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Nouvelles approches des maux du travail

À propos de : « La santé à l’épreuve du travail », Mouvements et « Les maladies professionnelles : genèse d’une question sociale (XIXe-XXe s.), Revue d’histoire moderne et contemporaine.


par Pascal Marichalar , le 10 septembre 2009


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Pathologie des sociétés industrialisées, les maux du travail ne suscitent pas de réaction politique à la hauteur de l’enjeu qu’ils posent à la démocratie sociale. Deux numéros récents de la Revue d’histoire moderne et contemporaine et de la revue Mouvements étudient l’occultation de cette question à la croisée de la science et de l’action politique.

Recensés :

- « La santé à l’épreuve du travail », Mouvements, n°58, avril-juin 2009.Dossier coordonné par Frédérique Debout et al.

- « Les maladies professionnelles : genèse d’une question sociale (XIXe-XXe s.), Revue d’histoire moderne et contemporaine, n°56-1, 2009, 256 p. Dossier coordonné par Paul-André Rosental et Catherine Omnès.

En février 2006, une mission d’information de l’Assemblée Nationale rendit un imposant rapport sur « les risques et les conséquences de l’exposition à l’amiante » [1]. La mission arrivait un peu moins de dix ans après que l’utilisation de l’amiante avait été interdite sur le territoire français (1er janvier 1997). La dangerosité du minéral pour la santé avait, quant à elle, été signalée dès 1906 par l’Inspection du travail française [2]. Réflexion sur un drame qui a touché des centaines de milliers de salariés ainsi que leurs familles, le rapport livrait aussi dans son deuxième tome la transcription intégrale de plus de sept cents pages d’auditions.

Auditionné en tant que maître des requêtes au Conseil d’Etat, Jean-Michel Belorgey estime qu’il serait mauvais que la France impose à d’autres pays les normes strictes sur les conditions de travail qu’elle a tant tardé à s’imposer à elle-même. Il rapporte, en les approuvant, les propos de collègues pakistanais sur le travail des enfants : « Il est normal, me disaient-ils, que l’on interdise certaines formes monstrueuses d’exploitation des enfants. Mais ce n’est pas protéger nos enfants que d’énoncer des règles qui nous imposent de les traiter comme vous traitez les vôtres. En d’autres termes, il y a une alchimie de ce qu’il faut payer aujourd’hui pour que l’avenir des générations suivantes soit meilleur. Elle ne doit pas être ignorée. Sinon, nous aurons les mains pures mais nous n’aurons pas de mains » [3]. Toujours et encore, les « mains impures » [4] des salariés dont la santé est négociée contre des primes ou la promesse de lendemains meilleurs constituent pour beaucoup un juste milieu acceptable, au nom d’une vision selon laquelle le travail (des autres) est intrinsèquement porteur de risques. Quels sont les ressorts de cet immobilisme si différent de l’esprit du « risque zéro » qui prévaut aujourd’hui en d’autres domaines ? Quelle est la place des sciences – toxicologie, ergonomie, pneumologie, psychologie, etc. – dans l’histoire des maladies, des accidents et des morts dues au travail ? Quel est le rôle des mobilisations de victimes, de salariés et de scientifiques sur ces questions, qui posent in fine la question de la démocratie dans l’entreprise [5] ? Deux numéros récents de la Revue d’histoire moderne et contemporaine et de la revue Mouvements esquissent des réponses stimulantes à ces questions à l’interface entre la science et l’action politique.

Suffit-il de rendre visible ?

Les auteurs des deux numéros spéciaux s’accordent tous sur le fait que les affections dues au travail sont invisibles dans le débat public : leur cause est imputée plus souvent aux caractéristiques individuelles ou à l’imprudence des salariés qu’à l’organisation du travail, les statistiques n’existent pas ou sont fausses, et les régimes de reconnaissance qui parfois émergent perpétuent l’opacité sur les détails et les à-côtés qui ne rentrent pas dans la logique gestionnaire des cases des tableaux de maladie professionnelle. Seul un décentrement du regard, porté par un impératif scientifique et non plus par des visées administratives, permet de jeter une lumière sur la réalité des accidents du travail, des maladies dues au travail et des mises en danger de salariés.

L’activité de recherche est alors tendue vers la production du chiffre – l’entreprise la plus reconnue en France sur cette question étant l’enquête SUMER [6] – ou l’écriture de monographies qui, en décrivant le travail réel et ses ajustements avec le travail prescrit, renseignent immanquablement déjà sur les causes et les responsabilités de ses dysfonctionnements ; cette dernière pratique rejoint par de nombreux aspects le travail des cabinets d’« expertise CHSCT » [7], qui comptent en leur sein de nombreux sociologues, psychologues et ergonomes rompus à l’enquête de terrain.

Il semble d’ailleurs qu’ici, la vraie distinction ne se situe pas entre la monographie académique et le rapport d’expertise, mais entre des approches du travail qui considèrent que la santé est une variable exogène sur laquelle on peut agir sans bouleverser la structure de l’entreprise, et d’autres approches qui envisagent les atteintes à la santé comme étant des conséquences de la répartition du pouvoir dans le rapport salarial contemporain. Dans Mouvements, le travail de Valentine Hélardot sur les salariés précaires illustre avec intérêt cette deuxième approche – scientifiquement plus féconde selon nous du fait de l’exigence supplémentaire de dé-naturalisation des conditions de travail qu’elle induit : « à l’échelle macrosociale, la santé apparaît non seulement comme un enjeu de la précarisation du travail, mais comme un « instrument » de cette précarisation, au sens où les ressources de santé sont considérées comme un « amortisseur », comme une variable d’ajustement dans les processus de production » plutôt, ajoute-t-elle, que des « dommages collatéraux » [8].

Si l’on suit cette hypothèse, une recherche scientifique qui viserait à long terme une véritable prévention des maux du travail peut-elle se contenter de les rendre visibles ? On sait le peu de cas que font les médias et les pouvoirs publics des cris d’alerte lancés par les scientifiques à propos de l’amiante ou des éthers de glycol – hormis quand des conditions très particulières sont réunies, comme l’ont montré les travaux d’Emmanuel Henry et de Jean-Noël Jouzel [9]. La croyance en l’efficacité politique de la dialectique du visible et de l’invisible provient souvent d’un ethnocentrisme du chercheur : voir au jour le jour sur le terrain les salariés malades ou estropiés, leurs familles et leurs proches, lire des archives sur des travailleurs morts du fait de leur travail, amène à établir des priorités qui ne sont pas celles de ceux qui procèdent à des arbitrages réglementaires depuis un bureau ministériel ou un siège de multinationale – ni même, de ceux à qui il arrive de lire dans un rapport l’histoire de ces souffrances.

Il faut alors déplacer le regard de l’invisibilité vers l’invisibilisation ou encore le déni, comprendre pourquoi et comment s’organise l’opacité pour mieux en cerner les enjeux, autrement dit, les faiblesses de ceux qui y ont intérêt. C’est ce à quoi s’emploie le numéro de la Revue d’histoire moderne et contemporaine, à partir de l’étude de l’histoire de plusieurs maladies professionnelles dans une perspective transnationale, qui regroupe les cas belge, français, japonais, anglais et américain.

L’étude historique de l’invisibilité et du déni s’intéresse ici relativement peu à des motifs anthropologiques ou culturels – valeurs viriles des ouvriers, estime de soi – dont l’existence n’est pas niée mais qui, à être trop mis en avant, contribuent à occulter les motifs plus calculés et « rationnels » qui peuvent être trouvées à cet état de fait, explique Paul-André Rosental [10]. Au contraire, le déni est le plus souvent érigé en stratégie consciente par les organisations patronales, comme leurs archives internes permettent de le montrer a posteriori. En Belgique, la puissante Fédération des associations charbonnières soutient en 1927 qu’ « aucune maladie d’ordre professionnel n’existe dans les charbonnages belges » [11], participant ainsi à l’invisibilisation de la silicose, maladie pulmonaire mortelle touchant massivement les mineurs, qui ne fut reconnue par l’État belge qu’en 1963.

La motivation de ces prises de position est principalement d’ordre économique, comme le démontre a contrario le cas japonais, étudié par Bernard Thomann : dans les années 1930, l’Association minière du Japon (patronale) joua « un rôle actif dans la formation et la diffusion des savoirs sur les émissions de poussière, ses conséquences et les moyens de les prévenir », réalisant par exemple des enquêtes sur les avantages de l’utilisation de marteaux-piqueurs à eau pour prévenir la silicose [12]. Cette attitude ouverte s’expliquait en grande partie par la non distinction entre les maladies professionnelles et non-professionnelles dans les assurances sociales japonaises de l’époque, faisant de la silicose un enjeu financier très limité pour les employeurs. Après la Seconde Guerre mondiale, le syndicat patronal Nikkeiren opposa une résistance plus « classique » à la reconnaissance de la silicose, dont « les aspects non élucidés » seraient « extrêmement nombreux » ; ce revirement spectaculaire était dû au fait que, « contrairement à la situation d’avant-guerre, les maladies professionnelles relevaient non plus du régime général de l’assurance maladie mais de la responsabilité de l’employeur » [13].

Quand les pouvoirs publics reconnurent finalement certaines pathologies comme étant des « maladies professionnelles », dont la responsabilité et l’indemnisation étaient automatiquement imputées aux employeurs, ce fut à chaque fois avec un ensemble strict de conditions souvent déconnectées de toute logique médicale. En France, la loi de 1945 qui reconnaît la silicose précise que « la silicose évolue et se manifeste dans des conditions si particulières qu’il n’est pas possible de lui appliquer le droit commun des maladies professionnelles », un exceptionnalisme qui se traduit notamment par la nécessité d’une durée minimale d’exposition (cinq ans au fond de la mine) [14].

Que peut dire un non-médecin sur les maladies professionnelles ?

Le passage d’une opposition visible/invisible à l’étude des mécanismes d’invisibilisation n’est pas sans compliquer le rapport des chercheurs en sciences sociales à la science médicale. Quand le sociologue ou l’historien étudient les maux du travail avec les médecins, ergonomes et toxicologues, ils peuvent faire coexister leurs résultats – par exemple sur les causes sociales de la détérioration de la santé – avec des résultats médicaux, qui démontrent la nocivité de tel produit ou décrivent les symptômes de telle pathologie. Quand ils choisissent d’étudier les médecins, ergonomes ou toxicologues eux-mêmes, comme participant dans une certaine mesure de l’invisibilisation des maux du travail, ils jettent par contre un doute méthodologique sur l’ensemble des résultats de la science médicale.

Comme l’écrit Ian Hacking, « les analyses de construction sociale ne sont pas toujours libératrices » [15]. David Rosner et Gerald Markowitz montrent que les experts patronaux n’hésitent pas à disserter en salle d’audience sur « l’ambiguïté du mot “savoir” », afin de démontrer que les employeurs n’étaient pas au courant des risques induits par tel ou tel produit [16]. Dans ce domaine de la médecine où ce n’est pas le trop-plein mais le trop-peu de diagnostics qui est la norme, l’historien comme le sociologue doivent trouver un équilibre épistémologique subtil.

Les travaux rassemblés dans la Revue d’histoire moderne et contemporaine ont en commun de vouloir éclairer les dimensions sociales de l’identification et la définition des maladies professionnelles sans pour autant verser dans le relativisme. La première question dans l’étude historique de pathologies longtemps niées est celle de leur nomination : faut-il utiliser le terme d’aujourd’hui ? un ou plusieurs termes d’antan ?

L’une des stratégies scientifiques employées dans le dossier est la référence à une description ancienne d’une pathologie. Nicolas Hatzfeld et Catherine Moriceau citent par exemple le livre de Bernardo Ramazzini publié en 1700, Des maladies des artisans, présenté comme un travail pionnier qui pose les bases d’une étude des maladies professionnelles [17]. La fonction de ces références, à chaque fois plus anciennes que le matériau principal sur lequel se fondent les études, semble être de pouvoir constituer une sorte de « définition provisoire » au sens durkheimien [18].

Une fois que la possibilité d’une maladie a été évoquée, il s’agit de voir comment elle va être nommée au fil de l’histoire. Bernard Thomann évoque aussi bien le yoroke, terme profane employé par les mineurs japonais dès le XVIIe siècle pour désigner le mal qui les affectait (sans doute dérivé du verbe yorokeru qui signifie tituber) que le keihai qui apparaît en 1930 sous l’influence du BIT (silicose, réunion de l’idéographe kei signifiant la silice et celui de hai signifiant les poumons) [19]. Nicolas Hatzfeld mêle quant à lui dans son article les différents termes qui ont pu être utilisés pour désigner son objet : affections ou maladie « périarticulaires », « ostéoarticulaires », pathologies « d’hyper-sollicitation », et enfin « troubles musculo-squelettiques », l’appellation la plus utilisée de nos jours, qu’il n’évoque qu’en note, sans doute dans un souci de distanciation pour pouvoir étudier des temps où l’existence de ces pathologies était moins évidente [20].

Pour pouvoir parler à côté voire à propos des médecins, le chercheur en sciences sociales doit se glisser dans les interstices « sociaux » ou « historicistes » de la notion d’expertise. Dans les affaires de maladies professionnelles comme ailleurs, on sait que l’expert médical tire son efficacité de l’image d’indépendance qu’il parvient à renvoyer ; quand bien même les liens financiers entre un médecin et une entreprise sont évidents et connus, le médecin cherche à faire passer le message selon lequel l’argent ne compromet en rien son indépendance dans son travail scientifique. Dès lors, si une recherche en histoire ou en sociologie parvient à montrer, en se basant sur des documents internes, des notes confidentielles ou des correspondances, que les liens financiers ont eu des répercussions directes sur le travail de l’expert, dont ce dernier avait même – le plus souvent – conscience, une couche de complexité supplémentaire est ajoutée au monde social et scientifique du débat médical. Est-il normal que dans la Belgique des années 1930 la Fédération des associations charbonnières « refuse que les données brutes produites [lors d’une enquête] soient transmises au Service médical du Travail » ? Est-il de bonne méthode médicale que, comme le révèle un courrier entre experts patronaux, une stratégie de sélection de clichés radiologiques soit mise en place pour montrer « de manière polarisée, des clichés très chargés chez des [mineurs] disposant d’une pleine capacité de travail, et des clichés de [mineurs] atteints d’enphysème sans trace radiologique de fibrose » [21] ? Dans ces deux cas, Eric Geerkens n’émet à aucun moment un jugement proprement médical, et n’en a d’ailleurs nul besoin. Son travail consiste à rendre public et rendre leur sens à une série de faits, et le seul jugement que l’on peut porter sur ce travail est un jugement à l’aune des critères de la rigueur historique.

En fin de compte, à partir du moment où le lieu du débat est identifié au fil du temps, l’approche des historiens semble être, plutôt que de simplement rendre visible, de rendre public. L’épistémologie employée n’est pas autant constructionniste qu’elle n’est habermassienne, si l’on donne à ce terme le sens d’une croyance dans les vertus de la publicité et de la mise en débat. Tous les auteurs rassemblés dans ces deux dossiers semblent s’accorder sur le fait qu’il n’est pas normal que sur des questions aussi graves que celles des maux du travail, les entreprises puissent garder le secret sur leurs pratiques et leurs préoccupations. Dans certains pays, les victimes de maladies professionnelles ou environnementales peuvent d’ailleurs faire demander par le juge à leur employeur de lever le secret sur ses documents internes, comme le racontent David Rosner et Gerald Markowitz pour le cas américain [22]. De nombreux spécialistes des politiques relatives à la santé des travailleurs reconnaissent par ailleurs l’importance de l’instauration en 1982 des Comités d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail, qui organisent une publicité des débats sur ces questions avec une surreprésentation des salariés, censée compenser en partie le fait qu’ils ne décident pas de l’organisation de leur travail. Si tant est qu’ils poursuivent à leur façon le projet des CHSCT, les chercheurs en sciences sociales n’usurpent pas des prérogatives des médecins, ni ne participent au post-modernisme radical de syndicats d’employeurs engagés dans le déni.

Quelles coopérations entre chercheurs et militants ?

Si les problèmes de santé liés au travail suscitent des questionnements épistémologiques, ils posent également la question de l’inscription des chercheurs en sciences sociales dans les mobilisations sociales contemporaines. Une question qui n’a rien d’évident, si l’on en croit David Rosner et Gerald Markowitz : ces deux historiens, convoqués comme experts dans des procès de victimes de la silicose, furent soumis à un véritable interrogatoire pendants plusieurs jours par des avocats d’entreprise, qui tentaient de discréditer leur travail en mettant au jour un éventuel engagement politique : « Pour qui avions-nous voté lors des dernières élections ? Quels magazines lisions-nous ? À quelles organisations, associations, partis, syndicats appartenions-nous ? » [23].

Dès lors, l’universitaire qui souhaite contribuer à l’évolution des conditions de travail peut faire le choix de la pure rigueur scientifique irréprochable de l’expert, afin que ses travaux puissent un jour être réutilisés par des militants et des avocats de salariés sans courir le risque de se voir attribuer une étiquette « rouge » qui nuirait à leur efficacité. Une telle attitude est d’autant plus indiquée qu’il apparaît clairement qu’aujourd’hui en France, comme aux Etats-Unis, au Japon ou en Italie, l’instrument principal de la transformation des conditions de travail est l’arène judiciaire, dans laquelle des salariés auront sans nul doute besoin de l’appui de chercheurs prêts à jouer le jeu de l’expertise indépendante [24].

Ne serait-il pas cependant paradoxal que ceci empêche aujourd’hui les chercheurs de mettre leur travail au service du « pouvoir d’agir » des salariés, dont ces mêmes travaux montrent pourtant la faiblesse ? L’histoire de la reconnaissance des maladies professionnelles enseigne que les évolutions politiques en faveur de la prévention viennent rarement d’en haut, mais plutôt de dispositifs (CHSCT, possibilité d’attaquer en justice…) qui donnent aux salariés davantage de moyens pour défendre leurs droits. Inversement, les expériences de syndicalistes engagés depuis des années dans des mobilisations autour des conditions de travail sont riches de questionnements pour la recherche.

Dans Mouvements, deux entretiens illustrent avec une symétrie frappante, l’un la solitude d’un militant syndical face aux subtilités de la justice, l’autre la solitude du chercheur qui peine à trouver des relais syndicaux. Michel Bianco, syndicaliste retraité à la CGT, raconte de manière poignante le quotidien d’un militant qui cherche à faire reconnaître la responsabilité patronale pour la mort de son fils [25]. Celui-ci est décédé en 2006, à l’âge de 32 ans, à la suite d’une chute d’une passerelle non protégée sur laquelle il lavait des vitres. Le syndicaliste se retrouve confronté aux subtilités de la sous-traitance en cascade qui fait disparaître les responsabilités, et contre laquelle il n’est que faiblement armé dans son combat judiciaire : « je me suis rendu compte que beaucoup de gens confrontés à ce genre de situation sont seuls ».

Dans une interview réalisée peu de temps avant sa mort, le toxicologue Henri Pézerat revient sur les nombreuses coopérations entre chercheurs et syndicats qu’il a lancées, depuis le Collectif amiante de Jussieu dans les années 1970 et la création de l’ALERT (association pour l’étude des risques du travail) [26]. Lui aussi regrette de s’être « souvent senti un peu seul », et émet un souhait pour l’avenir, dont on peut penser que la responsabilité incombe désormais à tous ceux qui ont pu voir en lui une personnalité exemplaire : celui, « indispensable », d’une « nouvelle association travaillant sur l’ensemble des risques professionnels et environnementaux ». Une association que l’on imagine – mais ce n’est qu’une esquisse – comme une collaboration entre chercheurs de différentes disciplines, syndicalistes et avocats, pour qu’à terme les responsabilités soient engagées, les négligences soient punies, et les salariés aient entre leurs mains la liberté et le pouvoir de ne pas mettre en péril leur santé.

Photo (cc) : Steffe

par Pascal Marichalar, le 10 septembre 2009

Aller plus loin

 « La santé à l’épreuve du travail », Mouvements, n°58.

 Le stress au travail : pathologie ou symptôme ? par Nadège Vezinat, La Vie des idées, 12/06/2009.

Pour citer cet article :

Pascal Marichalar, « Nouvelles approches des maux du travail », La Vie des idées , 10 septembre 2009. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Nouvelles-approches-des-maux-du

Nota bene :

Si vous souhaitez critiquer ou développer cet article, vous êtes invité à proposer un texte au comité de rédaction (redaction chez laviedesidees.fr). Nous vous répondrons dans les meilleurs délais.

Notes

[1Jean Le Garrec et Jean Lemière, «  Rapport fait au nom de la mission d’information sur les risques et les conséquences de l’exposition à l’amiante  », Assemblée nationale, 22 février 2006. Le rapport est disponible en ligne à : http://www.assemblee-nationale.fr/12/dossiers/missioon_information_amiante.asp

[2Denis Auribault, «  Note sur l’hygiène et la sécurité des ouvriers dans les filatures et tissages d’amiante  », Bulletin de l’inspection du travail, 1906.

[3On trouvera l’audition de Jean-Michel Belorgey à l’adresse suivante :http://www.assemblee-nationale.fr/12/rap-info/i2884-tII.asp#P8366_1584297

[4Plusieurs maladies professionnelles affectent les mains des travailleurs : «  main tombante  » (paralysie partielle) suite à l’intoxication au plomb (saturnisme), destruction des os (ostéolyse) des phalanges du fait d’une exposition au chlorure de vinyle monomère, ou encore syndrome du canal carpien.

[5Laurent Vogel, «  Enjeux et incertitudes de la politique européenne en santé au travail  », Mouvements, n°58, avril-juin 2009,

[6L’enquête SUMER (surveillance médicale des risques) est co-pilotée par la Dares et l’Inspection médicale du travail.

[7Les CHSCT (comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) ont été rendus obligatoires pour les entreprises de plus de 50 salariés par l’une des lois Auroux de 1982 (loi du 23 décembre 1982). Dans certains cas, les membres salariés ont droit de faire appel à une expertise extérieure, parmi une liste de cabinets agréés par le ministère du Travail.

[8Valentine Hélardot, «  Les salariés face à la dialectique santé-travail précarisé  », Mouvements, op.cit., p.21-28.

[9Emmanuel Henry, Amiante : un scandale improbable. Sociologie d’un problème public, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2007 (la thèse dont est tirée le livre est disponible en archives ouvertes sur Internet : http://tel.archives-ouvertes.fr/docs/00/09/31/89/PDF/Un-scandale-improbable-emmanuel-henry.pdf). Jean-Noël Jouzel, Une cause sans conséquences : comparaison des trajectoires politiques des éthers de glycol en France et en Californie, thèse de doctorat, Université Pierre Mendès France, Grenoble, 2006.

[10Paul-André Rosental, «  De la silicose et des ambiguïtés de la notion de “maladie professionnelle”  », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n°56-1, 2009, p. 90.

[11Eric Geerkens, «  Quand la silicose n’était pas une maladie professionnelle. Genèse de la réparation des pathologies respiratoires des mineurs en Belgique (1927-1940)  », ibid., p. 128.

[12Bernard Thomann, «  L’hygiène nationale, la société civile et la reconnaissance de la silicose comme maladie professionnelle au Japon (1868-1960)  », ibid., p. 158-159.

[13Ibid., p. 172-173.

[14Jean-Claude Devinck, Paul-André Rosental, «  “Une maladie sociale avec des aspects médicaux” : la difficile reconnaissance de la silicose comme maladie professionnelle dans la France du premier XXe siècle  », ibid., p. 124.

[15Ian Hacking, Entre science et réalité : la construction sociale de quoi   ?, Paris, La Découverte, 2001, p. 15.

[16David Rosner, Gerald Markowitz, «  L’histoire au prétoire. Deux historiens dans les procès des maladies professionnelles et environnementales  », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n°56-1,2009, p. 249.

[17Caroline Moriceau, «  Les perceptions des risques au travail dans la seconde moitié du XIXe siècle : entre connaissance, déni et prévention  », ibid., p.11-27. Nicolas Hatzfeld, «  Les malades du travail face au déni administratif : la longue bataille des affections périarticulaires (1919-1972)  », ibid., p. 177-196.

[18On en trouve une description particulièrement claire dans Marcel Mauss, La prière, 1909, p. 24-25, disponible en ligne aux Classiques des sciences sociales, http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.huh.pri.

[19Bernard Thomann, art. cit., p. 142.

[20Nicolas Hatzfeld, art. cit., p. 177.

[21Eric Geerkens, art. cit., p. 133, p. 135.

[22David Rosner et Gerald Markowitz, art. cit.

[23Ibid., p. 235.

[24Le numéro de la Revue d’histoire moderne et contemporaine sera peut-être un jour lui-même une pièce versée au dossier dans des affaires civiles ou pénales opposant victimes de maladies professionnelles, et employeurs, voire pouvoirs publics. À ce titre, on peut regretter que l’article d’Odette Hardy-Hémery prête trop facilement le flanc aux critiques. Plusieurs des noms propres sont mal orthographiés, deux graphiques sont proprement illisibles du fait d’erreurs dans les coordonnées. Plus grave, certains chiffres cités n’ont aucun sens. L’auteur explique ainsi que «  fin octobre 2002, sur 1969 demandes de malades reconnus, seulement 370 ont reçu une réponse favorable  » du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA). Or cet état de fait ne témoigne en rien des «  insuffisances  » du FIVA, mais simplement du fait qu’il n’a commencé son activité qu’en juillet 2002 et que les délais de traitement des dossiers sont de plusieurs mois. Au 31 mai 2003, 60% des dossiers reçus avaient été traités, et pour environ 99% des dossiers traités l’exposition à l’amiante avait été reconnue (Rapport d’activité du FIVA n°3, année 2003-2004, disponible à : http://www.fiva.fr/pdf/rapport-fiva-03-04.pdf). . On s’interroge aussi sur les sources d’autres données, tel que le montant total d’indemnisations distribuées par les tribunaux et le Fonds entre 1999 et 2004, évalué par l’auteur à 55 millions d’euros alors que sur la période, le seul FIVA a distribué plus de 270 millions d’euros (ibid.).

[25Michel Bianco, «  Faire reconnaître la responsabilité patronale dans les accidents au travail : un parcours éprouvant mais nécessaire  », Mouvements, n°59, avril-juin 2009, p. 38-44.

[26Henri Pézerat, «  Entretien. Un toxicologue de la marge à la centralité  », ibid., p.146-157.

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