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Recension Société

Le sociologue en habit de journaliste

À propos de : C. Lemieux, La sociologie sur le vif, Presses des Mines.


par Alain Desrosières , le 30 septembre 2010


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Sociologue des médias à l’origine, Cyril Lemieux a décidé de participer à son objet en animant une chronique radiodiffusée commentant les événements à la lumière de la sociologie. Un exercice difficile, susceptible de ranimer les relations entre science et médias à condition d’éviter un certain nombre d’écueils.

Recensé : Cyril Lemieux, La sociologie sur le vif, Presses des Mines, Paris, 2010, 326 p., 19 €

Depuis plus de vingt ans, resurgit régulièrement le débat sur l’enseignement des « sciences économiques et sociales » (SES) dans le second cycle des lycées. Cet enseignement revendique la complémentarité de l’économie et de la sociologie. Ce regroupement est critiqué de deux points de vue qui, bien que distincts, visent au même but : faire disparaître l’heureuse innovation qu’a constituée la création, dans les années 1970, de cet enseignement associant les deux disciplines. D’une part, des chefs d’entreprise affirment que cet enseignement donne « une image négative de l’entreprise », en attirant trop, selon eux, l’attention des élèves sur les tensions et conflits entre les groupes sociaux. D’autre part, les économistes universitaires orthodoxes, qui revendiquent la scientificité de leur discipline (notamment à travers ses modélisations mathématiques) en la distinguant de disciplines supposées littéraires et peu rigoureuses, estiment que cet enseignement, assuré dans les lycées, prépare mal à celui, abstrait et formalisé, qu’ils pratiquent dans les grandes écoles et les universités. Sans que cela soit dit explicitement, la sociologie est, de ce fait, disqualifiée. Ce deuxième point de vue est bien sûr contesté par les universitaires économistes hétérodoxes de toutes tendances.

Au delà de la bataille, menée à juste titre par les enseignants des SES, il est utile de s‘interroger sur les usages sociaux de ces deux disciplines. L’économie élémentaire, notamment celle des médias, insiste sur deux idées apparemment contradictoires. D’une part, l’individualisme méthodologique affirme que seuls les comportements des individus, libres de leurs choix et poursuivant leurs intérêts, permettent de rendre compte des phénomènes économiques. D’autre part les « contraintes des marchés » sont « incontournables » et pèsent lourdement sur ces mêmes acteurs individuels, telles des lois universelles. Dès son origine, l’économie s’est constituée comme un discours normatif, ou au moins prescriptif, soit en inculquant aux jeunes (et aux moins jeunes) une « culture économique » schématique et désincarnée, soit en conseillant le Prince ou en commentant ses décisions, (avec des outils certes plus sophistiqués). Dans ce deuxième cas, l’économie est comparable à une « ingénierie », selon l’expression de Michel Armatte [1]. Il est cependant difficile de juger les contenus cognitifs de la science économique en les isolant de ces deux grands types d’usages sociaux, idéologique et prescriptif. La crise qui fait rage depuis 2007 (les subprimes) et 2008 (la faillite de Lehman Brothers) a multiplié les interventions de ce type prescriptif : « Voilà ce qu’il faut faire… », « Voilà ce qu’on aurait dû faire… ».

Qu’en est-il, de ce point de vue, de la sociologie ? A quoi sert-elle, de fait ? La sociologie sur le vif, le livre apparemment sans prétention théorique de Cyril Lemieux, offre une occasion de réfléchir à cette question, notamment en la comparant à l’économie. Il est constitué par les transcriptions de brèves interventions de cinq minutes, à la fin d’une émission radiophonique hebdomadaire de France-Culture, La suite dans les idées, de Sylvain Bourmeau, entre août 2007 et juillet 2009. Le plan est toujours le même : présentation d’un événement d’actualité, puis interprétation de celui-ci à l’aide de quelques grands auteurs de la sociologie classique ou contemporaine. Dans chaque cas, est opposée à la lecture journalistique « premier degré », souvent stigmatisante ou moralisante, une autre lecture indiquant à ceux

qui croient que les individus sont entièrement libres et autonomes dans leurs choix, [que] la sociologie rappelle ce que ces choix supposés autonomes doivent à leur socialisation et à la place particulière qu’ils occupent dans des systèmes d’action concrets, les mettant aux prises avec d’autres êtres humains. (21 juillet 2009, p. 310).

Cet énoncé très général et scolaire prend tout son relief avec les cas concrets que tout le monde a en tête car ils ont figuré, à un moment ou l’autre, à la une des grands médias. Cette lecture a l’intérêt de montrer que la sociologie ne vise pas à présenter les comportements des acteurs comme « déterminés », ni a fortiori « excusés » par des « facteurs sociaux » qui les surplomberaient, comme le suggère souvent une lecture dénonciatrice. En revanche, elle contribue à stimuler « l’imagination politique », selon une expression inspirée du célèbre livre de Wright Mills, L’imagination sociologique. Ceci pourrait s’appliquer tout particulièrement à l’imagination des journalistes.

Sociologie compréhensive et journalisme

Cyril Lemieux s’était en effet fait connaître, en 2000, par la publication de sa thèse sur le journalisme : Mauvaise presse. Une sociologie compréhensive du travail journalistique et de ses critiques (Métailié, Paris). Il y décrivait le système des contraintes et les configurations d’acteurs dans lesquels les journalistes se meuvent, et les critiques qui leur sont adressées. Parmi celles-ci, la dépendance au temps très court et aux interprétations déjà formatées par les acteurs, et la concurrence entre médias. Ce premier livre avait parfois été lu, par des critiques plus radicaux, comme une tentative de disculper une presse souvent perçue comme complice des pouvoirs économiques et politiques en place. Le dernier livre, La sociologie sur le vif, peut être vu comme une série d’exercices sur ce que la sociologie pourrait apporter au travail journalistique, notamment pour les écoles de journalisme. Sans chercher à « excuser », il s’agit de fournir des exemples d’événements qui, à un moment, « font l’actu », et de les lire à l’aide de quelques schèmes travaillés, dans d’autres temps et d’autres lieux, sur d’autres cas, par quelques-uns des auteurs les plus fameux de la discipline. L’auteur parle à ce sujet de « distanciation ». Il a toujours en tête, pour la combattre, l’opposition simpliste et scolaire entre liberté et déterminisme, déjà mentionnée ci-dessus à propos de l’économie. Mais il la traite non pas de façon abstraite et théorique, mais à partir de ces histoires et polémiques qui ont défilé dans la presse au cours de ces deux années :

La sociologie doit cesser de croire que son travail cesse à partir du moment où elle a montré les limites de l’autonomie des individus… Sa tâche est, au moins autant, de rendre compte de ce phénomène social que constitue l’autonomie, ou du moins, un certain degré d’autonomie individuelle. Parvenir à concilier les deux perspectives, celle de l’autonomie relative des individus et celle de leur manque d’autonomie observable, demande des approches sociologiques suffisamment subtiles. Or, celles qui ont pignon sur rue ne le sont pas toujours (25 septembre 2007, page 294).

« Rendre compte de ce phénomène social que constitue l’autonomie », telle est la tache paradoxale de la sociologie « compréhensive », selon l’expression (elle-même souvent très mal comprise) de Max Weber, revendiquée par Cyril Lemieux. Cette démarche doit se défendre sur deux fronts : 1) « comprendre » n’est pas « excuser », mais 2) ce ne peut être non plus un obstacle à la lutte politique, y compris la plus exigeante et radicale. La première critique peut d’ailleurs être lue dans les deux sens : « expliquer » (et a fortiori « comprendre ») les émeutes de banlieue n’est pas « excuser » les brûleurs de voitures (comme le soutient Alain Finkielkraut), mais « expliquer » les comportements des traders ou des riches fraudeurs fiscaux n’est évidemment pas non plus manifester une quelconque connivence avec eux.

Quels sociologues sont ainsi mobilisés ? Le grand gagnant est Max Weber (dix fois), dont sont cités les thèmes de la légitimation (charismatique ou légale-rationnelle), de la supposée opposition entre éthiques de responsabilité et de conviction (présentées et relativisées), le « désenchantement du monde », le capitalisme comme une « cage d’acier », et l’idée de neutralité axiologique. Puis viennent Pierre Bourdieu (six fois : habitus, champ et distinction, bien sûr, mais aussi le « racisme de classe », et l’opposition de Grignon et Passeron entre misérabilisme et populisme), et, chacun cinq fois : Howard Becker (déviance et outsiders, sociologie du monde de l’art), Luc Boltanski (sens de la justice, jugements de grandeur, notion d’« affaire »), Emile Durkheim (suicide, anomie, droit et division du travail social, biologie et sociologie), Norbert Elias ( autocontrainte et distanciation, processus de civilisation, société de cour, gêne devant la mort), Erving Goffman (mise en scène de la vie quotidienne, distance au rôle, perte de la face, dénégation des inégalités sociales), Albert Hirschman (quatre fois : rhétorique réactionnaire, sociologie des grèves, « exit et voice »), et (trois fois) : Raymond Aron, Christian Baudelot et Roger Establet, Michel Callon et Bruno Latour, puis (deux fois), Jurgen Habermas, Maurice Halbwachs, Paul Lazarsfeld, Claude Lévi-Strauss.

Rechercher les implicites antérieurs

Voyons, pour deux affaires récentes en partie postérieures à ces interventions radiophoniques, quel éclairage sociologique serait possible : les affaires Kerviel, puis Bettencourt-Woerth. Dans les deux cas, il apparaît que ces affaires rendent visibles des choses qui existaient auparavant de longue date, mais étaient non vues. La forme « affaire » provient de cette soudaine visibilité. Là où le journaliste décrit un scandale, le sociologue cherche pourquoi ces mêmes choses ne faisaient pas auparavant scandale, et pourquoi elles apparaissent à un certain moment. De cela les exemples abondent. (Les affaires de pédophilie relèvent sans doute de ce cas, mais les études historiques et sociologiques de cette question manquent, pour des raisons évidentes).

L’affaire Kerviel est évoquée dans l’émission au moment de son apparition, en janvier 2008. Elle est lue avec l’information alors disponible, sur la trajectoire familiale, sociale et professionnelle du trader, et sa place dans la salle de marché de la banque (émission du 29 janvier 2008, citant La distinction de Pierre Bourdieu). Plus tard, et notamment après la publication de son livre de souvenir (L’engrenage, Flammarion, 2010) puis son procès (printemps 2010), la lecture de Cyril Lemieux pourrait être complétée par l’analyse du micro-milieu des traders que suggèrent les travaux des sociologues Olivier Godechot et Fabian Muniesa, et de l’économiste spécialiste de la finance André Orléan. Dans ce cas, se compléteraient deux schèmes fréquemment mobilisés dans La sociologie au vif  : une lecture macro-sociologique, façon Bourdieu, et une autre sur les interactions au sein de « systèmes d’action locaux », tels que les décrit Erhard Friedberg. Les informations publiées en 2010 sur l’atmosphère très particulière des salles de marché (bien décrite par Kerviel), la compétition sur les bonus, la hiérarchie de la banque, tournent autour de la question éminemment sociologique, invoquée par le trader pour sa défense : « Tout le monde savait ». Que veut dire « savoir » ? Qui savait quoi ? Non seulement sur l’activité hors norme de Kerviel, mais, plus généralement, sur ce qui était implicitement « normal » pourvu que cela rapporte à la banque ? Quel est cet implicite brandi par lui pour se défendre, et farouchement nié par sa hiérarchie ? Passer d’une logique d’imputation de culpabilité et de défense, à une autre d’analyse des systèmes d’action en œuvre, tel est un des enjeux du passage nécessaire, d’une posture judiciaire (et journalistique), vers une autre où la sociologie compréhensive traque les implicites antérieurs, qui « expliquent » les comportements des acteurs au moment où éclate l’affaire.

L’affaire Bettencourt-Woerth, qui démarre en décembre 2007 sur la plainte pour « abus de faiblesse » d’une fille à propos de sa mère, prend une toute autre ampleur en juin 2010, avec la révélation par Médiapart des enregistrements de conversations par un majordome de Liliane Bettencourt. Là encore sont possibles plusieurs lectures sociologiques impliquant des implicites antérieurs. Comme pour l’affaire Kerviel, la première est macro-sociologique. Elle est le fait de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot (Le Monde, 13 juillet 2010), dans la ligne de leur étude sur Les ghettos du Gotha. Comment la bourgeoisie défend ses espaces (Seuil, Paris, 2007). Ils situent ainsi l’activité sociale et hippique du couple Woerth dans leur ville de Chantilly, décrite comme un haut lieu de la grande bourgeoisie. Cet entre-soi allant de soi, cultivé de longue date, explique la surprise et l’incompréhension des acteurs de voir tout à coup dévoilés par la presse des réseaux d’influence et d’échanges de bons procédés, dans lesquels ils baignent sans aucun recul. Mais plusieurs autres implicites apparaissent aussi dans cette affaire gigogne : le cumul, depuis plusieurs années, des fonctions de trésorier d’un parti et de ministre, le « conflit d’intérêt » non perçu auparavant, de l’aveu même d’une protagoniste, et enfin, le moins souligné et pourtant très important : la question de « l’abus de faiblesse » et du système des tutelles, qui met en cause le droit et la sociologie de la famille. Chacun de ces points pourrait mériter à lui seul un petit recul sociologique du type « sociologie sur le vif », si des journalistes ainsi frottés de sciences sociales s’en emparaient.

Limites et portée de l’exercice : les trois périls de la sociologie

L’exercice consistant à faire un petit cours de sociologie en cinq minutes dans une émission de radio est une gageure. Il a bien sûr ses limites, et on ne peut en faire grief à l’auteur, qui a astucieusement rempli son contrat. On peut néanmoins se demander s’il n’aurait pas été possible de faire au moins allusion à certaines questions dont il est par ailleurs spécialiste. Par exemple, les controverses souvent âpres qui parsèment l’histoire de la sociologie ne sont évoquées que très incidemment, sous la forme : « Certains pensent que…, et d’autres que… », sans que ces oppositions soient décrites ni expliquées. La statistique est souvent utilisée comme argument, mais l’enjeu que sa construction constitue, et les débats autour de la quantification, ne sont pas mentionnés. Encore une fois, l’auteur peut répondre qu’il voulait aller à l’essentiel, en montrant en quoi la sociologie peut contribuer au décryptage quotidien des rapports sociaux. De ce point de vue, il permet de réfléchir à quelques-uns des dangers qui la guettent. Trois dérives menacent en effet la sociologie : l’économétrie, le théoricisme et l’essayisme.

La notion de variable est centrale dans la démarche économétrique. Elle est essentielle dans une perspective de gouvernement, des hommes ou des choses. Il n’est pas illégitime que la science économique, sous-tendue par une finalité normative ou prescriptive, fasse large usage d’outils adaptés aux sciences de l’ingénieur. En revanche, la diffusion des techniques économétriques en sociologie met en avant des questions comme « l’effet pur d’une variable », ou « l’effet causal », « toutes choses égales par ailleurs », notamment afin d’évaluer les effets à attendre de telle ou telle action. Ainsi substituée de fait à la question de l’acteur en société, cette notion de variable tend à changer radicalement la spécificité historique de la discipline, rappelée en termes simples et concrets par La sociologie au vif, à travers les nombreuses questions traitées par les auteurs classiques. Cette distinction entre une problématique d’acteur situé et une problématique de variable dépasse très largement celle, récurrente dans les manuels, entre « méthodes quantitatives » et « méthodes qualitatives », le fameux «  quanti ou quali  ? ». De ce point de vue, ce livre peut contribuer à faire avancer la réflexion sur l’enseignement des SES, en partant de l’idée que les deux démarches, économie et sociologie, sont légitimes, mais que l’une ne doit pas effacer l’autre, même subrepticement et de façon invisible à travers ses instruments apparemment techniques comme la statistique et l’économétrie.

Le théoricisme est un autre péché mignon de la sociologie, très différent du précédent. Cette fois, la sociologie a du mal à se démarquer non plus de l’économie, mais de la philosophie la plus conceptuelle. Ou plutôt, elle peut être aspirée par une autre forme de normativisme, celui de la philosophie politique, pour lequel la demande sociale est inépuisable. Cyril Lemieux appartient à un courant de la sociologie, inspiré de Luc Boltanski et Laurent Thévenot, qui s’est précisément donné pour but de prendre pour objet empirique les justifications et orientations normatives des acteurs sociaux. Il y a contribué à travers la notion de « sociologie des épreuves ». Cette sociologie suppose la mise en place de systèmes d’observation et d’interprétation très originaux. Mais, de même que les sociologues quantitativistes risquent d’être happés par la machinerie économétrique, les sociologues de la justification risquent d’être happés par la machinerie conceptuelle. La philosophie politique est, comme l’économie, une grande et vénérable tradition, mais la sociologie doit toujours être consciente de ce qui la distingue nettement de l’une comme de l’autre, en particulier du point de vue de ses usages sociaux. Malgré la modestie apparente de son propos, La sociologie au vif est une bonne introduction aux questions : À quoi sert la sociologie ? En quoi se distingue-t-elle autant de l’économie que de la philosophie sociale et politique ?

Cette dernière question est aussi essentielle pour réfléchir au troisième danger qui guette la sociologie, l’essayisme, attisé notamment par les demandes médiatiques. Il en existe plusieurs variantes. Le fait de ne pas recourir aux langages ésotériques de l’économétrie, ou de la théorie pour la théorie, peut conduire à une facilité : le commentaire redondant et sans surprises du « spécialiste » qui, de micros en tribunes, diffuse en boucle les réponses toutes prêtes aux questions toutes faites de trop de journalistes. Ce péril n’est pas spécifique à la sociologie. L’économiste Frédéric Lordon a bien analysé le danger que constitue pour un chercheur le fait de répondre trop souvent et trop brièvement à la multiplication de ces demandes . Les chercheurs peuvent s’y laisser entraîner, presque involontairement, dès lors qu’ils figurent dans les carnets d’adresse des journalistes, qui les qualifient de « bons clients », au verbe vite dit vite oublié. L’autre variante, plus ambitieuse, est celle de la « libre opinion ». Il ne s’agit bien sûr pas de critiquer l’expression démocratique des points de vue, mais le fait de se parer, pour exprimer des idées souvent banales, de quelque titre académique, supposé donner plus de poids à cette opinion. Les interventions de Cyril Lemieux dans La suite dans les idées ne relèvent pas de ces cas, dans la mesure où il cherche à mettre en relief, dans une émission consacrée aux sciences sociales, l’apport spécifique du regard sociologique. Il y fait apparaître des aspects, souvent contre-intuitifs, des événements qu’il commente, en s’appuyant sur les auteurs classiques, qu’il contribue ainsi à faire mieux connaître. Et de fait, il a interrompu l’exercice au bout de deux ans. Le mieux que l’on puisse lui souhaiter est de ne pas devenir un « bon client ».

Dans quelle mesure la sociologie peut elle contribuer à la (re)naissance d’une presse plus critique, sinon subversive ? L’écart entre une grande partie des journalistes et les classes populaires est apparu de façon caricaturale au moment du référendum européen de 2005. Depuis, il a été souvent affirmé que la multiplication des supports internet a permis l’éclosion d’une presse moins terne et convenue, dont Edwy Plenel (Mediapart) et Daniel Schneiderman (Arrêt sur images) sont des symboles parmi d’autres. Certains (il est vrai, créateurs de tels sites) vont jusqu’à prophétiser la fin prochaine de la presse papier. Il faut noter que ces nouveaux sites se sont surtout fait connaître par la révélation de scandales, qui apparaissent comme des anomalies, des déviances. L’intérêt du regard sociologique (et aussi historique, non moins important) est de faire ressortir le caractère structurel, et donc politique, bien plus qu’accidentel, de rapports sociaux dont les rebondissements de « l’actu » (« un clou chasse l’autre ») ne sont que des épiphénomènes.

par Alain Desrosières, le 30 septembre 2010

Pour citer cet article :

Alain Desrosières, « Le sociologue en habit de journaliste », La Vie des idées , 30 septembre 2010. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Le-sociologue-en-habit-de

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Notes

[1Voir Michel Armatte, La science économique comme ingénierie. Quantification et modélisation, Presses de Mines, Paris, 2010.

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