Les crises internationales – comme la Guerre en Ukraine – peuvent-elles être anticipées et peut-être même évitées grâce à l’utilisation de données quantitatives et de modèles mathématiques ? Traditionnellement, la gestion des crises internationales a été considérée comme un « art » et non comme une « science ». La politique étrangère a longtemps été considérée comme l’apanage de diplomates habiles, naviguant dans la complexité des relations internationales avec empathie et intuition. Même dans les démocraties capitalistes modernes, la diplomatie conserve un certain degré d’autonomie institutionnelle par rapport aux considérations d’efficacité managériale, de planification bureaucratique et de calculs coûts-bénéfices utilitaristes. Cependant, une tendance généralisée vers la « gouvernance par les nombres » [1] diagnostiquée par Alain Supiot pour le domaine de politiques intérieures, commence à façonner aussi la politique étrangère.
Si la marche en avant vers la quantification des affaires internationales est indubitable, son utilité est moins évidente. Plus de trente ans après l’effondrement de l’Union soviétique, événement qui avait pris les gouvernements et les universitaires par surprise, les outils quantitatifs semblent avoir peu contribué à prévoir – et encore moins à éviter – la guerre actuelle entre la Russie et l’Ukraine.
La prédiction par les nombres
Au cours de la dernière décennie, un certain nombre d’initiatives ont été lancées – par des organisations internationales ainsi que par les gouvernements nationaux et leurs agences de renseignement – visant à améliorer la compréhension et la gestion des crises internationales grâce à l’exploitation de données quantitatives. Les exemples sont nombreux : les Nations unies ont mis en œuvre le projet « UN Global Pulse » visant à renforcer les capacités de réponse aux crises grâce aux données issues de sources multiples ; elles développent actuellement des modèles pour mieux gérer la pandémie de COVID-19. Le ministère fédéral allemand des Affaires étrangères a mis en place PREVIEW, un « outil d’alerte précoce », qui permettrait aux responsables d’agir « plus tôt, plus déterminée et de manière plus substantielle » afin d’empêcher l’aggravation des conflits. Et la CIA recrute activement des data scientists capables de développer des algorithmes et des méthodes statistiques pour détecter des modèles et des corrélations dans des bases de données massives. Toutes ces initiatives mobilisent un éventail de sources, allant de bases de données universitaires telles que l’Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED) aux données commerciales collectées par des acteurs privés, y compris des startups axées sur le renseignement comme Preligens, et aux données collectées en interne, grâce à l’utilisation de renseignements open source et traditionnels.
Les attentes concernant la prévention des conflits grâce à l’utilisation systématique de données quantitatives sont énormes. Sherdon Himmelfarb, l’un des chercheurs les plus éminents du domaine, imagine ainsi que « le calcul des nombres et l’identification des corrélations pourraient détenir la clé pour prédire et prévenir les conflits » [2]. Ces espoirs reflètent la variété et la masse croissantes des données disponibles, les moyens informatiques d’analyser tout type de données, y compris non structurées, et les efforts des spécialistes des sciences sociales pour formuler des mécanismes causaux permettant d’expliquer les origines et les dynamiques des conflits violents à travers le temps et l’espace.
Raisonnement quantitatif : trois perceptions erronées de la guerre en Ukraine
La guerre en Ukraine illustre certaines des limites et des dangers de l’élaboration des politiques à l’aide des données quantitatives sur les conflits. Initialement, l’annonce par le président russe Vladimir Poutine d’une « opération militaire spéciale » le matin du 24 février semblait confirmer donner raison aux alertes énoncées par les gouvernements de Londres et de Washington. Deux décennies après leurs appréciations erronées qui servaient à justifier l’invasion de l’Irak, les agences de renseignement anglo-américaines pouvaient espérer rétablir leur réputation. Si des sources américaines et britanniques avaient identifié la période de l’offensive des semaines à l’avance, leur campagne publique inhabituelle avait commencé l’automne précédent, lorsque des photos aériennes ont révélé pour la première fois le rassemblement des forces russes près de la frontière ukrainienne. En novembre 2021, le directeur américain du renseignement national a informé l’OTAN de la question et, au début du mois suivant, le Washington Post a publié les détails d’un plan opérationnel de l’invasion.
Selon la BBC, ces avertissements étaient en partie le produit de l’analyse systématique du renseignement open source et de l’imagerie satellitaire commerciale [3]. Pourtant, les gouvernements et les services de renseignement d’Europe occidentale ont largement écarté la possibilité d’une offensive russe et ont réagi avec incrédulité au déclenchement d’une guerre terrestre à grande échelle en Europe. Symptomatiquement, quelques semaines après le début de l’invasion, le président français Emmanuel Macron a avoué que lui et ses homologues européens avaient été pris au dépourvu parce que Poutine avait rompu avec la « linéarité » du conflit qui couvait depuis longtemps [4].
De plus, les fanfaronnades à Washington sur la précision des prévisions des hostilités ont rapidement cédé la place à une évaluation plus médiocre du cours de la bataille elle-même. Aussi exactes soient-elles dans leur anticipation, les autorités américaines ont admis avoir mal évalué l’issue des combats. Comme l’a commenté le commandant du Corps des Marines David H. Berger à la mi-mars 2022, les modèles informatiques et les war games virtuels auraient prévu une déroute des forces ukrainiennes au bout de trois à quatre jours ; une focalisation étroite sur les détails techniques des systèmes d’armes et d’autres indicateurs a masqué, toujours selon lui, des qualités moins tangibles des forces morales et de l’élément « humain » [5].
Bien que les services de renseignement américains aient correctement prédit le déclenchement de la guerre, l’invasion a été une surprise pour ces analystes des conflits basés en Europe et aux États-Unis qui tentent d’établir des tendances générales dans l’apparition des guerres sur la base de données minutieusement compilées et codées. Ainsi, l’Institut de recherche sur la paix d’Oslo (PRIO), l’un des principaux centres de recherche sur la guerre en Europe, prédit depuis des décennies une réduction mondiale de la violence interétatique. Selon les logiques de catégorisation de la base de données du PRIO, qui définit le conflit armé selon le seuil annuel minimal de vingt-cinq morts sur le champ de bataille, l’intervention russe en Géorgie en 2008 – par exemple – a été codée comme une guerre civile, opposant le gouvernement géorgien à l’Ossétie du Sud. Le Baromètre des conflits de Heidelberg Institute for International Conflict Research (HIIK), pour sa part, a classé avant 2022 le conflit entre la Russie et l’Ukraine comme « non-violent », son intensité étant codée comme 2 sur une échelle de 1 à 5.
De telles évaluations donnent une idée des contraintes imposées par le recours à des données agrégées sur les événements historiques complexes. Même si les tensions entre la Russie et l’OTAN se sont multipliées dans les années 2000 et 2010, les principales bases de données sur les conflits n’en ont guère pris note. Cela a sans doute contribué à la notion panglossienne selon laquelle la guerre interétatique avait disparu, du moins en Europe, cédant peut-être à ce que Mary Kaldor et d’autres ont appelé de « nouvelles guerres » [6], caractérisées par leur manque de motivation idéologique, d’organisation politique et de contrôle de l’État. Il n’est donc pas étonnant que les commentateurs et les dirigeants politiques aient été poussés à voir dans la guerre actuelle en Ukraine rien de moins que la réapparition de l’Histoire elle-même, le choc sanglant des armes et des idées que l’on pensait avoir été reléguées à la poubelle avec la chute de l’Union soviétique [7].
Six mois après l’attaque initiale, nous pouvons identifier trois limites méthodologiques inhérentes à l’analyse quantitative des conflits comme moyen d’anticiper la guerre : une incapacité à saisir des événements singuliers qui changent les dynamiques « linéaires » de la violence ; la difficulté de quantifier des facteurs psychologiques tels que les intentions et les émotions ; et l’hypothèse corollaire de rationalité universelle qui est typiquement à la base des politiques de dissuasion et de sanctions.
Des catastrophes singulières
Si les expressions d’étonnement face au « retour » de la guerre en Europe révèlent clairement un certain ethnocentrisme, elles reflètent également l’influence des études quantitatives sur la futurologie. Les tentatives de prédire les conflits sur la base d’indicateurs historiques agrégés impliquent trop souvent une projection linéaire des tendances passées vers un avenir inconnu. Les événements singuliers ont tendance à être omis comme insignifiants justement parce qu’ils se produisent si rarement, quelle que soit la gravité de leurs effets potentiels (par exemple, l’utilisation potentielle d’armes nucléaires). La pensée quantitative et corrélationnelle a du mal à s’adapter au phénomène du soi-disant « cygne noir », c’est-à-dire un événement rare mais significatif qui transforme fondamentalement les dynamiques existantes. Comme l’illustre la guerre en Ukraine, des événements exceptionnels se produisent ; lorsqu’ils le font, nous pouvons nous attendre à ce qu’ils aient des conséquences plus dramatiques que des contingences plus ponctuelles et prévisibles, telles que des différends frontaliers ou des attaques dites terroristes.
Capacités, intentions et forces morales
Une deuxième perception erronée avancée par les quantificateurs est l’idée selon laquelle les éventuelles confrontations militaires peuvent être analysées de manière étroite, en termes de forces matérielles qui peuvent être facilement comptées (comme le nombre de troupes, les budgets, les mouvements physiques...). L’hypothèse commune, visible dans les débats récents autour de la réapparition de la « guerre de haute intensité », maintient que l’équilibre des forces entre les parties belligérantes peut être mesuré en termes de nombres de soldats et niveaux des équipements. La victoire est donc supposée être un simple résultat des capacités et ressources supérieures d’une partie. Les analystes surveillent chaque changement dans la capacité militaire des adversaires potentiels, à partir de laquelle ils dérivent les buts probables. Le rythme et l’échelle selon lesquels les États s’arment et acquièrent ou développent de nouveaux systèmes d’armement peuvent donc être considérés comme les preuves de leurs intentions agressives, ou de leur absence. Cette ligne d’interprétation, fondée entre autres sur les totalisations des dépenses militaires mondiales produites par le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), ne prend pas en compte d’autres moyens de comprendre l’articulation entre capacités et intentions, y compris l’importance des personnalités, de la culture politique et des relations entre l’État et sa société [8]. Comme l’a fait valoir Clausewitz, le grand penseur de la guerre, ces facteurs humains signifient que l’issue du combat ne dépend pas seulement de ce qui peut être compté, et que toutes les guerres sont régies par une contingence irréductible et par une poussée inhérente vers l’escalade.
Dans le contexte actuel, beaucoup de ceux qui ont correctement anticipé l’invasion russe ne s’attendaient pas à ce que l’Ukraine résiste à l’attaque, étant donné que le pays dépense environ 6 milliards d’euros par an pour ses forces armées, alors que la Russie y consacre environ dix fois plus. Si des subventions américaines massives ont corrigé cet écart, le cours initial des hostilités a également illustré l’importance de facteurs psychologiques, tels que la détermination, la créativité tactique et la cohésion.
Malgré les expériences du Vietnam, de l’Afghanistan et de l’Irak, les dirigeants politiques et militaires occidentaux continuent de sous-estimer les forces morales en tant que facteur déterminant les résultats sur le champ de bataille. L’idée selon laquelle que la valeur du terrain et la détermination au combat ne sont pas les mêmes pour le défenseur et l’attaquant est souvent oubliée. Les contraintes imposées à l’agresseur résultant des considérations logistiques et d’un possible manque de soutien de la population dans les territoires occupés sont également trop souvent omises.
Mais surtout, la vision quantitative ne peut donner un sens aux causes profondes de la guerre. Prendre les capacités militaires comme un substitut des motifs et des intérêts ne peut remplacer la recherche plus minutieuse et ambiguë d’explications qualitatives. L’énumération des armes et des soldats promet une explication parcimonieuse et permet d’attribuer la responsabilité à un ennemi identifié et agressif, sans tenir compte des racines d’un conflit donné.
Illusions de dissuasion
Enfin, une troisième perception erronée que nous pourrions associer à l’analyse quantitative est l’hypothèse selon laquelle toutes les parties au conflit prennent leurs décisions sur la base de la même rationalité universelle d’un calcul coûts-bénéfices. La dissuasion en est un exemple canonique. Selon ce concept, plus vos forces armées sont grandes et mieux équipées, et plus vos alliés sont puissants, plus votre capacité à infliger des dommages à un agresseur potentiel et donc à décourager la belligérance est plausible. De ce point de vue, la seule réponse cohérente dont dispose « l’Occident » dans la crise actuelle est de sanctionner la Russie, de fournir des armes à l’Ukraine et de faire avancer l’élargissement de l’OTAN. Les dirigeants russes sont probablement censés comprendre que la poursuite de la guerre coûte plus cher que d’y mettre fin. Il est tout sauf clair que le Kremlin partage cette analyse, ce qui suggère l’indifférence aux intérêts spécifiques ou aux émotions qui motivent les dirigeants russes et à la manière dont les sanctions économiques et l’élargissement de l’OTAN sont perçus comme la preuve de l’hostilité occidentale. Paradoxalement, le gouvernement pourrait même bénéficier de ces réactions à travers un baume patriotique et un renforcement de sa légitimité.
Comment (ne pas) utiliser les données en l’absence de volonté politique
Même si les analystes quantitatifs s’attaquaient à ces lacunes, cela se traduirait-il automatiquement par une meilleure prise de décision politique ? Le cas de l’UE en est un bon exemple.
Selon le Traité de Maastricht, l’UE cherche à « préserver la paix, prévenir les conflits et renforcer la sécurité internationale, conformément aux objectifs et aux principes de la Charte des Nations Unies ». Né de la guerre dans l’ex-Yougoslavie, pendant laquelle l’Union a été accusée de réagir trop lentement, le mandat de prévention des conflits de l’UE a assuré le passage d’une « gestion de crise » réactive à une stratégie de prévention plus proactive. Bien que l’hésitation dans les Balkans résulte au moins en partie de la difficulté à obtenir un consensus politique entre les États membres, l’auto-évaluation de l’UE s’est concentrée sur la promotion d’instruments technocratiques d’« alerte précoce », tels que le système d’alerte précoce sur les conflits (EU Conflict Early Warning System, EWS) de l’UE. Selon son document d’orientation politique,
EWS est un outil de gestion des risques fondé sur des données probantes qui identifie, hiérarchise et évalue les situations à risque de conflit violent dans les pays non membres de l’UE, en se concentrant sur les facteurs de risque structurels sur un horizon temporel allant jusqu’à quatre ans. Le EWS de l’UE cherche à identifier les opportunités de prévention des conflits et de consolidation de la paix par le biais d’une analyse commune et partagée et à développer des réponses opportunes, pertinentes, cohérentes et sensibles aux conflits afin de prévenir l’émergence, la réémergence ou l’escalade de la violence. [9]
L’EWS utilise un indicateur appelé Global Conflict Risk Index qui regroupe des informations provenant de bases de données open source afin d’identifier les pays et les régions à risque de conflit violent. Cette évaluation quantitative des risques, basée sur des indicateurs politiques, militaires, socio-économiques et structurels, est conçue pour alerter les décideurs de l’UE sur des événements potentiellement aggravants au fur et à mesure de leur évolution, permettant ainsi l’élaboration de stratégies diplomatiques, économiques et sécuritaires appropriées avant même qu’une crise émergente s’aggrave. Mais ce mécanisme a manifestement peu contribué à désamorcer la crise en Ukraine. Jusqu’au moment de l’invasion, l’UE est restée à l’écart dans le débat autour du renforcement militaire russe le long des frontières ukrainiennes. Les gouvernements et services de renseignement européens auraient néanmoins pu conclure, même à la lumière des informations imparfaites dont ils disposaient (apparemment les mêmes que leurs alliés britanniques et américains), que la guerre était probable.
En effet, en décembre 2021, le Parlement européen a adopté une résolution demandant à la Commission européenne et aux États-membres de préparer
l’adoption de sanctions économiques et financières sévères, en étroite coordination avec les États-Unis, l’OTAN et d’autres partenaires, afin de faire face aux menaces immédiates et crédibles que représente la Russie, plutôt que d’attendre une nouvelle invasion pour agir. [10]
Mais aucune initiative diplomatique significative n’a accompagné ce discours dur, et les sanctions européennes finalement adoptées ont été entièrement réactives, à commencer par la réponse à la reconnaissance russe des républiques séparatistes de Donetsk et de Lougansk le 23 février 2022 [11].
La boussole stratégique de l’UE : rajouter une couche bureaucratique ?
L’incapacité de l’UE à anticiper et à réagir de manière proactive à la crise en Ukraine jette une lumière révélatrice sur son livre blanc récemment publié, la Boussole stratégique (Strategic Compass). Publié en première version en novembre 2021, le document vise à définir l’orientation à moyen terme de la politique de sécurité et de défense de l’UE, dans le but de faire de l’Union un acteur international plus proactif, visible et efficace [12]. Cependant, plutôt que d’étudier comment les intérêts politiques divergents des États membres de l’UE pourraient être harmonisés, conformément à d’autres domaines politiques de l’UE, la boussole stratégique promet de rajouter une couche administrative en termes de gouvernance par les nombres : plus de coordination apolitique, plus de collectes de données, plus d’analyse quantitative. Dans une langue de bois bureaucratique en contradiction flagrante avec l’ampleur des risques et menaces, le document proclame :
Nous investirons davantage dans l’analyse commune afin d’améliorer notre appréciation de la situation et notre prospective stratégique, en nous appuyant sur notre système d’alerte rapide et notre mécanisme d’analyse prospective. Nous renforcerons notre appréciation de la situation fondée sur le renseignement et les capacités pertinentes de l’UE, notamment dans le cadre de la capacité unique d’analyse du renseignement de l’UE, ainsi que du Centre satellitaire de l’UE. […] Nous renforcerons le rôle de la capacité unique d’analyse du renseignement de l’UE en tant que point d’entrée unique pour les contributions apportées en matière de renseignement stratégique par les services de renseignement et de sécurité civils et militaires des États membres.
Il serait naïf de croire que les acteurs politiques et militaires n’agissent que selon les données et des « tendances » observées. En l’espèce, la décision d’imposer des sanctions à la Russie et d’armer l’Ukraine était indubitablement politique. Cependant, les « données concrètes » servent trop souvent à occulter les enjeux derrière les décisions de ce type, en les présentant comme des politiques non idéologiques, objectives et fondées sur des données probantes. Le langage managérial de la Commission européenne semble suggérer que les sanctions contre la Russie ne sont qu’un outil technique pour « réparer » un ordre brisé :
Les mesures restrictives ou « sanctions » constituent un instrument essentiel de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l’UE. Elles sont utilisées par l’UE dans le cadre d’une action intégrée et globale, qui inclut un dialogue politique, des mesures complémentaires et le recours à d’autres instruments qui sont à la disposition de l’UE.
Débat démocratique et volonté politique
Même les outils des sciences sociales les plus sophistiqués ne peuvent saisir pleinement la nature intrinsèquement politique de la guerre. Comme nous l’avons déjà noté, les gouvernements et les populations n’agissent pas selon une rationalité uniforme et universelle. De même, prendre au sérieux le caractère politique des conflits armés signifie reconnaître que la volonté politique fait partie intégrante de la prévention et de la désescalade réussies des hostilités. Dans la guerre entre la Russie et l’Ukraine, cela implique une considération lucide des objectifs et des moyens. Par exemple, quels coûts intérieurs l’UE est-elle prête à assumer pour « punir » l’agression russe ? Y a-t-il vraiment un enthousiasme populaire pour une nouvelle guerre froide et une flambée des prix de l’énergie pour les années à venir ? Parler de sécurité énergétique pourrait-il raviver les visions d’autonomie stratégique ?
Essayer de quantifier les coûts et les conséquences des réponses possibles ne peut être qu’une première étape. Au-delà de la question ouverte de savoir dans quelle mesure les sanctions de l’UE ont été efficaces pour atteindre leur objectif déclaré, la décision de réduire les importations de combustibles fossiles en provenance de Russie a été prise sans débat substantiel concernant l’impact politique, économique et social sur les États membres de l’UE eux-mêmes. Alors que l’été se transforme en automne, il est de plus en plus clair que des questions politiques essentielles seront posées, notamment la répartition des coûts, la priorité relative des besoins de consommation des citoyens par rapport aux demandes de l’industrie et la contradiction entre la mobilisation pour lutter contre le « changement climatique » et la ruée vers des ressources facilement disponibles, aussi polluantes soient-elles.
La production de scénarios fiables à court et à moyen terme à l’aide des données quantitatives disponibles peut être utile lorsqu’il s’agit d’informer les citoyens et les décideurs des implications de ces choix. Cependant, il ne faut pas supposer qu’il existe un consensus en ce qui concerne l’équilibre le plus « rationnel » entre les coûts intérieurs pour les sociétés européennes et le désir de pénaliser la Russie. Ce qu’il faut de toute urgence, c’est plutôt un débat véritablement démocratique, tant au niveau de l’UE qu’au niveau national, et un débat public sur les options et les instruments possibles. Une telle approche, plutôt que l’investissement coûteux dans de nouveaux outils bureaucratiques et des technologies militaires, ne pourrait que favoriser la cohésion et la sécurité.