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Recension Histoire

Comment la force devient publique

À propos de : Quentin Deluermoz, Policiers dans la ville. La construction d’un ordre public à Paris (1854-1914), Publications de la Sorbonne.


par Cédric Moreau de Bellaing , le 29 avril 2013


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Quelles relations la police doit-elle entretenir avec la population ? Au fil d’une enquête minutieuse dans les archives, l’historien Quentin Deluermoz retrace l’évolution des interactions entre les policiers et les parisiens à la fin du XIXe siècle. De là naît une nouvelle conception de l’ordre public, fondée sur la visibilité et l’interconnaissance.

Recensé : Quentin Deluermoz, Policiers dans la ville. La construction d’un ordre public à Paris (1854-1914), Paris, Publications de la Sorbonne, 2012, 407 p.

Dans Policiers dans la ville, Quentin Deluermoz entreprend de retracer les transformations que connaissent les rapports entre police et population dans la seconde partie du XIXe siècle. Pour ce faire, l’auteur a choisi une porte d’entrée empirique d’apparence institutionnelle, une réforme de la police parisienne adoptée en 1854, qui décide de la territorialisation d’agents en uniforme dans les quartiers de la capitale. D’apparence institutionnelle seulement, car l’entrée par la réforme sert en réalité de prétexte à une analyse sociologique et historique des transformations de ce qu’est un ordre public. La réforme de 1854 ouvre en effet une véritable période d’apprentissage d’un nouvel ordre public, pour les policiers comme pour les populations qui leur sont confrontées, qui se poursuit jusqu’en 1914 par d’autres réformes venant reprendre, amender, prolonger ou infléchir le mouvement initié en 1854. L’analyse de cette séquence historique permet d’interroger à la fois la différenciation nouvelle qui s’opère entre ordre public, ordre privé et ordre de la rue, et les processus par lesquels la police devient force publique, c’est-à-dire une force qui n’est ni une force privée, ni une force militaire, ni une force dissimulée.

Pour mener à bien l’analyse de cette période, Quentin Deluermoz a opté pour une méthode croisant une grande variété de sources : il a d’une part analysé les représentations véhiculées par les medias comme support d’enregistrement de transformations perceptuelles de ce que font et ce que sont les policiers ; il a d’autre part dépouillé un nombre considérable de cartons d’archives policières, judiciaires ou internes au Contrôle général de la police. L’ouvrage de Quentin Deluermoz allie, et c’est là une de ses grandes qualités, le rigoureux travail d’historien et l’équipement théorique de la sociologie et de l’anthropologie [1]. L’historien cherche à repérer les traces de la transformation de ce qu’est un ordre public par le biais d’une description des interactions, exercice d’autant plus subtil qu’il se fonde sur un matériau archivistique. À ce titre, l’utilisation des rapports de routine établis à l’issue des rondes, des rapports d’incident, des enquêtes ouvertes à la suite de plaintes déposées auprès du Contrôleur général, des procès ou encore de la restitution par la presse de scènes d’intervention policière est admirable.

En entreprenant de décrire ce que provoque l’introduction de rondes de policiers en uniforme au cœur de quartiers que, par ailleurs, ils habitent, l’auteur ne saisit pas ces interactions comme des effets d’un quelconque ordre impulsé par le haut, mais comme les lieux de mise en visibilité des transformations. Les logiques de l’interaction ne sont ainsi pas expliquées par l’existence d’un ordre spécifique ; c’est au contraire par l’intermédiaire de la description des interactions que l’ordre peut être repéré, identifié et objectivé. Quentin Deluermoz cherche dans l’accomplissement en actes des pratiques [2] le fondement de cet ordre public qui se dessine et prend forme. Cela ne signifie pas que ce sont les interactions et elles seules qui produisent l’ordre mais que les interactions ne peuvent pas être expliquées par l’ordre qu’elles explicitent. L’ordre est sociologiquement un effet avant d’être une cause de ces interactions.

Visibilité et interconnaissance

L’auteur commence par opérer un retour historique sur les transformations connues par l’institution policière française depuis le début du siècle tout en interrogeant les influences qu’exerce sur elle l’émergence d’un modèle anglais de police. L’auteur montre que les principes qui fondent la réforme française de 1854 ne sont pas entièrement inédits : dès la Restauration, les réformateurs de la police veulent accroître la visibilité et la transparence de l’action policière. La réforme de 1854 présente néanmoins une véritable spécificité : elle combine visibilité des policiers – qui se voient dotés d’un uniforme – et interconnaissance, dans la mesure où elle prévoit que les policiers soient tenus d’habiter les quartiers auxquels ils sont affectés.

Or les effets de la combinaison des impératifs de visibilité et d’interconnaissance sont repérés et discutés à travers la description minutieuse des interactions suscitées par les rondes de policiers. La dissection des rapports de ces rondes routinières renseigne ainsi sur ce qui relève des habitudes de travail policières, mais aussi sur les situations dans lesquelles les policiers rencontrent des résistances :

« [La] déambulation [policière] physique et ostensible n’est pas anodine, et cette marche assurée, répétitive et constante, transforme sans doute de manière imperceptible la nature de la signification de l’espace parcouru – jusqu’à ce qu’une résistance révèle le processus [je souligne] » (p. 12).

Les résistances apparaissent sous la plume de l’auteur comme des vecteurs d’explicitation de ce qui, en situation routinière, est perçu comme allant de soi [3]. Ces résistances injectent une dose d’incertitude relative à l’action policière routinière et déclenchent une série de processus qui peuvent se décrire comme autant d’enquêtes, menées par les acteurs eux-mêmes, sur ce qu’il est normalement convenu de faire et sur les raisons pour lesquelles il n’en est pas ainsi.

Quentin Deluermoz montre d’abord que les policiers se transforment en « bornes sensorielles » (p. 106) car ils développent des dispositifs phénoménologiques d’alerte, nourris par leur visibilité et leur disponibilité, et par la connaissance intime qu’ils ont du quartier et de sa population : le policier, nouveau « réverbère des rues », soumettant l’espace social environnant à un nouveau régime de visibilité, apprend à « sentir et à repérer lui-même ce qui fait désordre » (p. 108), c’est-à-dire ce qui vient troubler le cours ordinaire des choses. L’auteur nous apprend en somme comment les policiers ont été amenés à développer un véritable sens des situations qui en fait des connaisseurs hors pair de l’état de leur quartier tout autant qu’ils en deviennent un élément constitutif.

La combinaison de la visibilité et de l’interconnaissance met aussi à l’épreuve la discrétion policière, c’est-à-dire la capacité des agents à juger de l’opportunité d’une intervention visant à faire appliquer la loi. Le policier est supposé capable d’évaluer la gravité de la transgression au regard de la manière dont celle-ci s’inscrit dans une économie locale du quartier. Quentin Deluermoz prend ainsi l’exemple de la loi de 1873 qui sanctionne la manifestation publique de l’ivresse. La latitude offerte aux policiers dans l’évaluation du degré de manifestation les amène à déployer des compétences sensorielles de mesure du niveau au-delà duquel l’ivresse devient un trouble dans le quartier et à apprendre à se saisir de la loi comme d’un moyen justifiant une intervention dont l’élément déclencheur se trouve en réalité dans la dislocation du cours ordinaire des choses. La loi [4] se donne ainsi à lire comme une ressource pour le travail policier, opération qui octroie aux policiers une marge de manœuvre certaine dans la gestion de l’ordre [5].

Aux côtés de l’aiguisement de cette discrétion policière se joue aussi un autre apprentissage, celui de l’imposition de l’autorité policière et de son corollaire, sa capacité à désamorcer des situations tendues. Howard Becker a documenté comment la reconnaissance de son autorité est un préalable interactionnel pour tout policier [6]. Or Quentin Deluermoz montre comment cette autorité change de nature dès lors qu’elle est exercée par un homme qui est familier du quartier et qui, dans le même mouvement, signale en permanence son extranéité aux jeux sociaux locaux par son uniforme. C’est ainsi que les policiers apprennent à la fois à exercer leur autorité et à apprendre à déminer des situations conflictuelles autrement que par le recours à la force.

Cette présentation rapide des arguments déployés par Quentin Deluermoz lisse à l’excès les évolutions qu’il décrit. Sous sa plume, elles sont loin d’être unilatérales : l’auteur restitue dans le détail nombre de résistances, d’obstacles, donnant à voir à quel point la production d’un ordre public partagé et négocié, est heurtée. De ce point de vue, la finesse descriptive de Quentin Deluermoz permet de saisir cet ordre comme l’effet d’ajustements et d’adaptations locales continuées, répétées. Or c’est par le biais de ces efforts sans cesse reproduits que se rend descriptible un ordre en train de se faire, qui est un ordre de la rue, la présence visible de policiers familiers re-décrivant les manières d’habiter l’espace urbain. Cet ordre bouscule alors les limites entre public et privé.

Quand les policiers ne peuvent plus cesser d’être des policiers

Exiger des policiers qu’ils exercent là où ils vivent entraîne de nombreuses conséquences sur leur vie privée. Si l’introduction de l’uniforme avait pour objectif de rendre visible le policier et l’ordre qu’il est censé incarner tout autant que de le soumettre au regard public, l’impératif résidentiel dispense rapidement le policier de la nécessité de l’uniforme : il est connu et reconnu en tant que policier dans son quartier. Quentin Deluermoz analyse de nombreux écrits policiers relatant les sollicitations dont les policiers font l’objet même lorsqu’ils se trouvent hors service. Ces derniers sont reconnus en tant que détenteurs de savoirs spécifiques et utiles à la collectivité, parfois même en tant que garants de la tranquillité publique et protecteurs du quartier [7].

Mais l’inscription territoriale et résidentielle des policiers a aussi des conséquences nuisibles pour les policiers : ils deviennent des points de cristallisation particulièrement repérables de l’hostilité d’une partie des habitants à la force publique, à l’État et au régime. Cette hostilité s’explicite particulièrement au moment de la Commune lorsque les domiciles des policiers sont attaqués, mis à sac et parfois incendiés. Si les assaillants savent où les policiers logent précisément, c’est parce que ces derniers sont ancrés dans le maillage résidentiel du quartier. L’invasion des domiciles semble aux yeux des vandales légitime dès lors que la présence continue des policiers dans le quartier dessine un continuum entre vie privée et activité en service.

Les étapes de la conquête de l’autonomie policière

L’auteur montre de manière convaincante comment l’étude des interactions policières permet de voir les agents conquérir une forme d’autonomie nouvelle à la fois dans la gestion des rondes, dans la décision d’intervenir ou non, et dans les modes de négociation avec la population qu’ils côtoient.

Or cette autonomie ne satisfait pas la hiérarchie policière. Celle-ci tente, en 1887, de redéployer de manière plus fine le contrôle qu’elle exerce sur ses ouailles et réfléchit à de nouvelles manières de maîtriser les corps et le comportement des agents. Cela passe par la mise en place d’un règlement général de la police et par le développement de la formation policière jusqu’alors délaissée. L’instauration de cursus , même élémentaires, de formation devait ainsi mieux canaliser l’autonomie des policiers de rue. De nombreuses évolutions techniques, en particulier scripturales (multiplication des imprimés, des formulaires), cherchent aussi à contraindre en amont et en aval le travail policier de voie publique, comme en témoignent les annotations manuscrites des supérieurs hiérarchiques sur les rapports des agents de patrouille.
Mais c’est surtout par l’intermédiaire d’une réforme de l’implantation territoriale que se donnent à voir le plus nettement les efforts faits par la préfecture pour réduire l’autonomie de ses agents. Cette réforme passe par l’abandon de l’obligation de résidence sur place et par un mouvement de retour des agents à l’intérieur des postes de police. En procédant de la sorte, de quoi la préfecture de police a-t-elle peur ? Des risques de collusion ou de corruption ? De l’émancipation des policiers des attendus fixés par l’administration centrale ? Estime-t-on en haut lieu que la reconquête d’un lien de confiance avec la population a été menée avec succès et qu’un nouveau paragraphe des relations entre police et population doit désormais être écrit ? Toutes ces hypothèses ont probablement leur part de vérité.

Sur la base des arguments déployés par Quentin Deluermoz, on pourrait en déployer une autre. Elle consisterait à explorer la possibilité que l’autonomie que l’institution cherche à réduire n’est ni une autonomie par rapport aux commandements, ni une autonomie dans l’exercice de la discrétion policière, mais une autonomie par rapport à la loi en tant qu’instrument privilégié de gouvernement. On a formulé ailleurs l’idée selon laquelle se dessine au cours du XIXe siècle un nouage spécifique du droit et de la violence qui s’accompagne de la mise en place d’une série de distinctions nettes entre l’intérieur des sociétés gouvernées par les États-nations et l’extérieur de leurs frontières [8]. Ce nouage entre droit et violence se traduit par des efforts concertés pour rendre opératoires une série de distinctions, en particulier celle qui dissocie crime et guerre. Ainsi, les violences qui s’exercent au sein des sociétés sont progressivement réévaluées comme étant des crimes, tandis que celles qui se déploient hors des frontières sont thématisées comme des violences relevant de la guerre [9]. De ce point de vue, la loi peut être entendue comme étant le point de tension autour duquel commence à s’articuler la défense de la société dont les crimes sont redéfinis comme des atteintes aux sentiments collectifs forts [10] : le crime devient une violence faite au droit [11]. Dès lors, une police qui prendrait, dans ses actes quotidiens, trop de distance par rapport à la loi en viendrait à s’autonomiser de la nouvelle charge qui lui incombe : la défense de la société et du droit à l’intérieur des frontières. Or l’émergence de la force publique est à la fois une mise à distance de la force privée et de la force militaire, au nom de la civilisation.

Force publique par opposition à force privée et force militaire

L’un des points centraux de l’ouvrage de Quentin Deluermoz réside dans l’analyse qu’il propose des relations que les sergents de ville entretiennent avec la figure militaire. Dans les premiers temps, ceux-ci sont souvent d’anciens militaires, qui importent un savoir-faire, une forme de discipline et un rapport aux institutions spécifiques. L’auteur montre par quels processus les policiers se distancient progressivement du modèle de l’armée : changement dans les recrutements, transformations des savoir-faire, apprentissage de nouvelles pratiques, etc. Le symbole le plus net de cet éloignement est probablement le remplacement, documenté par l’auteur, de l’épée par l’arme à feu dans l’équipement du policier [12]. L’arme à feu, si elle n’est pas moins meurtrière, institutionnalise la menace comme technique policière, à mesure que son usage se raréfie. Une telle interprétation permet de mettre l’accent sur le fait que la force publique ne doit pas se comprendre uniquement en opposition à la force privée d’un individu exercée de manière isolée, mais qu’elle se fabrique aussi par la mise à distance du modèle guerrier.

Et c’est à l’aune de cette transformation qu’il faut comprendre ce que Quentin Deluermoz décrit du choix fait par l’administration policière de « s’insérer de plus en plus dans l’espace privé de l’agent pour le constituer en “individu policier” » (p. 217). Dans ce mouvement se joue une relocalisation de la force légitime entre les mains d’un professionnel singularisé, extrait d’un univers militaire dans lequel l’individu est supposé s’effacer derrière les exigences collectives. De ce point de vue, l’individu policier dispose d’une liberté discrétionnaire qui n’est que lointainement comparable avec les latitudes dont dispose l’homme de troupe. Le policier n’est plus alors à comprendre comme apparié au militaire sous prétexte que l’un comme l’autre détiennent l’usage légitime de la force, mais comme apparié au criminel, avec lequel il compose un binôme constitutif du social (l’agent détenteur de la force publique étant la figure positive). Or c’est parce que cette sécularisation civile des policiers est progressivement menée à son terme que Quentin Deluermoz peut montrer qu’apparaît, au sein de la police, un mouvement qui, à première vue, peut sembler inverse, par lequel la force publique revendique à nouveau des emprunts à l’armée, à sa discipline et à ses valeurs. Mais c’est précisément parce que la police est désormais une force civile et que la force publique n’est pas, ne peut plus être une force militaire qu’il est possible, pour les policiers, de mobiliser un registre métaphorique dans lequel ils se comparent aux militaires.

Des policiers civils et civilisés

La réforme de 1854 se donnait pour tâche de rapprocher la police de la population ; la réforme de 1887 effectue le chemin inverse. L’inscription territoriale des policiers a suscité de nouveaux liens entre agents de la force publique et population tandis que la police s’affirme durablement comme l’institution d’exercice de la force publique et de défense de la loi. Les policiers apparaissent par ailleurs comme étant plus civils dans un triple sens. Plus civils parce qu’ils participent de la diffusion d’un modèle plus policé des interactions ; plus civils par le truchement d’une dissociation nette d’avec les forces militaires ; plus civils, enfin, dans la mesure où ils sont érigés par les responsables administratifs et politiques qui les dirigent, comme des bras armés du processus de civilisation. Cette dernière dimension apparaît dans l’interprétation proposée par l’auteur de l’importance des cérémonies funéraires organisées par la préfecture de police à l’occasion des décès de ses agents.

Progressivement, ces cérémonies deviennent des occasions au cours desquelles les policiers auxquels il est rendu hommage sont dépeints comme les symboles « d’une lutte de civilisation toujours en cours » (p. 291). Ces cérémonies fonctionnent comme des moments d’explicitation d’un mouvement en train de se produire et dont elles participent : la conversion progressive des policiers en agents de la civilisation. Les oraisons funèbres qui y sont prononcées présentent ainsi cette mission à la fois comme un travail en cours de grande ampleur et comme un objectif acté, comme s’il en avait toujours été ainsi, reconfigurant l’histoire des gardiens de la paix sous le signe de la civilisation. Le policier civil et civilisé se présente ainsi simultanément, dans ces discours, comme un construit et comme un donné, opération que l’auteur parvient à décrire sans la réduire à l’élaboration d’une figure mythique dont il ne s’agirait que d’étudier les usages ou les représentations.

Le policier triplement civilisé fait alors office de ciment de la solidarité organique et de garant d’une politique des processus vitaux [13] :

« Ce que le policier symbolise n’est pas seulement la société agressée par le crime, mais la société menacée en général, que soit par les apaches, les épidémies ou les accidents, autres pathologies et peurs sociales de l’époque » (p. 291).

À travers cette analyse, Quentin Deluermoz montre implacablement que la police finit par faire corps avec la société, par lui être coextensive [14], sans que cela signifie simplement qu’elle en contrôle l’infinitésimal et l’infra-quotidien ; mais plutôt qu’elle devient la garantie de l’ordre social, que ce dernier ne tient que parce que la police fait ce qu’elle fait. En somme, la police effectue l’ordre social plutôt qu’elle ne le fait respecter, tout comme l’ordre social se rend descriptible à travers l’action policière plutôt qu’il ne l’explique.

par Cédric Moreau de Bellaing, le 29 avril 2013

Pour citer cet article :

Cédric Moreau de Bellaing, « Comment la force devient publique », La Vie des idées , 29 avril 2013. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Comment-la-force-devient-publique

Nota bene :

Si vous souhaitez critiquer ou développer cet article, vous êtes invité à proposer un texte au comité de rédaction (redaction chez laviedesidees.fr). Nous vous répondrons dans les meilleurs délais.

Notes

[1Pierre Bourdieu, Georges Balandier, Albert Piette, Howard Becker, Andrew Abbott, Norbert Elias, Michel Foucault, Aaron Cicourel sont ainsi mobilisés au cours de l’ouvrage, toujours avec justesse et sans céder au namedropping ou au saupoudrage cosmétique. C’est le travail d’Erving Goffman qui constitue l’apport majeur de la sociologie au travail de Quentin Deluermoz.

[2M. de Fornel, C. Lemieux, «  Quel naturalisme pour les sciences sociales  ?  » in M. de Fornel, C. Lemieux, (dir.), «  Naturalisme vs constructivisme  ?  », Enquête, n° 6, 2008, p. 9-25.

[3H. Garfinkel, Recherches en ethnométhodologie, Paris, PUF Quadrige, 2007.

[4Pour des perspectives convergentes respectivement en histoire du droit et en sociologie, voir P. Napoli, La naissance de la police moderne. Pouvoir, normes, société, Paris, La Découverte, 2003, J. Skolnick, Justice Without Trial. Law Enforcement in Democratic Society, New York, Wiley, 1966.

[5Ce qui ne signifie pas pour autant que le droit soit absent des interventions policières, bien au contraire  ; simplement, Quentin Deluermoz repère à travers l’analyse de ces interactions policières les manières par lesquelles s’affûte la discrétion policière, entre la liberté qu’elle confère légalement à l’agent administratif qui la met en œuvre et l’autonomie que conquiert l’agent au quotidien dans ses pratiques routinières et qui rend flou la frontière avec la figure de l’abus policier. Sur la discrétion policière, voir P. Thévenin, «  Le droit hors de compte. L’aiguillage manageurial de la discrétion policière  », à paraître, 2013.

[6H. Becker, Outsiders, Études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 1985, p. 180 et suiv.

[7L’auteur raconte ainsi comment certains policiers, sous le coup de plaintes investiguées par le Contrôle général, bénéficient de stratégies de solidarité de la part des habitants, des commerçants et en particulier des tenanciers de débits de boissons et de leur clientèle, qui cherchent à défendre leur policier. De la même manière, le policier apparaît progressivement comme celui qui sait la loi et auquel on peut s’adresser pour trancher un différend juridique de moindre ampleur.

[8D. Linhardt, C. Moreau de Bellaing, «  “Entendre le grondement de la bataille” : ordres démocratiques et logiques de guerre  », working paper, congrès de l’Association Française de Science Politique, Strasbourg, 2011.

[9Ceux qui se rendent coupables des premiers sont alors pourchassés et punis au regard du code pénal alors que les secondes tendent à être codifiées par le droit international public, et en particulier par le droit de la guerre.

[10E. Durkheim, De la division du travail social, Paris, PUF Quadrige, 2007 [1893].

[11B. Karsenti, La société en personnes, Paris, Économica, 2006, p. 62 et suiv.

[12Le changement technique fait à l’époque grand bruit et génère nombre de débats sur le maniement et la précision des armes à feu, ainsi que sur la formation de ceux à qui elles s’apprêtent à être confiées. Sur cette base, on peut envisager que ces craintes signalent une inquiétude liée à l’achèvement de la démilitarisation de la police. L’abandon de l’épée, objet par excellence militaire, signerait ce processus, dans la mesure où l’arme blanche, qui prétend incarner l’ensemble des valeurs de bravoure, d’honneur et de dévouement que l’armée aime s’attribuer, est retirée à des policiers dont on n’attend plus qu’ils chargent les délinquants comme on affronte un ennemi sur un champ de bataille, mais qu’ils les arrêtent, en utilisant la force si nécessaire, en tant que criminels.

[13B. Karsenti, La société en personnes… op. cit., p. 64.

[14M. Foucault, Surveiller et punir, Paris, Tel Gallimard, 1975, p. 249. Ce qui est valable pour la police comme administration des hommes et des choses semble de ce point de vue aussi valoir pour la police faite institution.

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