Recensé : Anne-Catherine Wagner, Les classes sociales dans la mondialisation, « Repères », éditions La Découverte », 2007, 117 pages, 8.50 euros.
C’est à l’analyse du rapport à l’espace mondial des différentes catégories sociales que se consacre le livre de la sociologue Anne-Catherine Wagner. Réunissant les résultats d’enquêtes sur « l’immigration dorée » et les carrières des syndicalistes européens, le livre se donne pour objectif de dégager de nouvelles dynamiques dans les processus de hiérarchisation économique et sociale. Quel est l’impact de l’internationalisation des échanges économiques sur les groupes sociaux ? Que produit ce processus d’internationalisation sur chacune des classes sociales ? Existe-t-il de nouvelles inégalités générées par ce phénomène ? Telles sont les principales questions posées dans ce livre.
Dans un premier chapitre historique, l’auteur rappelle que le mouvement de mondialisation des différentes catégories sociales n’est pas nouveau. Le cosmopolitisme de l’aristocratie s’illustre par exemple à Nice à la fin du XIXe siècle où se rejoignent les membres de la noblesse européenne en quête d’hiver ensoleillé. Le monde des affaires est également concerné par cette internationalisation des relations. Dès le XVIe siècle, les premières sociétés multinationales sont bâties par de grandes familles, c’est le cas pour les sociétés minières d’Europe centrale et de l’est. C’est sur ces réseaux et ces solidarités anciennes que s’établiront les rapports entre les membres de la bourgeoise internationale naissante du XIXe siècle. Enfin, le mouvement ouvrier est également touché par ces logiques d’internationalisation, ne serait-ce que par l’apport de la main d’œuvre immigrée à la classe ouvrière américaine ou française.
Le deuxième chapitre s’intéresse aux effets économiques et sociaux de la libéralisation des échanges sur les classes sociales et les rapports sociaux. Le recours aux analyses économiques indique une reprise des inégalités mondiales depuis 1960. Alors qu’ils étaient en diminution depuis les années 1950, les écarts entre les revenus se renforcent à l’intérieur des pays du Sud comme aux Etats-Unis, contribuant ainsi à la progression des inégalités mondiales. Cherchant à analyser les conséquences de ces évolutions, Anne-Catherine Wagner distingue les professions hautement qualifiées des travailleurs non qualifiés de plus en plus concurrencés par ceux des pays pauvres.
D’un côté, la bourgeoisie économique se caractérise par deux évolutions : la mobilité accrue et la construction de nouveaux liens. La gestion financière du capital et des patrimoines s’organise de plus en plus au niveau mondial. Par exemple, 44 % du capital des entreprises françaises du CAC 40 sont détenus aujourd’hui pas des non-résidents contre 10 % en 1985. En ce qui concerne les conseils d’administration, ils s’ouvrent aux étrangers et les trajectoires des grands patrons se caractérisent de plus en plus par une expérience internationale. Malgré ces évolutions, le pouvoir économique des vieilles familles se maintient, notamment par la réussite de stratégies visant à convertir des dynasties industrielles en holding internationale. C’est le cas de la famille de Wendel. Sur les acteurs de la mondialisation, Wagner considère qu’ils ne sont pas si nouveaux : si les administrateurs viennent de l’étranger, les dirigeants des grandes entreprises sont toujours des nationaux formés dans leur pays. L’impact de la mondialisation financière sur les structures nationales du pouvoir économique n’est donc que relatif. Du côté des travailleurs peu qualifiés, la division et la concurrence entre mains d’œuvre sont constatées. Les objectifs de réduction des coûts salariaux par les délocalisations et l’externalisation conduisent à la destruction d’emplois et à la fragilisation des salariés. Mais également, la nécessité d’obtenir une plus forte rentabilité financière dans un environnement mondialisé « sert à justifier la nécessaire flexibilité du travail ».
Quittant le registre économique, le troisième chapitre aborde la « culture internationale » et les conditions de production de ressources internationales. Inégalement distribuées et acquises lors d’expériences socialisatrices internationales, les compétences et l’aisance linguistiques forment les atouts nécessaires à la possession de la culture internationale. Par une socialisation ouverte sur l’étranger, les générations de la haute bourgeoisie et de l’aristocratie incorporent rapidement ces savoirs et ces savoir-être. Plus récemment, une fraction de la bourgeoisie liée au monde des affaires a pu émerger internationalement par un phénomène d’homogénéisation des valeurs, des pratiques et de la formation avec l’internationalisation des cursus au sein des business schools. Ceci annonce le développement de nouveaux critères de légitimité des catégories dominantes : Wagner aborde les réformes mises en place dans les grandes écoles françaises visant à internationaliser le corps professoral et les programmes.
Dans le quatrième chapitre, ce sont les formes d’accès et de participation à l’espace mondial des groupes populaires que l’auteur tente de discerner. Si des structures syndicales internationales s’organisent très tôt, un rapport laborieux aux langues étrangères et aux savoirs internationaux freine la conversion des syndicalistes au cosmopolitisme des classes dominantes. Certains réseaux contribuent toutefois à l’élaboration de formes originales d’internationalisation. Distincts de ceux des classes dirigeantes, les savoir-faire internationaux des militants reposent sur des pratiques professionnelles communes, des rapports sociaux partagés et des conditions de travail proches.
La mobilité des catégories sociales est analysée dans le dernier chapitre à travers deux cas : celui des voyages et celui des expériences professionnelles à l’étranger. Constatant une démocratisation des séjours à l’étranger, l’auteur associe trois usages sociaux du voyage à trois catégories. Pour les classes supérieures, le voyage revient à entretenir les réseaux de relations internationaux. Pour les classes moyennes – étonnamment absentes du reste de l’ouvrage –, le modèle du voyage comme « découverte du monde et de soi » s’impose et « la recherche de l’exotisme, pour les membres aux positions incertaines, s’inscrit dans une sorte de fuite hors du monde social et de ses principes de hiérarchisation ». Enfin, les séjours à l’étranger des classes populaires visent dans de nombreux cas à entretenir des solidarités familiales liées aux pays d’origine. L’expatriation professionnelle est quant à elle l’expérience des cadres et des professions intellectuelles supérieures. Des formes spécifiques de culture internationale sont acquises lors des longs séjours, auxquelles de fortes rémunérations monétaires et symboliques viennent s’ajouter. Si ces ressources accumulées sont ensuite valorisées dans le pays d’origine, le retour d’expatriation et la perte du statut d’étranger de luxe peuvent être synonymes d’un « retour en arrière » professionnel.
En considérant que les classes sociales ne se définissent plus exclusivement par rapport aux frontières nationales, l’ouvrage d’Anne-Catherine Wagner a le mérite de mettre en lumière de manière synthétique les mécanismes liés à la mondialisation qui ont un impact sur les catégories sociales. Le point fort de cet ouvrage consiste à ne pas se limiter aux rapports économiques et à leurs effets. L’auteur insiste en effet sur la dimension culturelle et symbolique de l’internationalisation des échanges. Ce sont la possession et l’acquisition de savoir-faire internationaux et d’une culture appropriée produite par des expériences socialisatrices diverses qui distinguent principalement les catégories sociales dans l’accès à l’espace mondial.
Pour aller plus loin :
« Mondialisation et recomposition du capital des entreprises européennes », Rapport du Commissariat Général du Plan, décembre 2003, 171 pages.
Pour citer cet article :
Vincent Chabault, « La mondialisation et les classes sociales »,
La Vie des idées
, 5 décembre 2007.
ISSN : 2105-3030.
URL : https://laviedesidees.fr/La-mondialisation-et-les-classes
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