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Le lancement du Parti Démocrate en Italie

mardi 30 octobre 2007



par Riccardo Brizzi

L’histoire de la démocratie et les sciences politiques enseignent que, après les élections, les vainqueurs conduisent les affaires du pays tandis les vaincus font le bilan et préparent la revanche. Pourtant, en Italie, c’est tout le contraire qui est en train de se passer : tandis que le centre-droit, battu l’année dernière, n’a même pas entamé l’inventaire des années Berlusconi, le centre-gauche tente de renouveler son assise électorale et de simplifier sa structure organisationnelle [1]. Cette dernière tâche vient d’être réalisée par la fusion de ses deux principales composantes, les Démocrates de gauche (Ds) et la Margherita, et la naissance d’une formation politique nouvelle : le Parti Démocrate.

L’événement paraît important pour la vie politique italienne ; et pourtant il a laissé l’opinion publique parfaitement indifférente. Certains observateurs y voient le résultat du caractère peu participatif des préparations : ni les représentants de la société civile, ni les petits partis du centre-gauche n’y ont été conviés. D’autres évoquent le faible renouvellement de la classe politique italienne dans son ensemble : depuis quinze ans, la scène est occupée par les mêmes personnages (Berlusconi en 1994, Prodi en 1996, Berlusconi en 2001 et Prodi en 2006) et par la même classe dirigeante, plutôt âgée et très majoritairement masculine (à peine 15,8 % des parlementaires sont des femmes. Cependant, tout le monde s’accorde à dire que le véritable problème du nouveau parti réside dans son projet politique – ou plutôt dans son absence. On négocie fébrilement les postes de dirigeants, on redessine l’organigramme, on pondère le poids des « courants », sans s’efforcer de définir le projet que le nouveau parti est censé porter.

Il s’avère en effet plus difficile que prévu de créer une culture politique commune sur la base des héritiers des grandes guerres idéologiques du XXe siècle : les communistes [2] et les chrétiens-démocrates. Leur rapprochement semblait certes inscrit dans l’histoire récente : avec l’effondrement du communisme mondial d’un côté, et les scandales de corruption de l’autre, le début des années 1990 avaient précipité la chute des deux formations qui avaient dominé la vie politique de la péninsule depuis 1945. Ce rapprochement fut accéléré par le travail d’autocritique accompli dans les deux camps et surtout par l’apparition d’une force politique nouvelle, Forza Italia. Le résultat s’avère cependant décevant : les traditions politiques ont été vidées de leur contenu, mais la synthèse promise ne fut jamais réalisée. Sa véritable source d’unité, le centre-gauche des années 1990 et 2000 l’a puisée dans l’opposition au berlusconisme. Avec un Berlusconi désormais moins fanfaron et dans l’opposition, la source tarit et le vide intérieur apparaît au grand jour.

Pour s’en convaincre, il suffit de lire le Manifeste du nouveau Parti Démocrate. Dans ce document, rédigé par quinze « sages » au terme de quatre mois de travail, le parti s’apparente à un musée d’histoire politique contemporaine où l’on fait étalage de la culture réformiste libérale, du catholicisme social, d’une social-démocratie vaguement travailliste, du libéralisme républicain, du féminisme et d’une petite dose d’écologie démocratique. Les rédacteurs ont visiblement épousé le pluralisme et souhaité un document où chacun puisse se retrouver, mais sans trop se soucier de la cohérence interne, de sorte qu’on n’y trouve point d’autre synthèse que celle de la première phrase : « Nous, les démocrates, aimons l’Italie [3] ».

L’ironie de l’histoire a ainsi voulu que la fusion des héritiers des principaux partis de masse donne naissance à un « post-parti », une sorte de cartel électoral ressemblant plus à la tradition états-unienne qu’à l’Italie du XXe siècle. Le choix est légitime, mais la cohérence voudrait qu’on abandonne les discours sur l’« identité commune » et qu’on admette qu’il s’agit de réaliser une fusion entre oligarchies. Et surtout, malgré son apparente prudence, c’est un choix risqué : comme l’ont souvent souligné des intellectuels de centre-gauche comme Edmondo Berselli, toutes les expériences politiques réussies des dernières décennies – du libéralisme de Margaret Thatcher au messianisme reaganien, de la « troisième voie » blairiste au laïcisme de Zapatero – ont été fondées sur des profils idéologiques nets et des cultures politiques fortes. Même le populisme de Berlusconi a pu offrir, à sa façon, une capacité d’identification puissante. Or c’est précisément cette qualité-là qui fait défaut au Parti Démocrate.

Pour aller plus loin :

Le manifeste du Parti démocrate

Notes

[1La fragmentation du système politique italien est impressionante : jusqu’à la fusion des Démocrates de gauche et de la Margherita, le gouvernement de centre-gauche a été composé de huit partis (outre les deux partis susmentionnés, Sinistra Democratica per il Socialismo Europeo, Popolari-Udeur, Italia dei Valori, Verdi, Rifondazione Comunista, Rosa nel Pugno-Radicali) et soutenu par onze autres (Comunisti italiani ; Socialisti ; Lega per l’autonomia Alleanza Lombarda ; Democratici Cristiani Uniti ; Südtiroler Volkspartei ; Autonomie Liberté Démocratie, Partito Democratico Meridionale ; Italia di Mezzo, ; Movimento Repubblicani Europei ; Consumatori Uniti).

[2En 1991 le Parti communiste italien se dissout et naît le Partito democratico della sinistra (Pds) qui, en 1998, prend le nom de Democratici di sinistra (Ds).

[3En réponse au vide idéologique du nouveau Parti Démocrate, le quotidien Il Manifesto, la voix historique de l’extrême gauche italienne, a publié une page entièrement blanche.


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