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Recension Société

La politique d’immigration sarkozyenne

À propos de : A.-I. Barthélémy, C. Benoît, V. Berthe et al., Cette France-là, vol. 1, 06 05 2007/30 06 2008, La Découverte.


par Claire Marynower , le 31 août 2009


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Dans un livre collectif profondément original, vingt-trois contributeurs analysent les modalités du traitement des étrangers en France. Leur étude, à la fois exploration des processus administratifs et description de parcours individuels et collectifs, dépasse le stade de l’indignation pour évaluer les résultats politiques et sociaux de la politique française d’immigration « choisie ».

Recensé : Anne-Isabelle Barthélémy, Catherine Benoît, Vincent Berthe et al., Cette France-là, vol. 1, 06 05 2007/30 06 2008, Paris, La Découverte, 2009, 449 p. Premier tirage, édition reliée : 15 €. Second tirage, édition brochée : 14 €.

Quatre-vingts courts récits individuels ou familiaux ouvrent Cette France-là, après une introduction laconique : tous racontent l’échec d’une entreprise d’immigration en France. Ce sont des histoires d’expulsion et d’exclusion. Les auteurs, un collectif de journalistes, universitaires et militants associatifs, ont fondé en décembre 2007 l’association qui donne son titre à l’ouvrage. Prenant à la lettre le mot d’ordre de « rupture » mis en avant par le candidat à la présidence de la République devenu chef de l’État, ils s’interrogent sur les réalités et le sens des changements mis en œuvre par ce dernier dans le domaine de l’immigration. Les vingt-trois contributeurs se sont donné pour mission de suivre les modalités du traitement des étrangers dont les autorités ont jugé qu’ils devaient être « éloignés » du territoire français. Concevant leur entreprise sur toute la durée du mandat sarkozyen, ils se proposent de publier, annuellement, un rapport sur cette politique, ses pratiques, les résistances auxquelles elle donne lieu et les logiques dont elle se réclame.

Sur la couverture de ce premier volume, deux dates marquent les bornes de l’étape liminaire de ce projet : 6 mai 2007 et 30 juin 2008. Il s’agit de décrire la France qui a élu Nicolas Sarkozy dans son rapport aux étrangers, immigrés et clandestins. Car cet avènement portait en lui une promesse de rupture et même de ruptures : au premier rang de celles-ci, la création d’un ministère de l’Immigration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement. Quatre grands temps rythment ce voyage, qui se veut à la fois une exploration des logiques et pratiques de la politique d’immigration et une description de parcours individuels et collectifs. Les récits qui constituent la première partie de l’ouvrage retracent la vie, souvent tragique, de ceux qui sont soumis à des procédures d’éloignement. Arrivées clandestines sur le territoire français, travail au noir, refus de régularisation, arrestations, détentions et expulsions forment le lot commun des quatre-vingt cas mis en exergue. Un second temps, intitulé « Descriptions », s’attache à suivre au plus près les réalités de la politique française d’immigration, en prenant pour point de départ la lettre de mission reçue par Brice Hortefeux des mains du président de la République. Dans une troisième partie, la forme des récits réapparaît : en miroir des portraits inauguraux d’étrangers figurent ceux des acteurs mêmes de cette rupture, vingt-et-un préfets dont l’action à l’égard des immigrés est soumise à un examen précis. Enfin, une partie conclusive a pour titre « Interrogations » : la réflexion porte alors sur la cohérence de la politique française d’immigration, mais aussi et surtout sur sa signification et sa portée.

Car les auteurs veulent dépasser le stade de l’indignation et poser la question de l’efficacité économique, politique et sociale des objectifs, notamment chiffrés, assignés à l’action du nouveau ministère et des administrations. Ils sont animés par une volonté d’analyser, de détailler, d’évaluer les mécanismes et les résultats de la politique française d’« immigration choisie ». Satisfait-elle réellement les besoins économiques de la France ? Que suppose la nouvelle « culture du résultat » ?

Des perspectives stimulantes sont ouvertes par les auteurs. Parmi elles, on découvre une réflexion sur le caractère sexué des politiques migratoires. « Le corps des femmes étrangères […] devient à proprement parler un enjeu d’identité nationale » (p. 117) : il est en effet au cœur des attentions politiques et médiatiques. Prostituée, femme de l’immigration, fille des quartiers : ces figures récurrentes, caricaturales et floues, sont au centre de la conception d’une « immigration subie », que l’on refuse au nom même de la liberté des individus qu’elle concerne. La dénonciation des violences subies par ces femmes est au centre d’une politique de définition de l’identité nationale, adossée à l’idée d’une modernité relationnelle et sexuelle. Mais la politique française de l’immigration, c’est aussi la publicité des objectifs chiffrés d’étrangers devant être reconduits aux frontières. Cette stratégie est lourde de conséquences dans l’analyse qu’en font les auteurs : « Création d’un climat propice à la délation que l’on pourrait qualifier de républicaine » (p. 105), qui fait écho aux propos du successeur de Brice Hortefeux [1] ; association des entreprises et des particuliers au projet de refoulement des clandestins (que l’on songe aux compagnies aériennes, aux banques ou aux employeurs) ; caractère transversal de l’autorité du ministre de l’Immigration sur les services administratifs, tous les agents de l’État potentiellement en contact avec des étrangers lui étant soumis.

Quel est donc le profil de « l’immigré choisi », idéal ? Contrairement aux déclarations présidentielles sur le destin de la France, « patrie des droits de l’homme », les victimes de persécutions politiques ne semblent pas faire partie de ceux que les autorités choisissent d’accueillir. Cette immigration désirable est conçue comme devant être diverse en termes d’origines et de professions. La mise en place de quotas nationaux et professionnels a cependant été contrariée par l’avis contraire de la commission dirigée par l’ancien président du Conseil constitutionnel, Pierre Mazeaud, en juillet 2008 [2]. L’option choisie est désormais celle des accords bilatéraux sur les flux migratoires, qui constituent la majeure partie de l’activité du ministère dans sa troisième attribution, le « codéveloppement » ou « développement solidaire ». L’immigré désirable, c’est surtout celui qui contribue au développement économique, scientifique et culturel de la France [3]. Mais les auteurs soulignent l’asymétrie des mesures mises en place par l’État, qui consacre bien plus de moyens au refoulement de l’immigration jugée importune qu’à la mise en place d’une hospitalité sélective. Le ministère de l’Immigration serait-il une simple machine à expulsion ? Quelles sont les méthodes de cette politique française d’immigration et comment les mots d’ordre d’humanité et d’hospitalité choisie influent-ils sur celles-ci ?

Le souci « humanitaire » auquel la préoccupation d’efficacité est associée dans les discours est loin d’être un facteur de modération dans l’application des mesures d’éloignement. Ainsi a été mise en place une « technologie du soupçon », fondée sur des tests osseux, des tests de pilosité et des tests ADN (p. 157) et destinée à déterminer l’âge ou la filiation des étrangers. Sa fiabilité scientifique et ses justifications en termes éthiques continuent à faire l’objet de nombreuses interrogations. L’autonomie décisionnaire accrue des préfectures, par ailleurs, est un trait majeur de la politique actuelle d’immigration : tout se passe comme si ce versant des préoccupations du pouvoir devait échapper au débat national, et les « agents d’en bas » (p. 179) – fonctionnaires des préfectures, chefs et sous-chefs de bureau, policiers – se trouvent investis d’une marge de manœuvre des plus considérables. L’outre-mer français est au cœur d’un intéressant chapitre, qui révèle que l’existence d’un régime dérogatoire au droit commun fait de certaines parties de la République française – en particulier la Guyane, Mayotte, Saint-Martin et la Guadeloupe – des champs d’expérimentation législative et administrative dans le domaine de la lutte contre l’immigration clandestine. À la faveur notamment de certaines survivances coloniales, telle l’existence d’un statut civil local de droit coutumier, à côté du droit commun, sont aménagées des dérogations à ce dernier qui facilitent les mesures d’éloignement.

Les auteurs se livrent, dans la partie finale de l’ouvrage, à une évaluation de la politique française d’immigration mise en pratique au cours de cette première année de mandat présidentiel, en termes économique, démographique et juridique. Faisant leur le pragmatisme revendiqué des plus hautes autorités, ils posent la question de l’efficacité des pratiques mises en œuvre par rapport aux ambitions affichées. Il ressort de leur travail que la France est un des pays où la « pression migratoire » est la plus faible, le nombre de personnes nées à l’étranger résidant sur le territoire également. Les personnes qui forment les cortèges d’immigrés, en outre, bénéficient d’une qualification croissante et proviennent en majorité des pays dits « émergents » et non « en voie de développement ». « Toute la misère du monde » ne se presse pas donc aux portes de la France.

Autre idée reçue à laquelle s’attaquent les auteurs : les immigrés ne constituent pas un « fardeau » pour les finances publiques, mais contribuent à la croissance en tant que travailleurs et consommateurs, tandis qu’est évalué à plus de 2 milliards d’euros par an (p. 387), soit 0,1% du PIB de la France en 2008, le coût global des procédures d’interpellation, de rétention et d’éloignement. Ainsi, la politique de lutte contre l’immigration dite subie s’avère « profondément contreproducti[ve], à l’aune de la dynamisation de l’économie dont le chef de l’État se veut pourtant le champion » (p. 392). De même, les objectifs de rééquilibrage des échanges en faveur des pays du Sud et de renforcement de l’État de droit – quand l’essentiel des mesures d’éloignement sont d’origine administrative et ne laissent que peu de prise aux acteurs judiciaires – sont loin d’être atteints, selon les contributeurs. Dans une réflexion finale dont on peut regretter qu’elle ne soit pas plus développée, le pouvoir tel qu’il est exercé et justifié est questionné à travers le prisme de l’immigration, dans les rapports qu’entretiennent pratiques et discours, rhétorique et cohérence concrète des politiques.

À n’en point douter, Cette France-là est un livre politique, qui ne se prive pas des moyens rhétoriques, et recourt tantôt à l’ironie, tantôt à l’émotion et au sentiment d’humanité. Ses auteurs fondent cependant leur démarche de dénonciation sur des analyses fines et précises, car ils identifient justement les risques d’une simple posture compassionnelle en termes d’efficacité politique. Tout au long des 450 pages du livre, ils s’attachent à décrire scrupuleusement un système qui produit de l’humiliation et de l’arbitraire, une sorte de raison d’État à la logique évanescente.

Photo : « Vas-y montre ta carte ! », collage rue Charlot des photos de Fabien Breuvart, (cc) Dolarz

par Claire Marynower, le 31 août 2009

Aller plus loin

 Le site du livre : www.cettefrancela.net

Pour citer cet article :

Claire Marynower, « La politique d’immigration sarkozyenne », La Vie des idées , 31 août 2009. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/La-politique-d-immigration

Nota bene :

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Notes

[1Le 5 février 2009, Éric Besson a signé une circulaire permettant à des sans-papiers d’obtenir des titres de séjour en échange d’une « coopération » avec la police. Ce projet avait soulevé de vives critiques de la part de nombreuses associations de défense des droits des étrangers.

[2Commission chargée d’examiner le cadre constitutionnel de la nouvelle politique d’immigration, créée le 7 février 2008 et dirigée par Pierre Mazeaud.

[3Un titre de séjour provisoire de trois ans, dit « carte de compétences et de talent », a été créé pour favoriser l’accueil de certains étudiants et professionnels étrangers.

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