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Défiance en France

mardi 16 octobre 2007



Recensé :

Yann Algan, Pierre Cahuc, La Société de défiance. Comment le modèle social français s’auto-détruit, Paris, Editions Rue d’Ulm, octobre 2007.

Dans leur note récemment publiée par le Centre pour la recherche économique et ses applications (Cepremap), La Société de défiance, les deux économistes Pierre Cahuc et Yann Algan mettent en avant le niveau élevé de défiance et d’incivisme qui caractériserait la société française par rapport à la plupart de ses homologues occidentales. Pour le montrer, ils s’appuient notamment sur les enquêtes internationales World Values Survey. Les données sont en effet spectaculaires et justifient largement l’inquiétude : elles forment la substance de la première partie de l’étude. Une majorité de Français serait ainsi convaincu que, pour arriver au sommet, il est nécessaire d’être corrompu. Les Français affichent également le troisième plus mauvais résultat des pays étudiés quant à la confiance placée dans le système judiciaire. Ils sont à peine plus de 20% à déclarer qu’en règle général, on peut faire confiance aux autres. Etc.

On pourrait toutefois se demander, à considérer ces données de plus près, si c’est le cas français qui constitue l’exception la plus nette (aux côtés de quelques autres, comme le cas italien), ou s’il ne faudrait pas plutôt mettre l’accent sur l’exceptionnel niveau de confiance des sociétés scandinaves qui se situent à l’autre extrémité du spectre et tirent l’ensemble des moyennes vers le haut. Cette interrogation légitime n’enlève cependant rien à la nécessité de pousser plus avant la réflexion sur la France. D’où viennent la défiance et l’incivisme français ? Pourquoi les citoyens de ce pays se méfient-ils autant les uns des autres, de leurs institutions et du marché ? Est-ce un fait culturel et, en cela, largement transhistorique ? Les auteurs écartent rapidement cette hypothèse trop simple, ainsi que les clichés qui l’accompagnent d’ordinaire. La défiance française a en effet son histoire : elle ne fut pas toujours aussi élevée qu’aujourd’hui. Selon P. Cahuc et Y. Algan, c’est du côté de l’étatisme et du corporatisme tels qu’ils se conjuguent et se déploient dans les décennies d’après-guerre qu’il faut chercher l’origine et la cause de ce mal. Et du côté de nouvelles procédures publiques et économiques qu’il faudrait en imaginer le remède. De ce point de vue, l’exception scandinave pourrait être examinée de plus près, car la confiance que les citoyens suédois ou norvégiens placent dans leurs institutions et dans leurs compatriotes ne tient pas seulement, là non plus, à leurs dispositions culturelles, mais aussi à la transparence de ces institutions et au fait que lesdits citoyens ont le sentiment de pouvoir exercer sur elles une influence réelle et vertueuse.

Si elle ne fait pas l’unanimité, cette note conserve ainsi l’immense intérêt de susciter la discussion sur un ensemble de questions particulièrement sensibles.

Francis Lamont


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