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Essai Société

Brève histoire du mouvement altermondialiste


par Geoffrey Pleyers , le 29 mars 2013


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Du 26 au 30 mars, les altermondialistes se sont donné rendez-vous à Tunis pour une nouvelle édition du Forum Social Mondial. C’est l’occasion de faire un bref retour sur l’histoire du mouvement altermondialiste et des forums sociaux mondiaux, des années 1990 à 2013.

Du 26 au 30 mars se tient le Forum Social Mondial de Tunis. Si l’ampleur de la participation sera loin des records atteints lors des Forums qui se sont tenus au Brésil (170.000 personnes en 2005, 130.000 en 2009), plusieurs dizaines de milliers d’alters sont attendus pour cette rencontre qui entend favoriser les échanges entre une génération aguerrie d’altermondialistes venant de tous les continents et les militants progressistes du printemps arabe et des mouvements contre l’austérité dans le Sud de l’Europe.

Les années 1990 : la formation d’un mouvement global

Quatre périodes peuvent être distinguées dans la courte histoire de l’altermondialisme. La première commence avec la multiplication de mobilisations locales et nationales contre le néolibéralisme dans toutes les régions du monde au milieu des années 1990. Au cours de cette époque, le mouvement altermondialiste était essentiellement organisé, d’une part, autour de campagnes internationales (comme celle contre la dette du tiers-monde), des réseaux et des rencontres d’intellectuels militants et d’ONG et de contre-sommets [1], d’autre part, sur des mobilisations populaires massives au niveau local et national, comme les « guerres de l’eau » en Bolivie, ou de paysans dans toute l’Asie.

Au milieu des années 1990, des acteurs très divers se sont mobilisés contre les politiques néolibérales, dénonçant notamment l’influence croissante de l’Organisation Mondiale du Commerce, le poids de la dette du Tiers Monde et le pouvoir des multinationales : des mouvements indigènes, particulièrement médiatisés à partir de la révolte des zapatistes au Mexique, la « guerre de l’eau » en Bolivie, les coalitions sud-africaines contre les privatisations, les mouvements des petits paysans en Asie et en Amérique latine, réunis à partir de 1993 dans le réseau global Via Campesina, qui revendique aujourd’hui près de 200 millions de membres à travers le monde ; des syndicats, particulièrement mobilisés en Corée du Sud ; des intellectuels progressistes ; des écologistes ; la Marche Mondiale des Femmes ; des activistes libertaires et des réseaux de jeunes « alter-activistes », des centaines d’ONG et des dizaines de milliers de « simples citoyens ».

L’émergence de ce mouvement global a rendu visible et connecté de nombreuses luttes locales et nationales qui, jusque-là, étaient pensées comme isolées et restaient peu visibles à l’étranger. Au cours de cette étape, des intellectuels militants du Nord et du Sud ont joué un rôle fondamental en attirant l’attention de l’opinion publique sur les dégâts des politiques néolibérales, en développant des arguments contre le Consensus de Washington et en multipliant les rencontres internationales. Ils ont fondé des réseaux qui ont joué un rôle fondamental dans le mouvement comme ATTAC, Global Trade Watch, the Transnational Institute, Focus on the Global South, Jubilee South. Cette époque a également été marquée par la multiplication des « contre-sommets », autour des grandes rencontres des institutions internationales. Les mobilisations altermondialistes à Seattle en 1999 et l’échec du sommet de l’Organisation Mondiale du Commerce ont eu une grande portée symbolique et ont incarné le message central de l’altermondialisme : de « simples citoyens » peuvent avoir un impact jusqu’au plus haut niveau de décision international.

2001-2005 : Les Forums Sociaux au cœur du mouvement

Tous ces acteurs se sont retrouvés au premier Forum Social Mondial, organisé à Porto Alegre (Brésil) en janvier 2001 et qui marque le début d’une nouvelle phase. Au cours des cinq années qui suivirent, des centaines de Forums Sociaux furent organisés au niveau local, national, continental et mondial. Plutôt que l’opposition à une institution internationale qui fut au cœur des contre-sommets, les forums ont pour objectif de favoriser les échanges entre des militants de différentes parties du monde autour des alternatives qu’ils mettent en œuvre. Le premier Forum Social Européen de Florence, le Forum Social Mondial 2004 à Mumbai et le Forum Social Mondial 2005 à Porto Alegre, qui ont respectivement rassemblé 50.000, 120.000 et 170.000 personnes, figurent parmi les plus grands succès de l’altermondialisme, tant au niveau de la mobilisation populaire et des échanges qui s’y sont créés autour de différents espaces thématiques qu’en matière d’organisation, plus ouverte et horizontale que les éditions antérieures des Forums Sociaux.

Contrairement aux prédictions de nombreux intellectuels, l’altermondialisme n’a pas décliné après le 11 septembre 2001, mais a au contraire connu ses plus grands succès populaires et un important écho dans l’opinion publique et les médias dans les années qui suivirent. L’opposition à la guerre en Afghanistan et en Iraq fut un axe majeur du mouvement entre 2002 et 2004. L’initiative de la manifestation globale qui a rassemblé entre 10 et 20 millions de personnes le 15 février 2003 a par exemple été lancée par les Forums Sociaux. Au cours de cette période, les Forums Sociaux ont bénéficié d’un tel écho populaire et médiatique que les leaders progressistes latino-américains s’y sont régulièrement retrouvés et que même des politiciens de droite ou des représentants de la Banque Mondiale ont voulu y participer. Cette période correspond aussi à l’arrivée au pouvoir de gouvernements progressistes en Amérique latine.

2006-2010 : Une autre géographie

Après 2005, plusieurs rencontres altermondialistes ont connu des résultats plus mitigés. Bien qu’ils montraient la capacité du mouvement à s’étendre géographiquement et à mieux intégrer l’Afrique, le Forum Social Mondial « polycentrique » de 2006, tenu à Bamako, Caracas et Karachi, le FSM 2009 à Nairobi et le Forum Social Mondial 2011 à Dakar n’ont pas tenu toutes leurs promesses. Le nombre de participants a considérablement décliné (entre 15.000 et 50.000 pour chacun de ces forums), l’intégration des organisations populaires a souvent été plus compliquée. C’est aussi au cours de cette période que certains réseaux jusqu’alors particulièrement dynamiques ont disparu (comme le « Movimiento de Resistencia Global » de Barcelone qui s’est auto-dissous) ou ont connu des problèmes internes dont ils ne se sont jamais complètement relevés, comme c’est le cas d’ATTAC en France ou des Wombles en Angleterre).

Paradoxalement, le mouvement altermondialiste a semblé en difficulté au moment même où l’idéologie néolibérale était de plus en plus questionnée. Au cours de cette époque, le mouvement a cependant rencontré un certain succès au moins à trois niveaux : une extension géographique dans des régions jugées symboliques ou stratégiques (l’Afrique, les États-Unis, le monde arabe), les convergences autour des questions environnementales et la délégitimation du Consensus de Washington.

Premièrement, la dynamique des Forums Sociaux s’est étendue dans des régions jugées symboliques ou stratégiques. L’Afrique subsaharienne a accueilli trois Forums Sociaux Mondiaux et des dizaines de Forums continentaux ou nationaux. 15.000 militants, essentiellement issus des couches populaires, ont participé à chacun des Forums Sociaux des États-Unis à Atlanta (2007) et Détroit (2010) dont les principales discussions ont porté sur le racisme, les travailleurs domestiques, les migrants, le droit à la ville ou les mouvements autour de l’alimentation. Mais c’est surtout dans le monde arabe que les Forums Sociaux se sont multipliés. Sept forums internationaux y ont par exemple été organisés en octobre et novembre 2010. Les 130.000 participants au Forum Social Mondial 2009 à Bélem ont par ailleurs montré que le succès de l’altermondialisme ne se démentait pas en Amérique latine, où plusieurs régimes progressistes restent au pouvoir.

Ce Forum en Amazonie a également illustré la place croissante prise par les thématiques environnementales au sein du mouvement altermondialiste. En décembre de la même année, altermondialistes et écologistes étaient mobilisés au Sommet Mondial pour le Climat à Copenhague et en mars 2010, le « Sommet des peuples contre le changement climatique » a réuni 25.000 personnes, venant de 147 pays à Cochabamba, en Bolivie, illustrant la contribution des indigènes au mouvement.

La crise économique et financière qui commençait en 2007 terminait de délégitimer l’idéologie néolibérale. Les négociations pour la libéralisation du commerce à l’OMC ont été une succession d’échec à Seattle (1999), Cancun (2003), Hong Kong (2005) and Geneva (2008) et les gouvernements latino-américains ont enterré la Zone de Libre Echange des Amériques lors du sommet continental de 2005 et mettent sur pied une « Banque du Sud » qui remplace la Banque Mondiale dans la région. Les premières réunions du G20 en 2008 prenaient les paradis fiscaux pour cible et même Nicolas Sarkozy affirmait que « L’idéologie de la dictature des marchés et de l’impuissance des pouvoirs publics est morte avec la crise financière [2] ». Les analyses des altermondialistes semblaient confirmées par la crise et leurs discours trouvaient un nouvel écho. Pourtant, quelques années plus tard, les paradis fiscaux sont toujours actifs, le FMI a vu son budget triplé et dès 2010 les bonus des traders ont battu de nouveaux records. Le retour de l’Etat pour sauver le secteur bancaire a été suivi par des politiques d’austérité. Discrédité idéologiquement, le néolibéralisme « zombie [3] » continue d’orienter les politiques économiques, rappelant aux altermondialistes qu’aussi profonde soit-elle, la crise ne génère pas d’elle-même un changement de société. Celui-ci dépend de la capacité des acteurs sociaux de lui donner un sens, de soulever les questions posées par la conjoncture historique et d’avancer des visions politiques et une rationalité économique alternatives. Les acteurs du mouvement altermondialiste n’en ont pas eu la force. Jusqu’à ce qu’une nouvelle génération de militants porte le débat jusqu’à la une des quotidiens financiers.

Depuis 2011 : Une nouvelle génération

Entre 2005 et 2010, le monde arabe a été la région où se sont tenus le plus grand nombre de forums sociaux internationaux. C’est de cette région qu’est partie en 2011 une vague globale de mouvements. Ils ont dénoncé les politiques d’austérité, en rappelant que ce sont les dérives de la finance et non celle des Etats sociaux qui étaient à l’origine de la crise. Au-delà de la crise économique, les « indignés » et le mouvement « occupy » ont surtout dénoncé la crise de la démocratie. Ils se sont insurgés contre l’absence de choix offert par les principaux partis de la démocratie représentative, contre les inégalités et contre la collusion entre les « 1% » les plus riches et les dirigeants politiques. Pour les indignés et les activistes d’Occupy, la démocratie n’est pas qu’une revendication, elle est aussi (et surtout) une pratique. L’expérimentation d’une démocratie directe, participative et horizontale dans les débats, les processus et l’organisation de la vie quotidienne était le cœur de leurs campements et de leurs assemblées de quartier.

Extrêmement médiatisés, les campements des indignés et des mouvements « Occupy » étaient également sporadiques. Ils ne sont cependant que la pointe de l’iceberg. Face à la crise, contre les politiques d’austérité, des milliers d’initiatives citoyennes se développent pour dépasser les limites structurelles de la démocratie représentative, notamment en Europe. Les mouvements pour une alimentation locale et conviviale sont en pleine expansion et convergent avec d’autres initiatives d’économies sociales et solidaires [4]. Des réseaux d’experts engagés tentent de peser sur certaines politiques européennes et poursuivent le long travail d’éducation populaire autour d’enjeux complexes. Enfin, les manifestations contre l’austérité se multiplient en Europe, mais alors que ces mouvements se coordonnaient au niveau continental ou global il y a une décennie, les mobilisations contre l’austérité se succèdent mais ne dépassent pas le cadre national.

par Geoffrey Pleyers, le 29 mars 2013

Pour citer cet article :

Geoffrey Pleyers, « Brève histoire du mouvement altermondialiste », La Vie des idées , 29 mars 2013. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Breve-histoire-du-mouvement

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Notes

[1Mario Pianta, « Parallel Summits of Global Civil Society », in Helmut Anheier, Marlies Glasius and Mary Kaldor (eds) Global Civil Society 2001, Oxford, Oxford University Press, 2001, pp. 169-194.

[2Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur les mesures de soutien à l’économie face à la crise économique internationale, Argonay le 23 octobre 2008.

[3Colin Crouch, The Strange Non-Death of Neoliberalism, Oxford, Polity Press, 2011.

[4Manuel Castells, Aftermath : the cultures of the economic crisis, Oxford, Oxford University Press, 2012.

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