Michael F. Bérubé, The Left at War, New York University Press, 2009, 352 p., $29.95.
Les années 2000 furent difficiles pour la gauche américaine. Après une élection présidentielle décidée dans l’enceinte du bâtiment de marbre de la Cour suprême, la gauche a assisté impuissante à l’adoption d’une loi liberticide, le Patriot Act, puis au déclenchement des hostilités en Afghanistan et en Irak, sans que le mouvement pacifiste ne vienne lézarder le consensus politique né des attentats du 11 septembre. Les critiques formulées à l’égard du gouvernement Bush n’ont pas non plus empêché la remise en cause des droits des salariés, que ce soit par la nomination de juristes conservateurs à la tête du NLRB, la commission nationale chargée d’appliquer le droit du travail, ou par le soutien apporté à Wal-Mart, le premier employeur du pays, face aux inspections du ministère du Travail [1]. Dans ce domaine, la politique menée par le gouvernement Bush a prolongé les efforts menés par les conservateurs depuis les années 1980.
Dans The Left At War, Michael Bérubé, professeur de littérature et de cultural studies à l’université de Pennsylvanie, revient sur ces années pendant lesquelles les critiques formulées par la gauche américaine furent souvent inaudibles et invisibles. Il nous invite pour cela à un dialogue implicite entre deux figures de la gauche que peu de choses rapprochent a priori, Noam Chomsky et Stuart Hall. Le premier, linguiste de renom et professeur émérite au MIT à Cambridge au Massachusetts, s’est imposé en trente ans comme l’un des chefs de file de la contestation radicale aux États-Unis. Le second, qui dirigea à partir de 1968 le fameux Center for the Study of Contemporary Culture fondé avec Raymond Williams et Richard Hoggart à Birmigham, est une des grandes figures des cultural studies [2]. À en croire Bérubé, le recours aux travaux de Stuart Hall sur le thatchérisme pourrait sauver la gauche américaine des effets néfastes de l’influence de Chomsky.
Gauche démocratique et gauche manichéenne
Aujourd’hui, la gauche américaine pose avant tout un problème de définition. Les repères politiques traditionnels sont aujourd’hui à ce point brouillés que le terme de gauche n’a plus de sens précis aux États-Unis : dans les médias, il est utilisé dans les années 2000 pour faire référence à des acteurs aux idées aussi différentes que Edward Kennedy, l’ancien sénateur démocrate du Massachusetts, et Alexander Cockburn, le rédacteur en chef du magazine radical Counterpunch. S’il n’y a plus de Parti socialiste sur la scène politique américaine, le terme socialiste n’en frappe pas moins par son ubiquité dans les critiques formulées par les conservateurs à l’égard des politiques menées par Obama depuis son élection. Quant au terme liberal, qui résuma pendant plus de cinquante ans un programme politique articulant politiques keynésiennes, conventions collectives, filet social et protection des droits de l’individu sous l’égide du Parti démocrate, il est à ce point chargé d’opprobre que les opposants des politiques sociales et économiques menées depuis Ronald Reagan ont désormais recours, pour se définir, à un vocable plus ancien, hérité du début du siècle, le progressisme. Certes, ce brouillard conceptuel témoigne abondamment de l’influence des conservateurs sur les termes du débat. Une mise au point est donc utile [3].
Le lecteur n’en trouvera guère dans The Left at War. Le titre polysémique en résume la thèse : selon Michael Bérubé, le mouvement pacifiste pendant les années Bush fut littéralement frappé d’incapacité par les excès de ce qu’il appelle la « gauche manichéenne », par opposition à la gauche « démocratique » :
The consequences for leftist thought in the US have been devastating. At just the time when the US needed a vigorous and widespread popular dissent from the depredations of the Bush-Cheney regime, the Manichean left stepped forward with a form of critique that holds that the US is responsible for the emergence of Al-Qaeda, that the war in Afghanistan is one of the most grotesque acts in modern history, and that anyone who disagrees with these judgments is either an apologist or an imbecile (p. 11).
Le caractère polémique de l’analyse surprendra peut-être le lecteur français, plus habitué aux débats feutrés. Dans une première partie, l’auteur consacre de longues pages à critiquer les universitaires et chroniqueurs politiques qui, à la suite de Noam Chomsky, réduisent toute intervention américaine, quel qu’en soit l’objectif, à une machination impérialiste organisée dans l’intérêt d’une classe au pouvoir. Bérubé n’a pas de mots assez durs pour cette gauche « contre-culturelle » (nous reviendrons plus bas sur ce terme), à laquelle il reproche d’user d’un raisonnement binaire qui conduit à penser que dans la mesure où la politique étrangère des États-Unis est condamnable in toto, les pays qui la combattent et leurs dirigeants sont, quelque part, des victimes. La méthode utilisée par l’auteur consiste à citer les ouvrages, articles et discours produits par cette gauche dans des revues comme Z, the New Left Review et Monthly Review pour en montrer l’inanité : quand le politologue Michael Parenti prend la défense de Slobodan Milosevic, quand Chomsky dénonce un « génocide silencieux » perpétré par les Américains en Afghanistan, ou encore quand l’expression « maquis irakien » est utilisée en référence à l’opposition rencontrée par les soldats américains après l’invasion en 2003, la gauche « manichéenne » se marginalise, et pénalise la critique de gauche dans son ensemble [4].
À bien lire Bérubé, cette gauche « manichéenne » est incapable de proposer une analyse crédible des affaires internationales car elle s’appuie sur une critique des médias, développée par Chomsky et Edward Herman dans la Fabrique du consentement, qui réduit presse et télévision à une entreprise de falsification menée dans l’intérêt d’une classe au pouvoir. Dans cette perspective, toujours selon Bérubé, résister aux pouvoirs en place implique nécessairement de prendre les médias à contre-pied et de souligner inlassablement la duplicité des messages qu’ils diffusent [5]. Une étude fine du contenu des quotidiens au cours des années 2001-2006 aurait sans doute permis d’entamer un débat fructueux avec Chomsky. De même, une étude sociologique portant sur la position des différents acteurs dans le champ universitaire et dans celui de l’édition (il est évident que la gauche « démocrate » de Bérubé s’appuie sur des revues prestigieuses comme The Nation ou Dissent, tandis que la gauche « manichéenne » diffuse ses idées à partir de revues plus récentes comme Counterpunch) serait fort éclairante, mais The Left at War est avant tout un livre à charge.
On l’aura compris, ce distinguo entre gauche manichéenne et démocrate s’apparente d’abord à un discours de disqualification de la gauche « non-démocrate » et notre propos ici n’est pas de prendre parti. Sans doute Bérubé a-t-il raison d’avancer que les intellectuels de gauche ont manqué l’occasion, en 2001 et 2002, de tirer parti du contexte de la guerre contre le régime taliban pour réaffirmer les valeurs américaines : droits des femmes, droits des homosexuels, avortement, liberté d’expression, autant de thèmes qui auraient pu mettre la droite américaine en porte-à-faux au moment où des prédicateurs comme Jerry Falwell et Pat Robertson expliquaient que le 11 septembre était une réponse divine aux excès de l’Amérique libérale. Par ailleurs, Bérubé n’est pas le premier à souligner le caractère réducteur des analyses de Chomsky. Élu « intellectuel le plus influent dans le monde » par les lecteurs du magazine Prospect en 2005, Chomsky est aussi probablement le plus critiqué [6]. Mais la défense de principes de droit internationaux – Bérubé plaide en faveur d’un left internationalism fondé sur les valeurs de démocratie et les droits de l’homme – justifie-t-elle d’exclure Chomsky ou d’autres de la « gauche démocratique », et de suggérer que leur critique de l’impérialisme américain est vaine, voire que leur opposition revient au fond à une forme de soutien aux régimes totalitaires ?
Si la distinction entre « gauche manichéenne » et « gauche démocrate » est intéressante, c’est qu’elle témoigne abondamment de l’acuité des tensions qui se sont fait jour au sein de la gauche dans les années 2000, mais aussi, et c’est le plus intéressant, d’une certaine confusion quant aux fins et aux moyens de ce que les Américains appellent la critique radicale. Les épithètes accolés à la gauche en témoignent : en 2002, le philosophe Michael Walzer appelait de ses vœux, contre Chomsky, l’émergence d’une gauche respectable (decent), alors que l’historien Michael Kazin défendait, toujours dans les pages de Dissent, une gauche patriote capable de s’appuyer sur l’importance du nationalisme et du patriotisme dans la culture politique américaine, qu’elle soit de gauche ou de droite [7]. De fait, chacun des conflits auxquels les États-Unis ont participé au XXe siècle ont provoqué des lézardes dans les coalitions réformatrices qui s’étaient formées à la faveur des questions sociales et politiques intérieures. Il est donc tentant de voir la première partie du livre de Bérubé comme une nouvelle étape dans l’opposition entre la contestation de gauche, historiquement minoritaire aux États-Unis et méfiante à l’égard du nationalisme, et le réformisme modéré qui fit les beaux jours du parti démocrate jusqu’aux années quatre-vingt, notamment parce que les liberals américains occupèrent à partir de la fin des années quarante un « centre vital » (Arthur M. Schlesinger), défini par les valeurs de la démocratie libérale et fondé sur le rejet du communisme et du fascisme. Chomsky lui même ne dénonçait-il pas, en 1967, la distinction entre la « dissidence responsable » et la « dissidence hystérique » qui avait cours au plus fort de l’opposition à l’engagement au Vietnam [8] ?
Pourtant, les choses sont un peu plus complexes. Comme le montrent l’ouvrage de Michael Bérubé et l’importance qu’il attache à Stuart Hall, c’est moins à partir d’un affrontement left-liberalism qu’autour de la question des modalités du travail intellectuel que s’agence aujourd’hui l’opposition entre les deux camps qui se réclament de la gauche. Pour s’en convaincre, il faut suivre l’auteur dans ce qu’il reconnaît lui même être un détour (oblique turn) et délaisser la politique étrangère des États-Unis pour se plonger dans la naissance des cultural studies en Angleterre.
Retour à Birmingham
Il faut reconnaître que la comparaison Chomsky/Hall est déroutante de prime abord, car Bérubé compare l’analyse que Chomsky fait de la politique étrangère américaine au travail mené par Stuart Hall sur la naissance du thatchérisme. Non certes que la logique en soit absente : elle s’appuie d’abord sur la tension entre les lectures que Chomsky et Hall font du rôle des médias dans la société moderne. Pour Stuart Hall, dans un article célèbre intitulé « Encoding/Decoding », les messages diffusés par les médias ne sont pas univoques, même s’ils ont tendance à renforcer la domination sociale, car la réception en est contingente et socialement située [9]. L’information est un espace de conflit (notion chère aux cultural studies, que l’on retrouve mise en pratique dans les travaux historiens d’E.P. Thompson) au sens où c’est un ensemble de signes que le lecteur interprète ponctuellement, à partir de sa propre position sociale. Il n’y a selon cette théorie ni domination par les médias ni interprétation des signes (chômage, grèves) à partir des seuls intérêts matériels propres à une classe sociale. De cette perspective néo-gramscienne, il découle deux idées importantes, mises en œuvre dans le travail que Hall mène sur le thatchérisme. La première veut que les identités soient multiples et non univoques ; la deuxième est que l’hégémonie requiert de la part des dominants un travail constant de codage susceptible d’empêcher les citoyens de se soustraire aux discours dominant : le pouvoir doit produire une forme de grille de lecture favorisant le soutien dont il a besoin. En convoquant Hall dans ce débat, Bérubé veut encourager la gauche américaine à comprendre les raisons des succès de la droite, particulièrement auprès des classes populaires américaines, avant d’en dénoncer les positions.
Nul n’est besoin de suivre toute la sémiotique de Stuart Hall pour voir ce qu’une problématisation de l’essor de la droite américaine comme « bloc historique » a d’éclairant. Pour cela, il suffit de se souvenir des remarques de Nixon sur « l’homme oublié » et la « majorité silencieuse » ou encore des mises en scène des apparitions de Ronald Reagan, qui s’était associé au combat des travailleurs de Solidarnosc en invitant le frère de Lech Walesa à apparaître à ses côtés lors d’un discours portant sur l’Amérique et les libertés, pour voir les stratégies rhétoriques mises en œuvre par les conservateurs pour s’assurer le soutien d’une partie de l’électorat populaire. On peut dès lors souligner, avec Bérubé, qu’une gauche trop arc-boutée sur les notions de fausse conscience et le primat des intérêts économiques, telle que Chomsky la représente, a toutes les chances de commettre l’erreur de sous-estimer les conservateurs et de voir dans le vote populaire conservateur une simple forme de désaffiliation politique nourrie par les médias.
Cependant le livre de Bérubé ne serait guère intéressant s’il n’était qu’une énième version d’un affrontement entre les lecteurs de Marx et de Gramsci. De fait, la présentation des travaux de Stuart Hall est une forme de plaidoyer pro domo déguisé. Professeur de cultural studies, Bérubé est bien placé pour connaître les réserves dont ce champ d’études fait l’objet depuis une quinzaine d’années aux États-Unis. Depuis les années 1990, les cultural studies y subissent de sévères critiques portant, d’une part, sur leur incapacité à faire le lien entre le culturel et le politique et, d’autre part, sur leur silence sur la croissance des inégalités économiques. De fait, en présentant la consommation ou des expressions artistiques comme le hip hop comme des espaces d’émancipation sociale, les cultural studies, dans leur version américaine, ont évacué le politique et donné l’impression que la critique du capitalisme et des inégalités sociales était moins importante qu’une insistance sur l’autonomie dérobée, par les acteurs, aux vents contraires des rapports de pouvoir. En privilégiant une perspective ethnographique, elles ont aussi, dans le même temps, laissé de côté des phénomènes politiques et macro-économiques qui structurent pourtant la vie et les choix qui s’offrent aux acteurs.
On notera cependant le fondement pragmatique (au sens que donne la philosophie américaine à ce terme) de cette critique : la valeur des cultural studies est appréhendée sous l’angle de leur utilité et de leur efficacité politique, et les détracteurs de ce champ d’étude, à l’instar de Todd Gitlin, ont beau jeu de remarquer que pendant que les cultural studies s’imposaient dans les départements d’anglais, les conservateurs, eux, s’imposaient à la Maison Blanche. En revenant à Hall et en lui attribuant la capacité de soigner les maux de la gauche, Bérubé cherche d’abord à donner un second souffle à un champ d’étude actuellement dépassé par le retour de l’histoire politique et des problématiques de classe [10].
« Left is write »
Pour comprendre toute l’ambition de l’ouvrage de Bérubé, il faut cependant se pencher plus avant sur le contexte qui entoure la remise en cause des cultural studies dans les années 1990. Au vrai, la controverse est bien plus large et porte sur le primat du multiculturalisme et des identity politics dans une Amérique où les inégalités sociales se développent. De Michael Tomasky, le rédacteur en chef de la revue Democracy, au philosophe Richard Rorty, un mouvement qui se dit désormais progressiste prône un retour à des notions permettant de mobiliser l’opinion publique et de la fédérer au lieu de la diviser en de multiples entités raciales et ethniques et sexuées. Symbole de ce travail de refondation, l’éditorial publié par l’hebdomadaire The Nation au mois d’avril 1997, « Pour un contrat social progressiste » (A progressive compact), qui appelle à la construction d’un programme économique et social permettant de réunir une majorité d’Américains [11]. Si les départements d’anglais, où la French Theory et le relativisme inhérent aux théories post-modernes règnent sans partage, cristallisent les enjeux de ce débat, c’est aussi qu’ils symbolisent parfaitement le déclin des public intellectuals analysé par Russel Jacoby, mélange de dépolitisation et d’isolement social dû à la pratique d’un jargon scientifique incompatible avec l’exercice d’une quelconque influence au delà du campus. Car telle est la spécificité de la gauche américaine, qu’il s’agisse de Noam Chomsky ou de Richard Rorty : elle dépend aujourd’hui principalement du système universitaire, alors que les conservateurs, inquiets de l’influence de la gauche sur les médias et l’université, se sont principalement appuyés depuis trente ans sur des think tanks pour produire et diffuser des idées.
En proposant de changer de modèle et de passer de Chomsky à Stuart Hall, Bérubé suggère en quelque sorte une réponse du berger à la bergère. Si l’idée défendue dans The Left at War, est donc bien de revenir à Gramsci, c’est surtout pour réaffirmer le rôle que ce dernier attribue au travail intellectuel dans la déconstruction des « blocs historiques ». Certes, la question du rapport entre le penser et l’agir n’est pas nouvelle, mais elle prend forme dans des configurations historiquement situées : aujourd’hui, alors que certains intellectuels américains souhaitent rompre avec la critique du libéralisme et des idéaux des Lumières héritée des mouvements des années soixante, l’on assiste également à une remise en question de la figure sociale de l’universitaire née du militantisme des années 1960, quand nombre de militants de la Nouvelle Gauche rejoignirent les universités où le penser l’emporta largement sur l’agir. Les traces de cette réflexion sur les modalités du travail intellectuel sont nettement visibles aujourd’hui dans l’historiographie sur les années 1960. À la recherche d’un modèle alternatif permettant de renouer avec la notion universelle de progrès, certains historiens proposent une lecture renouvelée du parcours des intellectuels, qui, tel le sociologue C. Wright Mills, furent une source d’inspiration pour le mouvement étudiant et la Nouvelle Gauche. Ces intellectuels pensaient qu’ils pouvaient servir d’aiguillons en favorisant un mouvement social étudiant capable de rappeler au Parti démocrate toute l’ambition du projet réformateur dont il avait hérité. Le rejet en bloc du libéralisme du Parti démocrate et la critique systématique de l’organisation sociale et politique de l’Amérique, incarnée aujourd’hui par Noam Chomsky ou Howard Zinn, ne fut qu’une conséquence de l’échec de cette ambition, le marqueur d’un chemin non emprunté [12].
L’on comprend dès lors pourquoi Bérubé parle de « gauche contre-culturelle » en référence à Chomsky, ou pourquoi le philosophe Michael Walzer, qui a défendu l’idée gramscienne du « connected critic » (un intellectuel inséré dans le champ politique et social), reproche à Chomsky de recourir à des modes de contestation utilisés dans les années 1960, inadaptés à la critique du pouvoir conservateur. Au coeur du changement prôné par Bérubé et, avec lui, par une partie de la gauche, on trouve l’idée que l’hégémonie d’un bloc historique est forcément instable : elle peut être renversée par des intellectuels capables de diffuser les schèmes susceptibles de concurrencer les représentations du social diffusées, en l’occurrence, par la Nouvelle droite [13]. C’est dire qu’en renouant avec le marxisme culturel, la gauche américaine trouve des raisons d’espérer. Le célèbre chroniqueur politique Harold Meyerson ne dit pas autre chose lorsqu’il préface son blog d’un jeu de mot intraduisible : Left is write.
L’Américanisme et le nationalisme en question La gauche américaine est dans le monde, mais n’est pas de ce monde, remarquait Daniel Bell en 1952 dans un ouvrage où il tentait d’expliquer pourquoi les socialistes avaient si peu d’influence aux États-Unis [14]. Cinquante ans plus tard, The Left at War n’est pas sans rappeler ce constat. Car in fine, Bérubé avance que la gauche ne peut plus être contre-culturelle et doit revenir à des notions faisant écho à la culture nationale (liberté, égalité). L’on comprend mieux, dès lors, l’opposition qui s’est dessinée à gauche après 2001 : marqués par le consensus politique né du 11 septembre, un certain nombre d’intellectuels tentent de se saisir des « langages politiques » mobilisés par la droite pour construire l’électorat ayant permis l’arrivée à la Maison Blanche de Ronald Reagan et de George W. Bush. Là encore, c’est au carrefour de la réflexion politique et de l’écriture de l’histoire que se dessinent les contours de la contribution des intellectuels aux mouvements de gauche. Ils peuvent en effet s’appuyer sur les acquis d’une nouvelle historiographie qui substitue à la triade race-classe-genre une analyse des combats menés au cours de l’histoire pour le contrôle des notions essentielles que sont la liberté ou l’Américanisme [15]. Aujourd’hui, comme Bérubé, certains progressistes sont bien décidés à être à la fois dans et de ce monde. Rappelons simplement, avec Stuart Hall, que « l’hégémonie est un travail difficile », et qu’elle doit s’incarner dans des forces sociales. Alors que la pratique gréviste atteint un nouvel étiage, la droite américaine semble toujours, avec le mouvement Tea Party, avoir une longueur d’avance.