Dans le cadre des entretiens de l’AFSE, cette table ronde a examiné la question des rémunérations des dirigeants des grandes entreprises, qui ont connu une très forte progression dans les années récentes, donnant lieu à une forte polémique [1].
Le premier intervenant, Augustin Landier a présenté ses travaux avec Xavier Gabaix sur les causes de cette hausse des rémunérations [2]. Il a ainsi d’abord présenté les principales hypothèses avancées dans la littérature récente :
- capacité des dirigeants à accaparer des rentes : l’idée est que les conseils d’administration ne sont pas capable de bien évaluer la valeur des dirigeants ou sous-estiment systématiquement le coût des stock-options pour l’entreprise ;
- accroissement de la taille des entreprises ;
- nécessité de compenser ces dirigeants pour les changements de leur métier (augmentation de leur prise de risques, plus grande complexité…) ;
- processus de sélection dû à une plus grande concurrence entre entreprises pour attirer les meilleurs dirigeants selon le phénomène « economics of superstars ».
Si cette vidéo ne marche pas malgré la présence de Flash ou que vous ne pouvez pas installer Flash (par exemple sur mobile), vous pouvez la voir directement sur Dailymotion.
L’évaluation empirique conduite par Landier et Gabaix les a conduits à attribuer pour l’essentiel la hausse des rémunérations à la hausse de la taille des entreprises (en termes de capital social). Ainsi, le PDG de la plus grande firme américaine apporterait de l’ordre de 0,1 % de plus de performance à son entreprise que le patron de la 250e. Compte tenu des tailles de ces groupes, cela peut représenter des dizaines de millions de dollars en plus. Pour attirer un meilleur manager, il suffit donc de verser un salaire supérieur à celui offert par les autres entreprises. La référence n’est donc plus la performance absolue du dirigeant mais la rémunération à laquelle il peut prétendre ailleurs.
Si l’explication est assez convaincante, elle a été largement discutée. Ainsi, certains intervenants ont soulevé le problème d’une certaine incohérence temporelle dans cette hypothèse : elle permet d’expliquer pourquoi le salaire des dirigeants augmente depuis les années 1980, mais pas pourquoi il était presque constant dans les décennies précédentes, non prises en compte dans l’article, période où la taille du capital des entreprises augmentait également. De plus, l’explication ne tient plus si on considère d’autres critères de taille, comme le nombre d’employés : ce serait donc simplement lier le phénomène de hausse de la rémunération des dirigeants à la hausse des marchés financiers…
Marcel Boyer a, quant à lui, présenté une synthèse des principes qui doivent gouverner une rémunération incitative, dans une présentation très théorique intitulée Les douze principes de la rémunération incitative.
Il a également souligné la difficulté d’évaluer empiriquement le phénomène. Il faut en effet rendre compte à la fois de différences selon les pays (y compris pour des entreprises de même taille, la capacité d’un PDG à influencer son entreprise variant beaucoup selon les pays), entre les secteurs, voire entre les types de poste. Ainsi, l’Italie est le pays où l’on paie le mieux un cadre dirigeant responsable des ressources humaines, tandis que l’Allemagne tend à mieux payer un responsable de la fabrication.
Ces interventions ont été discutées par Philippe Askenazy et Pierre-Alain Muet. Elles ont ensuite donné lieu à un long débat.
Philippe Askenazy a d’abord noté que le phénomène est encore plus important si on exclut du panel de dirigeants les fondateurs de leur propre entreprise, qui tendent à ne pas augmenter leur rémunération. Il a également souligné le rôle de spécificités institutionnelles comme la composition des comités fixant les rémunérations des dirigeants et qui sont souvent composés de dirigeants amis d’autres groupes.
Il a également souligné que la hausse importante des revenus des dirigeants dans un contexte de stagnation des salaires et d’augmentation des inégalités minait la cohésion sociale et à la confiance au sein même de l’entreprise, et n’était donc pas forcément génératrice de performance économique. Cela justifie à ses yeux une plus grande régulation par la puissance publique. D’abord en interdisant dans les conseils d’administration la présence de dirigeants d’autres grandes sociétés. _ Ensuite, par la proposition, plus polémique, d’un « salaire maximum » [3]
Pour citer cet article :
Étienne Chantrel, « Rémunérations des dirigeants et performance. Entretien avec Augustin Landier »,
La Vie des idées
, 12 janvier 2010.
ISSN : 2105-3030.
URL : https://laviedesidees.fr/Remunerations-des-dirigeants-et-performance
Nota bene :
Si vous souhaitez critiquer ou développer cet article, vous êtes invité à proposer un texte au comité de rédaction (redaction chez laviedesidees.fr). Nous vous répondrons dans les meilleurs délais.