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Recension Politique

Dossier / Quelle Europe politique ?

Matières politiques pour la « machine européenne »

À propos du Dictionnaire critique de l’Union Européenne, Armand Colin.


par Marc Dumont , le 2 juin 2009


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Le dictionnaire critique de l’Union Européenne représente un travail d’envergure sur les institutions européennes dans une approche pluridisciplinaire. L’ensemble conduit à un renouvellement du langage, du vocabulaire et des méthodes de l’analyse politique classique.

EspacesTemps

Ce texte est publié en collaboration avec la revue EspacesTemps.net qui propose sur son site un entretien avec Sylvain Kahn.

Recensé : Yves Bertoncini, Thierry Chopin, Anne Dulphy, Sylvain Kahn, Christine Manigand, Dictionnaire critique de l’Union Européenne, Armand Colin, 2008. 512 p., 39, 50 €.

L’échéance des prochaines élections européennes, pour lesquelles une abstention record est déjà pressentie, rend d’autant plus bienvenue la parution de ce travail d’envergure à visée critique concernant l’Union Européenne.

Plus de 150 auteurs, pour un total avoisinant les 240 notices, complété en fin d’ouvrage par cinq pages de chronologies ainsi que quelque tableaux indispensables (différents traités communautaires, différents présidents et vice-président au conseil des Ministres etc.) et, en son milieu, par une série de tableaux statistiques et cartes en couleurs – le tout en petit nombre, ce qui permet de maintenir l’équilibre de l’ensemble.

C’est bien d’Union Européenne qu’il s’agit et non d’Europe, la nuance est essentielle. On y trouvera pas une encyclopédie des pays européens, mais un rassemblement d’analyse visant d’abord à éclairer dans toute son ampleur une institution politique, économique et sociale, l’histoire de sa construction comme ses modalités de fonctionnement, ses événements fondateurs comme ses personnalités marquantes, ses mouvements politiques et sociaux comme ses logiques de financements, juridiques et de périmètres.

Si le premier défi que semblent avoir voulu relever ses co-directeurs semble déjà relevé – celui de la pluridisciplinarité –, une autre prouesse est également réussie : le pari du multilinguisme (ou de l’interculturalisme). En effet ,les auteurs, nombreux et tous d’origine, de fonction comme de pays différents – universitaires, scientifiques, consultants, diplomates, directeur d’archives, président de section au Conseil d’État, ancien ministre, membre d’un parti, inspectrice des finances, fonctionnaire de l’OCDE, post-doctorants – viennent ainsi s’exprimer sur cette question de Bulgarie, d’Allemagne, de France, du Royaume Uni, des Pays-Bas, de la Norvège, d’Espagne, de Slovaquie, d’Autriche ou encore de Belgique et du Luxembourg.

Cette variété d’origine et de profil n’est pas un marque insignifiante, le lecteur comprend, en effet, au fil de son parcours, la richesse, rare, produite par la démarche : celle de pouvoir disposer de « regards vus par » (plus que de « regards vus de », comme le sont des travaux de chercheurs en mission à l’étranger, écrivant et mobilisant malgré tout l’univers mental de leur pays d’origine).

L’exercice de restitution des Dictionnaires n’est pas aisé, à plus forte raison dans le cas précis. Il requiert de se frayer une voie entre le commentaire linéaire de chacun des articles et la prise en compte de l’ensemble.

Nous proposerons donc ici d’en éclairer les apports à partir uniquement de deux angles qui nous semblent toutefois en constituer les richesses les plus décisives : la présence d’un débat critique interne à l’ouvrage concernant les enjeux de (mais aussi les aléas qui pèsent sur) la cohérence politique de l’Union Européenne, critique parce que les auteurs assument souvent respectivement des positions explicites quant à ces enjeux, et proposent des pistes quant à ces aléas. Puis, par ailleurs, le renouvellement réel du langage, du vocabulaire et des méthodes de l’analyse politique classique auquel conduit et aboutit l’ensemble.

Des mythes aux projets  : une irruption politique au cœur de l’Union Européenne

Au fil des notices, des galaxies sémantiques apparaissent et semblent se répondre, se compléter ; plus encore, il en ressort des débats inattendus entre les auteurs, loin d’être unanimes. Un des exemples les plus significatifs concerne le champ spécifiquement politique qui s’articule autour de termes tels que démocratie, citoyenneté, espace et opinion publics.

À cet égard, le dictionnaire n’est pas qu’un dictionnaire (dimension encyclopédique) : il révèle sa puissance argumentaire à travers une entreprise périlleuse aboutie avec un talent certain par les auteurs qui se confrontent pour nombre d’entre eux à des questions sensibles, polémiques, souvent trop saturées de charges idéologiques pour que leur traitement puisse être sincère.

L’exemple de la question de la citoyenneté européenne permet de l’illustrer : Dominique Schnapper, son auteur, y présente en premier lieu un état des débats clair, relevant avec lucidité l’inexistence juridique, stricto sensu, de cette citoyenneté. La question est d’autant plus délicate qu’elle est très souvent associée, à travers une rhétorique de type antagoniste, aux débats sur la souveraineté qui sont formulés sur un mode exclusif : soit la citoyenneté européenne, soit celle du pays membre, comme s’il fallait choisir et que celles-ci ne pouvaient se compléter. C’est un antagonisme classique que Sylvain Kahn vient à nouveau éclairer dans la notice « État-Nation ».

En ouvrant la seconde partie de sa présentation par un détour du côté de la question plus large du sens politique de la citoyenneté, D. Schnapper amorce alors, à partir d’une série d’impératif (« il faut »), une tonalité bien plus normative de son article pour aborder et assumer dans un troisième temps ce qu’impliquerait à ses yeux la construction d’une véritable citoyenneté européenne. Pour elle, la construction de cette citoyenneté passe en particulier par la construction et l’affermissement d’un espace public européen. Le changement de registre est ici très net : à partir d’une série de « il faudrait », l’auteur conclut son propos en déployant une véritable matrice de questionnements qui sont cette fois de l’ordre d’un programme de philosophie politique et constituent tout autant de matières denses prêtes à être insérées dans un débat public.

On retrouve ces partis pris toujours assumés et explicités d’une visée normative et programmatique, venant en seconde ou troisième partie de notice, sur des sujets très différents et pourtant ici encore reliés à la question des fondements politiques de l’Union Européenne. Tels, ainsi, la réflexion de Jean-François Jamet sur les « Délocalisations », qui propose des pistes. Ainsi, « pour favoriser l’efficacité, la réactivité et la montée en puissance des Fonds d’ajustement, il serait utile de clarifier les critères d’attribution et de définir un processus assurant la rapidité de l’aide apportée. Pour cela, il serait judicieux de limiter les démarches administratives et de préétablir un plan d’action (organisé autour de mesures de formation, d’aide personnalisée à la recherche d’emploi et d’incitation à la mobilité géographique) qui donnerait aux États les cadres dans lequel ils peuvent demander l’aide de la Commission », permettant donc à la Commission de disposer d’une véritable capacité politique de régulation économique, et l’on rejoint ici à nouveau la « galaxie » du champ politique.

Ainsi, derrière ce qui semble constituer une même ossature de leur démarche, les différents auteurs se font, à travers de nombreuses notices (mais pas toutes), des spécialistes, mais aussi des citoyens, « penseurs-acteurs » d’une Europe politique en construction.

Cette irruption politique au cœur du phénomène communautaire et de ses différents défis politiques est prolongée de manière particulièrement intéressante par Yves Bertoncini et Thierry Chopin, en abordant de manière frontale la question du « déficit démocratique », dans une solide notice qui ne se paye ni de mots ni de masques idéologiques.

Pour eux, ce déficit démocratique est d’abord une réalité avant d’être un mythe (contredisant ce qu’avance une autre notice, « Commission Européenne », dont on parlera plus loin). Il est lié selon eux en premier lieu aux limites de la méthode fonctionnaliste qui, à l’origine de l’Union Européenne, a en quelque sorte outrepassé par volontarisme les éventuels souhaits et aspirations des peuples. Un fonctionnalisme de la fondation qui va peser lourdement sur la construction de sa légitimité, toujours a posteriori (ou par les outputs, les résultats – distinction classique en science-politique), mode de construction d’une légitimité qui se retrouve à la base, cette fois, du vrai mythe du « déficit démocratique » tel qu’il est entretenu par ses opposants, qui s’en saisissent pour inventer et dénoncer la supposée hégémonie d’une machine institutionnelle ignorant et écrasant la volonté des peuples.

Et les auteurs d’entrevoir alors – visée programmatique là aussi – une piste de réponse à ce problème de légitimité, appelant à « un travail de politisation de la démocratie européenne », c’est-à-dire à « l’évolution de celle-ci vers un système qui accorde davantage de place aux processus politiques, un système dans lequel l’idée de choix ouverts et évoluant dans le temps l’emporte sur celle d’un consensus inévitable, et où le débat politique – arbitré par les électeurs – prime sur la gestion technocratique impulsée et légitimée par des experts ; enfin, la politisation implique un système dans lequel un fil directeur relie la ligne politique de l’UE à la volonté des citoyens ». Certes, combien convaincant mais redoutable programme à mettre en œuvre ! et qui rejoint les conclusions d’autres notices telle celle, ici encore de Sylvain Kahn, sur les « Critères de Copenhague » qui, plus encore, peut laisser perplexe. En effet, tirer du fait qu’il est désormais requis pour l’adhésion un partage des objectifs politiques (critères de Copenhague), l’idée, comme une sorte d’implication logique, que ces critères rejoignent le projet kantien de pays perpétuelle dont les peuples européens n’auraient « jamais été aussi proches », reste un vœu magnifique, mais il faudra certainement attendre d’autres détours autrement plus probants que l’établissement de ce seul critère…

Dans la même veine, il ne suffit sans doute pas de démonter la facticité d’idées reçues comme le font de manière bienvenue nombre notices, pour démontrer l’exactitude de leur version inverse. Ainsi, s’attachant au « mythe d’une organisation purement technocratiques », la notice « Commission Européenne » de Manuel Szapiro, manque pour autant une partie de sa cible, n’avançant pour preuve irrécusable de ce caractère non-technocratique, le seul fait qu’il n’y ait que 22 000 fonctionnaires. Or, il faut le souligner, le technocratique (-sme) n’est pas une question de structure, mais d’abord une modalité de fonctionnement, une logique technique (voire techniciste) de gouvernement où la procédure et la règle technique l’emportent sur le contenu politique....

Mais on pourra largement approfondir par deux autres biais cette question de la consistance démocratique de l’Union Européenne, soit par la notice « Élections Euopéennes », de Corinne Deloy qui, à l’occasion de son bilan de six scrutins européens (1979-2004), souligne « l’érosion continue de la participation de ce qui devrait être un grand rendez-vous », ainsi que par celle de Alain Lancelot sur « Opinion publique », européenne naturellement. Celui-ci met d’ailleurs au clair une distinction entre le concept moderne d’opinion publique, un tant soit peu habermassien voir irénique d’une sorte de grande opinion collective de l’Europe, avec sa réalité nettement plus réduite, évaluable puisque ce terme désigne maintenant, selon lui, plus simplement l’ensemble des opinions que les résidents des différents États de l’Union Européenne ont sur l’Europe, opinions respectivement rapportée à leurs pays d’origine, donc, et mesurée périodiquement. On est loin du mirage dont il serait sans doute dangereux d’entretenir l’existence tellement celle-ci doit encore être embryonnaire et pas forcément souhaitable, d’un « esprit public européen » communément partagé (ce que renforce la notice sur les « Droits de l’homme », voir plus loin), et il ne faut pas s’attendre à en savoir beaucoup plus à ce sujet après la lecture de la notice trop brève de Thierry Chopin sur l’« Europe politique » – oui, il y a donc aussi parfois quelques déceptions au fil des pages.

L’Union Européenne en ses épreuves et personnalités

Le second niveau que cet ouvrage contribue à enrichir, est bien celui de la manière même de parler, de décrypter, d’expliquer un phénomène politique, renouvelant donc plus largement les limites conventionnelles de l’analyse politique. Bien sûr, le lectorat pourra être rassuré de trouver en très grand nombre de peu surprenantes notices consacrées à tout le fonctionnement institutionnel, bancaire (plusieurs articles, par exemple, concernant « Union », « Banque », « Accord », « Traité » etc.). Également, toutes les notices sur la dimension propre à la vie institutionnelle de l’Union sont également très présentes, très nombreuses – et c’est chose heureuse – des notices lourdes telles que « Parlement Européen », à celles concernant les différents partis politiques, les référendums etc.

Mais ces notices ne sont jamais strictement factuelles et peuvent prêter à tout autant de discussions et formulation de désaccords. Telle cette notice « Référendums sur le traité constitutionnel » de Dominique Reynié, par exemple. Premier aspect, après avoir parcouru la succession de ces référendums qu’il y réalise : il est difficile de se laisser convaincre par le constat quelque peu surplombant qu’il formule selon lequel « sur le plan politique, il est observable que les résultats des référendums reflète l’état d’une humeur collective à un moment particulier. Ils dépendent de la popularité des gouvernants ». Voilà une observation détonante, répercutant sans doute bien involontairement les critiques radicales des systèmes démocratiques, relayant la considération des « masses manipulables » que constituerait des peuples globalement incultes, d’une faible compétence et réflexivité politique donc, au point de ne pas être à même de faire la différence entre, précisément, un événement banal et un événement aussi déterminant que celui d’un Référendum sur le Traité. Le fonctionnalisme aurait-il encore de beaux jours devant lui ?

Dans le même ordre d’idée, « l’interprétation des référendums fait de plus apparaître un processus de mythification : le référendum est souvent réputé exprimer la pure souveraineté populaire, les parlements élus devenant dans le même mouvement sa version dégradée, voire corrompue. En même temps, dans les faits, la déférence dépend du résultat, comme le montre le traitement des référendums positifs par comparaison avec les référendums négatifs. Le peuple semble plus souverain quand il dit "non". La plupart des commentaires reconnaissent au "non" une majesté que le "oui" n’atteint jamais. »

Pourtant, noter (et démontrer cela) est tout autre chose que le constat difficile à mettre en question des « effets » et « échos » incomparables produits par les « non » français et hollandais. Aussi, naturellement, concernant l’ensemble des politiques (politique agricole commune, libre échange...), de la conjoncture économique, un fait divers peut les affecter ».

Le renouvellement de l’analyse politique s’opère donc notamment moins dans ces notices classique que dans les pistes considérables de recherche ouvertes par d’autres, plus discrètes, comme celles d’Andy Smith qui dégage le chantier d’une science politique par les personnes (approche biographiques) suggérant « d’analyser les commissionnaires pour Comprendre l’UE » (et le faisant lui-même), projet répercuté à leur manière par les notices sur « Delors », « De Gasperi », « Denis de Rougemont ». Et c’est une histoire d’un phénomène politique saisi par ses personnalités que Michel Leymarie réalise parfaitement à travers l’excellent article sur les « Intellectuels » situé au cœur de l’ouvrage, et qu’on pourra compléter avec autant de profit avec celui de Stephen Boucher sur « Think Tank ».

Ce renouvellement passe aussi à travers les éclairages qui nous sont donnés quant aux difficultés ou aux formes de contestation dont l’UE est l’objet au quotidien, et des épreuves, donc, de son fonctionnement habituel qu’elle est amenée à résoudre, dépasser. Ainsi, l’article « Directive » permet de comprendre de manière particulièrement intéressante et efficace, le nœud d’articulation et de tous les conflits dont celles-ci sont l’objet, et qui les rend souvent mal vécues : celle d’une tension au fond très classique entre la définition d’une norme générale et son application locale. Dans quelle mesure et jusqu’à où favoriser et laisser une « adaptation nationale » de ces normes (directives) ? Jusqu’à quel point risquer l’hétérogénéité de leur application ? Au risque de perdre voire dévoyer le sens même de la directive ?

Même chose du côté des Droits de l’Homme, redoutable épreuve où, là plus encore, comme le note Franzisca Bratner, les choses sont assez troublantes : « l’absence de vérification systématique du respect des droits de l’homme au sein des États membres a mené à une situation de "double standard" où l’UE promeut une politique plus rigoureuse à l’extérieur qu’à l’intérieur de ses frontières... et pose la redoutable question du "qui définit les droits de quels hommes et femmes" et les défend au sein de l’UE ? De qui l’UE défend-elle les droits ? L’UE est-elle un promoteur de droits de l’homme cosmopolite ou une structure qui sert à défendre les intérêts de ses citoyens avec, entre autres, un objectif pratique de promotion des droits de l’homme ? ». Nous n’ajouterons rien à ce constat qui laisse plus que pensif.

Poursuivant cet approfondissement de l’analyse politique, c’est ensuite aussi le détour par le volet juridique et judiciaire qui, quoique un peu en arrière-plan, reste pourtant bien présent et vient enrichir le strict domaine des institutions : une galaxie se noue assurément entre des termes tels que « Juge national », « Cour européenne de justice », « Europe sociale » etc.

Mais c’est aussi le vocabulaire même de la question politique européenne qui serait à renouveler. Ainsi, pas une seule trace de « Gouvernance », étonnant absent tout comme le terme de « gouvernement européen ». Mais, à leur place, d’autres mots, d’autres concepts, dont il serait finalement peut-être plus souhaitable de les voir dominer dans les analyses politiques de l’Union. Tout d’abord un concept nettement plus intéressant et précis qui y est clarifié avec le terme d’« Intergouvernementalisme », un « terme qui s’oppose au supranationalisme ou encore à la « méthode communautaire ». Il s’agit d’une méthode qui vise à produire des décision au sein de l’Union sur la base de la seule négociation entre les gouvernements des États », indique ainsi Christian Lequesne. Dans ce domaine plus général du gouvernement, et de manière autrement plus convaincante et précise que le seul mot de « gouvernance », la notice est complétée par d’autres qui concernent le « Lobbying », les « syndicats », mais aussi les « Groupes d’intérêt », très différents par leur degré d’institutionnalisation (forte pour les premiers) et leurs objets : théoriquement ou le plus possible, pour des intérêt public et civil pour les premiers, sociaux, économique ou encore industriels pour les seconds. Au sujet de ces deux derniers, la nuance est cependant subtile et loin d’être acquise comme nous conforte en ce sens l’article dense d’Éric Bussière sur les « Milieux économique » qui souligne en particulier l’importance de ces milieux et des acteurs qui les portent, dans les débats européens, des mouvements des années 1920 (comité Mayrisch, Paneuropa) aux grands organismes faîtiers à structures confédérales des années 1950-1960 : c’est l’histoire, qui, au final, est aussi bien et très présente, dans l’ensemble de l’ouvrage, et qui est une contribution décisive à cette démarche d’analyse politique.

Un renouvellement du vocabulaire de la « question politique européenne » qui se conclut puissamment – et l’on regrette ici de ne leur accorder que trop peu de place – par les notices aussi inattendues que bienvenues : « Roms », « femme », « minorités » mais aussi « sport », certes, notice qu’un brin chagrin, on verra comme un peu redondante avec celle concernant…le « football ».... !

Souches, plutôt que racines : une autre mémoire de l’Union Européenne

L’achèvement du périple de l’analyse politique de l’Union Europénne conduit à une autre de ses questions sensible, celle de sa mémoire (ou de ses « racines », de son identité). On y apprendra donc beaucoup concernant les courants et idéologies qui portent l’UE : europhobie, fascisme, extrême gauche... toutes les notices démontent aussi des mots lourdement chargés et révélateurs tels que le couple « Fédéralisme » / « fédération » (Olivier Beaud et Bertrand Vayssière), ou encore celui consacré au « Pacifisme ». Et c’est l’occasion de découvrir ou rappeler l’importance de la réflexion sur la construction européenne qui a été celle du nazisme, qui n’est pas si paradoxale que cela comme l’indique Edouard Hudson lorsqu’il parcourt les différents projets à caractère économique du régime exterminateur, en particulier les projets de Grossraumwirtschaft (économie du grand espace). Ainsi, explique-t-il, « les crises économiques avaient définitivement discrédité le libéralisme politique et économique ; il fallait penser en termes d’abolition des frontières et d’organisation économique des grands espaces », ce qui lui permet de rappeler ce faisant « les continuité des conceptions "européennes" du Troisième Reich à la République fédérale ». Une notice qu’il faut compléter par l’article dense et assez théorique de Pierre Hassner sur la notion d’ « Empire ». Mais, comme en réplique à cette exploration des souches de l’Union Européenne, le texte de Christophe Réveillard sur la « Résistance » rappelle aussi l’importance des idées fédéralistes et de leurs défense dans les courants de la résistance, en France, mais surtout en Italie où apparaîtront les premiers mouvements clairement fédéralistes, tel le Partito d’Azione et le journal clandestin « Unita Europea ».

Une exploration des souches de l’Union qui se poursuit à travers ce démontages d’autres ambiguïtés ou fausses idées, telle cette notice de Bernard Bruneteau sur la « Collaboration » qui opère des distinctions analytiques très claires, mais aussi à travers des approches et perspectives complètement différentes comme celle de Pierre Nora sur « Histoire et mémoire de l’Europe » qui, comme les autres mentionnées plus haut, s’attache de son côté à réfléchir aussi à poser les éléments d’un projet pour une mémoire qui ne soit pas créé de toute pièce « parce qu’on ne fabrique pas artificiellement de la mémoire » et qui rappelle, en liant mémoire et identité, que ce domaine-là est aussi une mise à l’épreuve de l’altérité. Une évocation de la question de l’identité qu’on trouvera toutefois un peu trop rapide, d’où l’article bienvenu « Identité », de Elie Barnavi, complété, par un autre biais, par celui de « Religion » (Patrick Cabanel) auquel on ne pourra pas reprocher son manque d’œcuménisme, de portée fédératrice ! Ainsi, lorsqu’il note qu’au fond tant la laïcité que la religion constituent un socle commun propre à des lieux de mémoire par les lieux historiques qui leurs correspondent : espaces de l’Aufklärung (lieux de l’Europe des Lumières), de la diaspora juive, du Refuge huguenot, et plus généralement d’une histoire d’une circulation des idées, etc. Voilà qui à nouveau renforce l’intérêt pour cette exploration – vive – des souches, moins que de retours à des racines parfois sulfureuses et qui vient opportunément, aussi, renouveler les débats politiques récents à ce sujet.

EspacesTemps

Ce texte est publié en collaboration avec la revue EspacesTemps.net qui propose sur son site un entretien avec Sylvain Kahn.

par Marc Dumont, le 2 juin 2009

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Pour citer cet article :

Marc Dumont, « Matières politiques pour la « machine européenne » », La Vie des idées , 2 juin 2009. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Matieres-politiques-pour-la

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