’enquête, qui est constitutif de l’expérience démocratique ?

Dans certaines universités, l’enquête ethnographique est devenue impossible sur des terrains rapprochés, en raison de la contrainte de s’en tenir à des « informations de nature publique, c’est-à-dire publiquement disponibles (par exemple dans les journaux, les revues, les bases de données gouvernementales, l’internet, les émissions de télévision) » [43]. La tension entre « protection des sujets humains » et « préservation de la liberté universitaire » [44] a été rompue au détriment du second terme. L’observation directe ou participante n’a plus droit de cité. La situation est cependant très variable – attestant de marges de négociation locale. J. Katz nous dit que les professeurs de Harvard sont habilités à juger de l’obligation ou non de soumettre les recherches de leurs étudiants de licence à évaluation ; l’enquête ethnographique est exemptée de présentation devant l’IRB de l’Université de Pennsylvanie pour cause de difficultés pratiques ; et l’usage d’études de cas dans des controverse publiques visant à la défense de droits est autorisé par le MIT. Mais dans certaines universités, les Comités d’éthique bloquent toute recherche ethnographique, pour une bonne part, par méconnaissance des pratiques des chercheurs, telles qu’elles se font, pour une autre part, par un mélange de surenchère moraliste et de frilosité judiciaire. Certains se plaignent, avec ironie, qu’il n’existe pas d’IRB des IRB, une sorte de police des polices pour contrôler les contrôleurs… Plus prosaïques, d’autres réclament que la spécificité de l’enquête ethnographique, dont les canons sont relativement bien établis, soit reconnue dans les codes ; que des ethnographes participent aux évaluations des IRB ou entrent dans la composition des IRB ; et qu’en cas de désaccord, des procédures d’appel et de révision permettent d’engager un débat argumenté sur le bien-fondé d’un projet de recherche.

D’autres, faute de pouvoir renverser ou réformer Codes et Comités, cherchent des failles pour les contourner. Il existe par exemple une clause, la 45 CFR 46.101 du Code of Federal Regulations des États-Unis [45] qui autoriserait certaines espèces de recherche à déroger (waive) à l’application de ces mesures, en particulier les « procédures d’entretien ou d’observation de conduites publiques, à moins que l’information obtenue soit enregistrée de telle sorte que les sujets humains puissent être identifiés [et] toute divulgation des réponses des sujets humains hors du cadre de la recherche risquerait vraisemblablement de les placer dans une situation de responsabilité civile ou pénale ou de nuire à leur condition financière, à leur réputation ou à leur employabilité ». Mais cette clause est rarement prise en compte par les comités d’éthique. Elle l’était, selon J. Katz, à la fin des années 1970, mais un tour de vis a été donné depuis, à un point tel que les décisions de faisabilité d’une enquête de terrain peuvent être condamnées rétrospectivement par les IRB. Et bizarrement, tandis que sociologie et anthropologie sont visées par ces mesures, l’histoire orale ou le journalisme d’investigation en ont été exemptés, la première parce qu’elle produit des données « sans intention de développer un savoir généralisable » et le second pour ne pas aller à l’encontre du Premier Amendement de la Constitution sur la liberté de parole [46].

Le paradoxe est que l’enquête en vue de la définition et de la résolution de problèmes publics requiert souvent des données circonstanciées, beaucoup plus denses que celles fournies par les séries des agences statistiques ou par les batteries d’entretiens standardisés. Il y a une attente d’ « utilité sociale » des sciences sociales, et paradoxalement, elles sont muselées au moment où elles peuvent être le plus utiles. Au moment où l’ethnographie pourrait devenir une auxiliaire précieuse des ONG ou des agences publiques, avec sa capacité à décrire au-delà des croyances et des discours de façade, et à révéler des phénomènes contre-intuitifs, à l’encontre des évidences communes, des préjugés idéologiques ou des versions officielles, elle se voit marginalisée. Pourtant, les dynamiques du mariage forcé, les stratégies de survie des sans-abri, les pratiques de consommation de stupéfiants ou les phénomènes de radicalisation religieuse, ou plus platement, les échecs de la coopération non-gouvernementale, les dysfonctionnements des assemblées délibératives, les révoltes des jeunes banlieusards ou les manifestations du racisme ordinaire, ne sont intelligibles qu’en devenant des objets d’enquête de terrain. Les récits racontés a posteriori dans les histoires de vie, les entretiens approfondis ou les groupes centrés, nous fournissent des mines d’information, mais ne peuvent se substituer aux observations et aux descriptions in situ, quand celles-ci sont possibles.

L’engagement ethnographique reste irremplaçable. Il faut le protéger contre les risques de réglementation inappropriée. S’il est utile, et peut-être même nécessaire, d’énoncer des principes à portée universelle et d’édicter des recueils de préceptes, à vertu pédagogique, qui rappellent les chercheurs à un certain nombre d’obligations élémentaires, les bons choix à faire pour l’ethnographe ne découlent pas de l’application de règles a priori, s’appliquant sans distinction à toutes les situations. Nos conduites ordinaires, dans la vie de tous les jours, ne sont réglées que dans des moments de crise par les traités de morale et les codes de droit. De même, les normes formelles ne peuvent couvrir la totalité des situations d’enquête : le jugement pratique se fait alors réfléchissant. L’ethnographe ne détient pas à l’avance les solutions aux dilemmes qui l’assaillent, il ne sait pas avec certitude quelle est la bonne pratique à suivre. Nombre de difficultés sont certes répertoriées, et se retrouvant, mutatis mutandis, d’un site d’enquête à l’autre, autorisent un effort de généralisation déontologique et de transmission pédagogique. D’autres éléments du « travail éthique » sont plus ou moins anticipables et doivent être explicités, clairement, et éventuellement discutés, en faisant appel au sens commun. Mais beaucoup sont par contre totalement imprévisibles, du fait que l’enquête de terrain n’est pas programmable et suit des chemins inattendus : la frontière s’y estompe entre les moments du quotidien et de la recherche, du personnel et du scientifique. Enfin, le jugement pratique se fait souvent délibératif. Il est sans cesse ouvert à une multiplicité de perspectives, qui entrent en débat les unes avec les autres, soit dans des relations de face-à-face entre enquêteurs, enquêtés, et toutes sortes de tiers, soit dans des occasions plus formelles d’élaboration de protocoles ou de discussion de résultats, en commun. Ces dynamiques réflexives ne sont pas réductibles à un « contrat » du type consentement éclairé.

En pratique, on ne réchappera pas, en France, à l’institution de codes et, peut-être, de comités d’éthique. Il est plausible que la multiplication des financements européens et des coopérations internationales se charge de les imposer, ici comme ailleurs. Les effets en sont déjà sensibles sur la politique de recherche des grands établissements publics. En outre, divers événements récents – conflits entre collègues qui vont au tribunal faute d’une instance de médiation professionnelle, procès gagnés par des enquêtés insatisfaits de l’image donnée d’eux dans des ouvrages – font apparaître une amorce de judiciarisation des relations entre chercheurs et entre enquêteurs et enquêtés. Nul doute que les associations professionnelles soient amenées à l’avenir prendre en charge ce type de disputes afin de les résoudre, si possible, en douceur. Mais le problème mérite d’être posé avec un peu plus de hauteur que ce simple constat de nécessité. Les codes peuvent avoir l’effet bénéfique de stimuler une réflexion déontologique, encore quasi-absente en France. Mais ne faut-il pas en limiter la portée normative à celle de chartes, plutôt que de leur conférer un pouvoir de contrôle d’ordre judiciaire sur les enquêtes à travers des Comités d’enquête ? Ne doit-on pas plutôt, en parallèle, développer une réflexion sur des situations problématiques, et mettre au point, dans les cursus de sciences sociales, des cours de formation aux problèmes normatifs ? Si les codes d’éthique en viennent malgré tout à s’exercer avec la force du droit, et si des comités sont mis en place pour les faire respecter, ne faut-il pas se battre – et s’y prendre dès maintenant – pour faire reconnaître une spécificité de l’enquête ethnographique, et plus largement, de l’enquête dite « qualitative », incluant les méthodes d’analyse par entretiens, documentaire et biographique ? Comment faire reconnaître la pluralité des régimes d’enquête et des critères d’évaluation et éviter que l’ethnographie passe sous les fourches caudines des dispositifs expérimentaux, cliniques et statistiques ? Autre proposition : les associations professionnelles ne devront-elles pas faire accepter la nécessité de comités de sciences sociales – dans les revues, universités, instituts de recherche et autres instances institutionnelles – distincts des comités de biologie ou de médecine ? Si cette bataille, enfin, est perdue, elle aussi, ne devra-t-on pas tout faire pour imposer, systématiquement, dans la composition de ces comités d’éthique, à côté de la nomination d’experts en méthodes de survey ou d’expérimentation, celle de praticiens de l’enquête de terrain ? Comment s’assurer du respect du pluralisme méthodologique et comment prévenir les excès de moralisme et de juridisme ?

Une chose est sûre : la politique de l’autruche ne sert plus à rien.

Crédit photo (cc) : doolittle

par Daniel Cefai & Paul Costey, le 18 mars 2009

Pour citer cet article :

Daniel Cefai & Paul Costey, « Codifier l’engagement ethnographique ?. Remarques sur le consentement éclairé, les codes d’éthique et les comités d’éthique », La Vie des idées , 18 mars 2009. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Codifier-l-engagement

Nota bene :

Si vous souhaitez critiquer ou développer cet article, vous êtes invité à proposer un texte au comité de rédaction (redaction chez laviedesidees.fr). Nous vous répondrons dans les meilleurs délais.

Notes

[1La traduction est de Paul Costey, l’introduction de Daniel Cefaï. Extrait d’un livre coédité par Daniel Cefaï, Paul Costey, Edouard Gardella, Carole Gayet-Viaud, Philippe Gonzalez, Erwan Le Méner, Cédric Terzi (eds.), L’Engagement ethnographique, Paris, Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, 2009 – qui comprend, outre le Code d’éthique de l’ASA, des textes de Jack Katz, Robert Emerson/Rachel Fretz/Linda Shaw, Lawrence Wieder, Andreas Glaeser, George Marcus, Michael Burawoy, Lila Abu Lughod et Kim Hopper. Nous remercions les Éditions de l’EHESS de nous autoriser à diffuser en primeur ces quelques pages. Toutes critiques, remarques, corrections et précisions sont les bienvenues.

[2Voir http://www.afs-socio.fr/formCharte.html#3, avec un préambule de la présidente de l’AFS, Dan Ferrand-Bechmann. La version finale de la Charte déontologique sera votée en assemblée générale lors du Congrès de l’AFS du 14-17 avril 2009.

[3Nous avons pris connaissance récemment du débat en cours au sein de la Société suisse de sociologie, depuis 2006 : parmi les contributions à «  Éthique de la pratique sociologique  », Bulletin 132, novembre 2007, voir Van Valey T L., Hillsman S. T., «  The Code of Ethics of the American Sociological Association  », p. 15-18.

[4Pour une documentation complémentaire, en langue française, voir le Code d’éthique professionnelle de la Société canadienne de sociologie et d’anthropologie (http://www.csaa.ca/structure/Code.htm), les recueils officiels de règlements, directives, politiques et procédures en vigueur dans les Universités canadiennes, les questionnaires d’évaluation éthique et les formulaires de consentement éclairé disponibles sur internet.

[5La réflexion en vue de la confection d’une Charte déontologique, qui vaille tant pour les professionnels («  académiques  » et «  praticiens  ») que pour les étudiants en sociologie – dans leurs activités «  de recherche, recherche-action, conseil, intervention, enseignement et formation  » -, a été engagée au sein de l’Association Française de sociologie (AFS) en 2006.

[6Voir les positions très négatives exprimées au terme de la conférence du 16 mars 2007 sur la pertinence d’une réglementation éthique de la discipline : Cimpric A., «  Compte rendu de la conférence : “Comités et codes d’éthique en anthropologie : garantie ou contrainte  ?”  », Journal des anthropologues, n° 110-111, p. 445-448. Ou Soucaille A., Müller B., «  Synthèse et pistes de discussion : L’anthropologue dans la société  », 13 décembre 2007, dans AssisesEthno.org.

[7L’Association française de science politique (AFSP) est également engagée dans un tel processus. Le 9 septembre 2009, un débat aura lieu à ce propos lors du Congrès annuel de l’AFSP avec Paul M. Sniderman (Université de Stanford, président du Comité d’éthique permanent de l’APSA), et des représentants de l’Association Internationale de Science Politique, l’Association Suisse de Science Politique, la Société Québecoise de Science Politique, l’Association Belge de Science Politique et Nonna Mayer pour l’AFSP.

[8Voir les Codes de l’Association Internationale de Sociologie (ISA) : http://www.isa-sociology.org/fr/code_ethique.htm  ; de l’American Anthropological Association (AAA) : http://www.aaanet.org/committees/ethics/ethcode.htm  ; de l’Association for Applied and Clinical Sociology : http://www.aacsnet.org/wp/?page_id=47  ; de l’Australian Anthropological Association : http://www.aas.asn.au/docs/AAS_Code_of_Ethics.pdf  ; de la British Sociological Association : http://www.britsoc.co.uk/equality/  ; de la Deutsche Gesellschaft für Soziologie : http://www.soziologie.de/dgs/ethik-kodex.htm...

[9On pourra lire en parallèle un article de Didier Fassin : «  L’éthique, au-delà de la règle. Réflexions autour d’une enquête ethnographique sur les pratiques de soins en Afrique du Sud  », Sociétés contemporaines, 2008, 71, p. 117-136  ; et, résultat de son séminaire d’anthropologie politique et morale à l’EHESS : «  Répondre de sa recherche. L’anthropologue face à ses “autres”  », in Fassin D., Bensa A. (eds.), Les politiques de l’enquête. Épreuves ethnographiques, Paris, La Découverte, 2008. Voir également, à peine paru, le dossier «  L’éthique en anthropologie de la santé : conflits, pratiques, valeur heuristique  », in Ethnographiques.org, 17, 2008, coordonné par A. Desclaux, A. Sarradon-Eck, ainsi que leurs articles respectifs, partant de cas vécus.

[10Jacob M. A., Riles A., «  The New Bureaucracies of Virtue : Introduction  », Political and Legal Anthropology Review, 2007, 30 / 2, p. 181-191. Voir aussi l’intéressant diagnostic, qui reprend la thèse wébérienne de la bureaucratisation, de Bledsoe C., Sherin B., Galinski A. et al., «  Regulating Creativity : Research and Survival in the IRB Iron Cage  », Northwestern University Law Review, n° spécial «  Symposium on Censorship and Institutional Review Boards  », 101 / 2, 2007, p. 593-642.

[11Strathern M., «  New Accountabilities : Anthropological Studies in Audit, Ethics and the Academy  », in Id. (ed.), Audit Cultures, Londres, Routledge, 2000, p. 1-18.

[12Voir les Ethical Guidelines for Good Research Practice de l’Association of Social Anthropologists of the UK and Commonwealth : http://www.theasa.org/ethics/guidelines.htm.

[13Nombre de principes de la Déclaration d’Helsinki de l’Association médicale mondiale (promulguée en 1964, révisée en 1975) sont repris par la Loi fédérale du 27 juillet 1981 aux États-Unis et sont au cœur de la réflexion en France du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (créé en 1983). La Conférence européenne des comités nationaux d’éthique (COMETH) pour les sciences biomédicales et de la santé tente de coordonner ces efforts au niveau européen.

[14Outre ces trois enquêtes, ont fait scandale, dans un autre registre, la fameuse expérience de Stanley Milgram sur l’autorité et l’obéissance (1963) et l’enquête de Laud Humphreys sur les pratiques homosexuelles clandestines (1970).

[15Jones J., Bad Blood : The Tuskegee Syphilis Experiment, New York, Free Press, 1981  ; et Reverby S. M. (ed.), Tuskegee’s Truth, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2000.

[16Une version électronique en français du Code de Nuremberg, du rapport Belmont, de la déclaration d’Helsinki et autres textes normatifs de l’UNESCO, notamment sur le génome, est disponible sur le site du ministère de la Santé et des Services sociaux du gouvernement du Québec : www.fhi.org/training/fr/RETC/pdf_files/FrenchBelmont.pdf. Voir aussi la Déclaration de Manille (1981) sur la recherche biomédicale impliquant des sujets humains : http://www.tbethics.org/Textes/Declaration_de_Manille-VF.pdf.

[17Au Canada, le document de référence est, à l’échelle fédérale, l’ «  Énoncé de politique des trois Conseils : Éthique de la recherche avec des êtres humains  » : http://www.pre.ethics.gc.ca/francais/policystatement/policystatement.cfm. Il a été élaboré conjointement par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), le Conseil de recherches médicales du Canada (CRM) et le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG). Il est spécifié par le Plan d’action ministériel en éthique de la recherche et en intégrité scientifique au Québec.

[18Certaines réglementations ont également spécifié des éléments jusque là négligés. La collecte de coupures d’ongle, de scalps ou d’excréments, ou l’enregistrement de voix en vue d’étudier des défauts de prononciation, sont interdits. L’affaire des zoos humains et celle de la Vénus hottentote ont été centrales dans la sensibilisation au respect pour les personnes et pour leurs corps, vivants ou morts. Blancel N., Blanchard P., Boetsch G., Deroo É., Lemaire S., Zoos humains. De la Vénus hottentote aux reality-shows, Paris, La Découverte, 2002.

[19Voir l’intéressante controverse autour de la procédure délibérative mise en place par l’INRA, dans une perspective délibérative, autour du problème des OGM-Vignes.

[20Association française des anthropologues, «  Éthique professionnelle et expérience de terrain  », Journal des Anthropologues, 1993, p. 50-51.

[21Cassell J., Jacobs S. E., Handbook on Ethical Issues in Anthropology : A Special Publication of the American Anthropological Association, Washington DC, AAA, 1987, vol. 23, en particulier, la série des 25 cas examinés dans les chapitres 3 et 4.

[22The Student Mobilizer, 1970, 3/4, du Comité de mobilisation pour la fin de la guerre au Vietnam, publie ainsi des documents volés à un chercheur donnant des conseils sur le traitement des villages tribaux pour s’assurer de leur loyauté ou pour pacifier les rebelles. Il apparaît que leur recherche n’a rien de clandestin et qu’ils s’efforcent plutôt d’  » éclairer  » les militaires. Les deux accusateurs sont rappelés à l’ordre par le Bureau exécutif de l’AAA. Un nouveau comité, réunissant W. Davenport, M. Mead et R. Freed, publie le «  rapport Mead  » en septembre 1971, qui conclut à l’existence de recherches menées en Thaïlande sous l’égide de l’armée et des services secrets, mais absout les accusés. Au meeting de 1971, le conflit reste plus fort que jamais entre membres de l’AAA, certains jugeant que le rapport Mead a servi à blanchir l’Association.

[23À propos de «  l’équilibre entre les intérêts d’exclusivité des auteurs et des titulaires de droits d’auteur et les intérêts du public qui, aux fins de recherche, d’enseignement, d’information et d’étude personnelle, doit avoir librement accès aux ouvrages protégés par le droit d’auteur  », voir l’Énoncé de principes sur la gestion du droit d’auteur en milieu numérique, édité par l’Association des bibliothèques de recherche du Canada (http://www.carl-abrc.ca/projects/copyright/copyright_principles-f.html), suite aux Basic Principles for Managing Intellectual Property in the Digital Environment, édités aux États-Unis par le Committee on Libraries and Intellectual Property de la National Humanities Alliance.

[24Nous suivons ici le modèle de l’Université de Montréal, «  Information relative aux formulaires de consentement  » : http://www.scedu.umontreal.ca/recherche/documents/Formulaire_de_consentement_oct2008.doc.

[25Le UK Copyright Act (1988) requiert une autorisation (clearance) de la part des interviewés si leurs enregistrements sont destinés à être diffusés publiquement par des médias ou déposés dans des archives publiques.

[26Pour un exemple récent dans le domaine de l’ethnographie de la médecine : Bosk C., What Would You Do  ? : Juggling Bioethics and Ethnography, Chicago, University of Chicago Press, 2008.

[27Sur le problème de la «  sensibilité culturelle  », Tilley S., Gormley L., «  Canadian University Ethics Review : Cultural Complications Translating Principles Into Practice  », Qualitative Inquiry, 2007, 13, p. 368-387.

[28Le fait qu’une personne ait besoin de faire signer des papiers ou d’enregistrer la parole donnée suscite la méfiance, plutôt que l’inverse, dans un monde de culture orale – sans parler de la «  culture de la rue  » et des «  sous-cultures de l’illégalité  ».

[29De nombreux anthropologues se sont vus reprocher, lors de la restitution de leur travail aux enquêtés, leur «  manque de soin et de rigueur  » dans le respect des noms de lieux et de personnes et demander de rétablir la vérité  !

[30Sur toutes ces questions, voir Béliard A., Eideliman J.-S., «  Au-delà de la déontologie. Anonymat et confidentialité dans le travail ethnographique  », in Fassin D., Bensa A. (eds.), Les politiques de l’enquête, op. cit., 2008, p. 123-141.

[31Dans la littérature récente, voir Shannon J., «  Informed Consent : Documenting the Intersection of Bureaucratic Regulation and Ethnographic Practice  », Political and Legal Anthropology Review, 2007, 30 / 2, p. 229-248  ; Miller T., Boulton M., «  Changing Constructions of Informed Consent : Qualitative Research and Complex Social Worlds  », Social Science and Medicine, n° spécial «  Informed Consent in a Changing Environment  », 2007, 65, p. 2199-2211.

[32Dans un autre registre, celui de la constitution et de l’administration des archives privées ou publiques : Wolikow S., «  Un questionnaire sur les archives des sciences humaines et sociales en France  », Genèses, 2006, 63, 2, p. 143-149.

[33Social Research Association (UK), «  Ethical Guidelines for Good Social Research  », décembre 2003 : http://www.the-sra.org.uk/documents/pdfs/ethics03.pdf.

[34Singer E., «  Informed Consent  », American Sociological Review, 1978, 43, p. 144-162  ; Bulmer M., «  When is Disguise Justified  ? Alternatives to Covert Participant Observation  », Qualitative Sociology, 1982, 5 / 4, p. 251-264.

[35Wax M. L., «  Paradoxes of ‘Consent’ to the Practice of Fieldwork  », Social Problems, 1980, 27, p. 272-283  ; Thorne B., «  You Still Takin’ Notes  ? Fieldwork and Problems of Informed Consent  », Social Problems, 1980, 27, p. 284-297.

[36D’autres problèmes pratiques se posent. Comment faire lorsqu’une enquête est commanditée par une agence publique, hors de l’Université : l’Université est-elle responsable  ? Quand un chercheur change d’institution d’appartenance, doit-il renouveler sa demande d’autorisation, qui peut lui être refusée  ? Une enquête multi-située est-elle tenue d’obtenir des autorisations pour chacun des sites sur lesquelles elle enquête  ? Et comment faire quand une enquête qui a reçu toutes les autorisations de publier est rejetée par les maisons d’édition – leurs avocats les dissuadant de prendre des risques de procès  ?

[37Pour un très bon témoignage sur les exigences d’un Human Research Ethics Committee (HREC) en Australie, sur l’existence de «  bureaucraties ethniques  » d’organisations aborigènes et sur le risque d’ethnicisation des projets et des relations d’enquête : Bosa B., «  À l’épreuve des comités d’éthique. Des codes aux pratiques  », in Fassin D., Bensa A. (eds.), Les politiques de l’enquête, op. cit., 2008, p. 205-225.

[38Olesen V., «  Federal Regulations, Institutional Review Boards and Qualitative Social Science Research : Comment on a Problematic Area  », in Wax M. L., Cassell J. (eds.), Federal Regulations, Ethical Issues and Social Research, Boulder, Westview, 1979. Depuis, la littérature ne cesse de croître sur la question. Mais une ethnographie des activités d’évaluation et d’arbitrage de ces Comités d’éthique manque encore cruellement.

[39Dans un registre véhément, qui dénonce des principes et des règlements qui ne s’appliquent pas à d’autres corps professionnels, alors qu’ils produisent des dégâts bien plus considérables, et des commissions d’experts qui ne connaissent rien des spécificités de l’enquête qualitative qu’ils sont supposés évaluer, voir le numéro spécial de Qualitative Inquiry, Cannella G., Lincoln Y. (eds.), 2007, 13 / 3, sur les «  illusions morales  » et les «  agendas de contrôle  » d’une «  éthique prédatrice  ».

[40Dans un registre raisonnable, Bosk C., De Vries R. G., «  Bureaucracies of Mass Deception : IRBs and the Ethics of Ethnographic Research  », The Annals of the American Academy of Political and Social Science, 2004, 595 / 1, p. 249-263  ; ou Katz J., «  Ethical Escapes Routes for Underground Ethnographers  », American Ethnologist, 2006, 33, p. 499-506  ; «  Toward a Natural History of Ethical Censorship  », Law & Society Review, 2007, 41, 4, p. 797-810.

[41La question se pose également pour les criminologues : Berg L., Austin W. A., Zuern G. A., «  IRBs : Virtue Machines or Villains  ?  », Criminal Justice Policy Review, 1992, 6 / 2, p. 87-102.

[42En français : Agier M. (ed.), Anthropologues en dangers. L’engagement sur le terrain, Paris, Jean-Michel Place, 1997  ; Albera D. (ed.), «  Terrains minés  », Ethnologie française, 2001, 2  ; Amiraux V., Cefaï D. (eds.), «  Les risques du métier  », Cultures & Conflits, 2002, 22  ; Bouillon F., Fresia M., Tallio V. (eds.), Terrains sensibles. Expériences actuelles de l’anthropologie, Paris, Éditions de l’EHESS, 2006.

[43Voir les documents du Comité d’éthique de la recherche de la Faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal, «  Aspects éthiques de la recherche. Document d’information à l’intention des professeurs et professeures de la faculté des arts et des sciences  », août 2006. Idem pour les étudiants des cycles supérieurs : «  La notion de “recours à des sujets humains” couvre un champ très large : en plus des expérimentations proprement dites, elle recouvre les entrevues, les sondages, l’administration de questionnaires, l’observation de personnes ou de communautés, la consultation de renseignements personnels, de documents et d’archives privés, les analyses secondaires sur des données déjà recueillies, etc.  »

[44Scheweder R., «  Protecting Human Subjects and Preserving Academic Freedom  », American Ethnologist, 2006, 33 / 4, p. 507-518.

[45Code of Federal Regulations (45CFR46, 2001) : http://www.hhs.gov/ohrp/humansubjects/guidance/45cfr46.htm.

[46Nancy Scheper-Hughes, pour pouvoir mener son enquête sur le trafic d’organes international (A World Cut in Two : Global Justice and the Traffic in Organs, à paraître), a dû renoncer à faire enregistrer son projet par le «  Comité de protection des sujets humains  » de l’Université de Californie. Elle l’a fait passer pour un reportage d’investigation sur les droits humains, afin de bénéficier des mêmes droits que ses collègues de l’École de journalisme de Berkeley.

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