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La création du pacs en 1999 a modifié le paysage matrimonial français. Le nombre croissant de pacs contractés a conduit à se demander si les couples préfèrent désormais le pacs au mariage ou au concubinage. Marion Leturcq montre qu’il n’est pas justifié d’attribuer la baisse récente du nombre de mariages au pacs, car celle-ci répond à une baisse tendancielle depuis les années 1950, attribuable à une désaffection du mariage. L’étude de la réforme de 2005 du régime d’imposition des couples pacsés révèle que la conclusion du pacs obéit de manière significative à des motivations fiscales.

Photo : CRASH. ©Pierre Guillien. Exposition Le tag au Grand Palais - La collection Gallizia.

Le 25 août 2007, en se promenant dans les rues d’Aurillac, on pouvait entendre un couple discuter de leurs projets de vie. Lui : « on va se pacser, nous, hein ? On va se pacser pour les impôts et on se mariera plus tard, par amour. » Depuis le 15 novembre 1999, les conjoints qui désirent donner à leur couple un statut légal ne sont plus obligés de se dire « oui » devant Monsieur le Maire et peuvent conclure un pacte civil de solidarité, connu sous le terme de pacs. Celui-ci est né des revendications des couples homosexuels à une reconnaissance légale de leur union mais dès sa création, il a été ouvert aux couples hétérosexuels. À ses débuts, le pacs était très différent du mariage, d’un point de vue institutionnel (il n’est considéré comme un statut matrimonial que depuis 2007), fiscal (imposition du revenu et des successions), assurantiel (pensions de réversion) et juridique (droits et devoirs envers le partenaire). Deux principaux changements ont contribué à rapprocher le pacs du mariage. D’abord fiscal : depuis 2005, l’imposition sur le revenu des partenaires pacsés est identique à celle des couples mariés et rend le pacs plus attrayant qu’il n’était. Puis juridique : le 23 juin 2006, les droits et devoirs envers le partenaire ont été rendus plus proches de ceux des époux. Par ailleurs, depuis 2007, l’imposition des successions est la même pour les époux et pour les partenaires pacsés.

Le nombre de pacs n’a cessé d’augmenter : 22 276 pacs conclus en 2000, 102 148 en 2007. Le pacs a su séduire les couples hétérosexuels : ils représentent 75% des pacs contractés en 2000 et 93% en 2006 [1]. Néanmoins, avec 250 000 contrats par an, le mariage reste encore le contrat de prédilection des couples.

Une plus grande proximité juridique du pacs et du mariage, un grand nombre de couples pacsés : peut-on pour autant penser que le pacs est devenu une alternative au mariage ? C’est l’avis de l’INSEE qui affirme que « les couples choisissent de plus en plus le pacs comme alternative au mariage » [2], mais certainement pas celui du jeune homme d’Aurillac, qui envisage de « [se marier] plus tard, par amour ». Pour lui, le pacs, c’est « pour les impôts ». Quels usages les couples font-ils du pacs ? Ce dernier est-il un refuge pour les couples rétifs au mariage et désireux de payer moins d’impôts ou une alternative réelle au mariage ? A-t-on aujourd’hui les données suffisantes pour répondre à ces questions ?

Le pacs remplace-t-il le mariage ? Des données ambiguës

Peu de temps après la création du pacs, le nombre de mariages s’est mis à décroître, alors que le nombre de pacs n’a cessé d’augmenter. Simple coïncidence ou relation de cause à effet ?

Entre 2000 et 2006, le nombre de mariages pour 1000 personnes âgées de 20 à 59 ans (dans la suite du texte, les taux sont calculés pour 1000 personnes de cette tranche d’âge) est passé de 9,4 à 8,0 (voir graphique 1), son plus bas niveau depuis les années 1950. Pendant ce temps, le taux de pacs hétérosexuels a augmenté de 0,55 à 2,2, compensant largement la baisse des mariages : le taux d’unions (mariages et pacs hétérosexuels) n’a ainsi cessé d’augmenter depuis 2002. L’évolution du taux de mariage depuis 2000 conduirait à conclure à une baisse de celui-ci, mais l’analyse de la série depuis 1949 amène à relativiser ce constat : stable dans les années 1950 autour de 14 pour 1000, il a atteint les sommets puis chuté dans les années 1970, et s’est stabilisé depuis 1985 autour de 8,5 pour 1000. Le pacs fait timidement croître le taux d’union à 10 pour 1000, ce qui reste loin des 14 mariages pour 1000 personnes des années 1950. L’analyse des données trimestrielles de mariages et de pacs au niveau des départements ne laisse pas penser que la baisse du nombre de mariages est imputable à la hausse du nombre de pacs. Il faudrait pour cela conclure dans un premier temps que les nombres de mariages et de pacs sont respectivement en baisse et en hausse de façon durable, aussi bien au niveau national que départemental (tout au moins dans un grand nombre de départements) ; puis, dans un second temps, il faudrait pouvoir imputer la baisse de l’un à la hausse de l’autre. Or, dans le cas des mariages, c’est déjà trop s’avancer que de parler de baisse récente du mariage, au regard de la série de long terme. Ainsi, la simple vue des données nationales et départementales ne permet pas de savoir si le pacs, aujourd’hui, remplace le mariage.

Graphique 1


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Le pacs n’est par ailleurs qu’un facteur parmi d’autres pour expliquer l’évolution du taux de mariage. Facteurs démographiques d’abord : les années 1970 ont pu voir les nombreux baby-boomers arriver à l’âge de se marier. Facteurs juridiques ensuite : l’institution du mariage a profondément été modifiée avec les réformes du divorce de 1975 et de 2005. Facteurs économiques enfin : les avantages à être marié ont pu être modifiés, par exemple suite à l’adoption de l’amendement de Courson en 1995 [3], qui amoindrit la « prime au concubinage » et, par ricochet, valorise le mariage.

Il est cependant plus vraisemblable de penser que les couples ne choisissent pas le mariage, le concubinage ou le pacs dans l’absolu mais optent, au moment présent, pour le type d’union qui leur convient le mieux, en considérant les besoins immédiats (impôts, emploi, logement, assurance) ou à venir (reconnaissance sociale, désir d’enfants) et les coûts engendrés par cette union, immédiats (célébration, temps) ou à venir (coûts anticipés d’une séparation potentielle). Ces besoins évoluent au cours de la vie d’un couple, ce qui les conduit à réviser leur choix. Ils évoluent également d’une génération à l’autre : par exemple, l’assurance sociale est accessible par le biais du contrat de travail et le mariage permet d’offrir un statut d’ayant droit à la femme inactive. Dans la société française des années 1950, le taux d’activité des femmes était moins élevé qu’aujourd’hui, le mariage présentait un aspect assurantiel plus fort qu’il ne l’est maintenant. Il est donc nécessaire de s’intéresser à ce qu’apporte un statut matrimonial par rapport à un autre, pour un couple donné, à un moment donné pour rendre compte des usages que les couples font du pacs et de sa position par rapport au mariage : substitut, substitut de court terme ou concubinage avancé ?

Pour cela, les données au niveau des départements ne suffisent pas, il faut pouvoir suivre les trajectoires de vie des individus. En France, le peu de données individuelles qui existent sur le pacs sont très difficilement accessibles [4]. Les données départementales dont nous disposons nous permettent toutefois d’analyser certains des usages que les couples font du pacs. En utilisant les caractéristiques de la réforme de l’imposition des partenaires de 2005, il est par exemple possible de déterminer combien de couples, comme celui d’Aurillac, se pacsent « pour les impôts ».

Se pacser pour les impôts ?

La réforme de 2005 de l’imposition sur le revenu des partenaires pacsés permet aux couples d’effectuer des économies importantes sur le montant d’impôts à payer pour l’année du pacs. Jusqu’en 2005, les couples pacsés devaient attendre trois ans pour déclarer conjointement leurs revenus. La date du pacs n’avait alors aucune incidence sur le montant d’impôt payé. Depuis 2005, les partenaires pacsés sont soumis au même système d’imposition que les couples mariés. Ils établissent trois déclarations de revenus pour l’année au cours de laquelle l’union est contractée : une chacun pour les revenus perçus jusqu’à la date du pacs, une commune pour les revenus perçus pour le reste de l’année. La date qui conduit à minimiser le montant d’impôt à payer dépend du niveau de revenus de chacun et de la différence de revenus entre les conjoints, mais elle appartient toujours au 2e ou 3e trimestre.

Dès 2005, le nombre de pacs contractés au cours des 2e et 3e trimestres croît soudainement, la saisonnalité des pacs s’inverse (voir graphique 2). Comment interpréter cette augmentation : effet d’aubaine pour des couples qui se seraient pacsés de toutes manières avec ou sans la réforme ou effet d’incitation à se pacser ? On peut évaluer l’impact de la réforme en comparant l’accroissement du nombre de pacs au cours des 1er et 4e trimestres, supposée inchangée, à l’accroissement au cours des 2e et 3e trimestres. Dans une étude (à paraître) que j’ai réalisée sur données départementales, j’estime que 38% des pacs contractés depuis 2005, au maximum, peuvent être attribués à la réforme de l’imposition. Cependant, parmi ces 38%, certains sont imputables à l’effet incitatif de la réforme mais d’autres à de potentiels effets de calendrier : des couples qui projetaient de se pacser au premier trimestre ont préféré retarder leur pacs pour bénéficier des économies d’impôt. Je tiens compte de ces effets potentiels en supposant que certains pacs ont été décalés dans le temps, j’estime leur nombre en décrivant ce qu’aurait été la croissance naturelle du nombre de pacs au premier et au quatrième trimestres en l’absence de réforme. Restent alors 20% des couples pacsés depuis 2005 imputables à la réforme, donnant le nombre minimal de pacs que l’on peut attribuer à la réforme.

graphique 2


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Ainsi, une part non négligeable des pacs contractés peut être attribuée à la réponse des couples, qui ajustent rapidement leur comportement à un changement de fiscalité. L’économie d’impôts porte principalement sur la première année de pacs, indiquant que les choix concernant leur statut matrimonial peuvent être guidés par des considérations de court terme. La réforme ne fait pas du pacs une niche fiscale pour autant. 20% des couples pacsés sont dus à la réforme, soit près de 45 000 couples sur trois ans, ce qui représente certainement un faible nombre des couples vivant en concubinage en France.

Ainsi, les usages que les couples font du pacs aujourd’hui, en particulier par rapport au mariage sont encore largement inconnus. Se substitue-t-il au mariage, est-il une première étape vers celui-ci ou est-il considéré comme une forme de concubinage avancé par des couples rétifs au mariage ? Il n’est pas justifié d’attribuer la baisse récente du nombre de mariages au pacs, car celle-ci répond à une baisse tendancielle du nombre de mariage depuis les années 1950, attribuable à une désaffection du mariage. Cette désaffection est quelque peu compensée par le pacs, grâce auquel le taux d’unions enregistrées augmente.

par Marion Leturcq, le 3 avril 2009

Pour citer cet article :

Marion Leturcq, « Les usages du pacs », La Vie des idées , 3 avril 2009. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Les-usages-du-pacs

Nota bene :

Si vous souhaitez critiquer ou développer cet article, vous êtes invité à proposer un texte au comité de rédaction (redaction chez laviedesidees.fr). Nous vous répondrons dans les meilleurs délais.

Notes

[1Valérie Carrasco, «  Le Pacte Civil de Solidarité : une forme d’union qui se banalise.  » Infostat Justice 97, Octobre 2007.

[2Yves Jauneau dans «  France, Portrait Social  » INSEE, édition 2008.

[3Les célibataires qui élèvent seuls leur enfant bénéficient d’une part supplémentaire pour leur déclaration de revenu, au lieu d’une demi-part. L’amendement Courson stipule que pour bénéficier d’une part entière, les célibataires doivent prouver qu’ils élèvent seuls leur enfant, rendant ainsi plus difficile l’optimisation fiscale des couples en concubinage.

[4Elles le sont moins à l’étranger : sur données néerlandaises, Mircea Trandafir étudie l’impact de la création du partenariat enregistré et du mariage homosexuel sur le nombre de mariages hétérosexuels («  The effect of same-sex marriage laws on different-sex marriage : Evidence from the Netherlands  » mimeo, Université du Maryland, 2008). Il observe une baisse tendancielle du taux de mariages de 0,06 points de pourcentage par an, à laquelle s’ajoute une baisse de 0,06 points de pourcentage pour les hommes et de 0,39 pour les femmes, imputables à l’adoption des lois concernant le statut légal des couples de même sexe. En effet, les deux lois ont potentiellement un effet négatif sur le nombre de mariages hétérosexuels : le partenariat enregistré peut attirer des couples hétérosexuels qui se seraient mariés et l’ouverture du mariage aux couples homosexuels pourrait discréditer l’institution du mariage, mais il n’est pas possible de distinguer lequel des deux effets prévaut. Toutefois, l’effet d’éviction du partenariat enregistré sur le mariage, s’il existe, est faible. Une étude similaire à celle-ci sur données françaises conduirait peut-être à des résultats du même ordre.

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