Depuis son éruption en 2009, la crise de la zone euro pose la question de la viabilité de la monnaie unique européenne. Cette viabilité est une source inépuisable de réponses lapidaires : la crise de la zone euro prouve que la zone n’est pas viable ; ou bien l’extrême inverse, la zone euro est toujours là malgré les critiques, ce qui prouve qu’après tout elle est viable. Mais cette viabilité n’est souvent évaluée par les économistes qu’à l’aune de la théorie dite des zones monétaires optimales (ZMO) — sur laquelle nous reviendrons — plutôt qu’en prenant en compte le contexte financier international ainsi que les raisons profondes qui ont mené à l’unification monétaire européenne. Un retour historique sur les origines de l’euro permet de mieux comprendre les enjeux de sa création — et par là même, de mieux répondre à la question de sa viabilité.
La chronologie menant à la création de l’euro est bien connue. La première date mentionnée est généralement 1970, qui correspond à la parution du plan Werner détaillant un processus visant à la création d’une Union économique et monétaire (UEM) ; vient ensuite l’effondrement du système de taux de change fixes de Bretton Woods l’année suivante (1971) ; et enfin la création et les vicissitudes du « serpent » monétaire européen, à savoir un régime de fluctuations stable mais ajustable des monnaies européennes (1972-1978). La création du Système Monétaire européen (SME) et de l’ECU en 1978-1979 marque généralement une césure importante, présentée comme un préalable nécessaire à la future création d’une monnaie unique ; le SME institue un système de changes stables mais ajustables, similaire au « serpent », auquel participent la France, l’Italie et l’Irlande dès le départ, alors que ces pays avaient dû quitter le « serpent » auparavant. Cette rapide chronologie est traditionnellement couronnée dans les longues années 1990 par le traité de Maastricht (1990-1991), la crise du SME (1992-1993) et finalement la création puis la mise en circulation de l’euro (1992-2002).
Cette vision n’est certes pas fausse mais elle est trop simplificatrice car trop linéaire et trop positiviste. La construction monétaire de l’Europe ainsi présentée serait exclusivement faite de petits pas, de petits progrès menant nécessairement d’une étape à l’autre selon un processus continu d’amélioration graduelle. Pour mieux rendre compte les raisons qui ont mené à la création de la monnaie unique, il est préférable de mettre l’accent sur les tendances lourdes qui traversent ce demi-siècle, et qui sous-tendent les débats sur l’unification monétaire de l’Europe, à savoir la consolidation du marché commun d’une part, et l’affirmation de l’Europe de l’autre.
L’ancêtre de l’Union européenne, la Communauté économique européenne (CEE), est créée en 1957 suite à la signature des Traités de Rome.Au cœur de la CEE se trouve la création du marché commun, à savoir, un espace sans droits de douane et où les quatre libertés dites fondamentales doivent être respectées : la liberté de circulation des biens, des personnes, des services et des capitaux. À partir de 1957, les États membres de la CEE ont donc cherché à supprimer toutes les restrictions qui pouvaient freiner ces libertés, avec plus ou moins d’efficacité et/ou d’entrain selon les libertés en question.
La coopération monétaire figure de manière relativement accessoire dans le Traité de Rome. Hormis une remarque générale, qui se focalise sur la politique économique — « chaque État membre pratique la politique économique nécessaire en vue d’assurer l’équilibre de sa balance globale des paiements et de maintenir la confiance dans sa monnaie, tout en veillant à assurer un haut degré d’emploi et la stabilité du niveau des prix » (article 104) — l’unification monétaire n’est pas détaillée dans une perspective programmatique. Il n’en reste pas moins que la monnaie représente l’une des problématiques de fond de l’établissement de ce marché commun, en ce sens que les fluctuations monétaires peuvent créer — entre autres — des distorsions commerciales entre les États membres. Un simple exemple théorique suffit à illustrer cela : si la monnaie d’un pays A est réévaluée lors même que la monnaie de son pays voisin B est dévaluée, les produits du pays A deviendront comparativement plus chers que ceux du pays B, et les exportateurs du pays A craindront la perte de parts de marché dans le pays B. Si ce désavantage risque de durer, le pays A pourrait envisager d’ériger des barrières commerciales — par là-même réinstaurer les droits de douanes qui étaient jusqu’alors démantelés — et ainsi mettre en péril la logique même du marché commun. Au-delà de cet exemple, on peut également ajouter que la CEE a mis en œuvre un certain nombre de politiques communes, dont la fameuse politique agricole commune (PAC). La PAC, entrée en vigueur en 1962, implique notamment l’établissement d’un niveau de prix commun dans la CEE pour les produits agricoles. La fluctuation erratique de la valeur des monnaies d’un jour à l’autre rendrait donc l’établissement de ces prix communs très complexe. Si les relations entre monnaie et CEE n’étaient donc pas clairement prédéterminées dans les Traités de Rome, les multiples liens entre marché commun et coopération monétaire n’en étaient pas moins clairement posés.
Le cocon monétaire de Bretton Woods
À partir des années 1960, la stabilisation des relations monétaires intra-européennes est progressivement devenue une préoccupation croissante des responsables politiques européens.Cette préoccupation est devenue d’autant plus importante, au cours des années 1970, que le cocon monétaire de Bretton Woods s’est effondré. Jusqu’en 1971, les relations monétaires internationales étaient stables, en dépit de réajustements périodiques, en partie grâce à l’existence d’un système monétaire international de changes fixes, dit de Bretton Woods. En un mot, le système fonctionnait comme suit : chaque monnaie était liée au dollar ; et le dollar était lié lui-même à un taux fixe à l’or (35 dollars l’once d’or). Cela signifiait que théoriquement les États-Unis s’engageaient à être capables de restituer un montant fixe d’or contre chaque dollar. Le problème — comme l’a relevé l’économiste Robert Triffin dans Gold and the Dollar Crisis : the Future of Convertibility, publié en 1961 — est que la quantité de dollars en circulation et la quantité d’or détenue par les États-Unis ne pourraient pas évoluer de concert éternellement. Et en effet, progressivement, notamment à partir de la fin des années 1960, la création monétaire des États-Unis a commencé à dépasser très largement leur capacité de rembourser l’équivalent en or. Le 15 août 1971, le président des États-Unis Richard Nixon décide unilatéralement de mettre fin au système. Le monde entre alors dans l’ère du non-système monétaire international, dans laquelle nous sommes toujours, où les taux de change sont flottants.
Ces taux de change flottants ont posé problème à la CEE :jusqu’au début des années 1970, les relations monétaires intra-européennes étaient elles aussi assez stables — malgré des dévaluations/réévaluations périodiques — puisqu’elles étaient insérées elles-mêmes dans un système mondial de changes fixes. Les relations monétaires intra-européennes bénéficiaient de fait d’une forme de cocon monétaire international qui les protégeait. Mais une fois ce système disparu, le problème s’est posé de savoir comment restaurer cette stabilité. Valéry Giscard d’Estaing, alors Ministre des Finances, résumait très bien la situation en janvier 1974 lors d’une conférence à l’École Polytechnique :
« Si le système monétaire international était lui-même fondé sur la fixité des taux de change et sur la convertibilité des monnaies le problème aurait eu beaucoup moins d’acuité. Vous savez qu’il y a eu coïncidence historique entre l’organisation progressive de l’union économique et monétaire de l’Europe et la dislocation progressive du système monétaire international. » (Archive du Ministère des Affaires étrangères, Direction des Affaires économiques et financières, 971bis, “Les étapes et les difficultés de l’organisation monétaire de l’Europe”, discours de Valéry Giscard d’Estaing à l’École Polytechnique, 25 janvier 1974.)
L’effondrement du système de Bretton Woods a en effet modifié l’équilibre qui prévalait jusqu’alors au niveau international concernant ce qu’on appelle le « triangle des incompatibilités » de Robert Mundell et Marcus Fleming.Les économistes Mundell et Fleming ont expliqué, dans les années 1960, que dans un contexte international, un pays ne peut pas atteindre simultanément les trois objectifs suivant : taux de change fixes, autonomie de la politique monétaire et liberté de circulation des capitaux. Seulement deux de ces trois objectifs sont réalisables simultanément. Lorsque le système de Bretton Woods fonctionnait, l’équilibre était donc trouvé entre un régime de changes fixes et une autonomie de la politique monétaire d’une part ; et pas ou peu de liberté de circulation des capitaux de l’autre. Au cours des années 1960, la liberté de circulation des capitaux s’est considérablement accrue, entraînant l’effondrement du système de changes fixes, et trouvant par là même un nouvel équilibre.
L’affirmation diplomatique de l’Europe
La deuxième tendance lourde expliquant l’unification monétaire de la CEE est l’affirmation de l’Europe — CEE puis UE — en tant qu’acteur sur la scène internationale. Cette affirmation présente deux facettes, volontaire et involontaire. L’affirmation volontaire de la CEE sur la scène internationale est une tendance constante que l’on peut constater dans divers domaines, comme par exemple dans les négociations commerciales internationales (au GATT, General Agreement on Tariffs and Trade, prédécesseur de l’Organisation mondiale du Commerce, OMC) où la Commission seule représente les intérêts européens ; ou bien en pleine Guerre froide, à Helsinki, en 1975, lors de la signature de l’Acte final de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe (CSCE), où la CEE, en tant que telle, s’affirme au milieu des deux blocs, soviétique et américain. [1] À tout cela s’ajoute donc une ambition de faire de même dans le domaine monétaire, en présentant une identité monétaire européenne unie face au monde. Cette question de l’identité monétaire européenne, qui ne va pas sans contradictions, est résumée par la fameuse phrase attribuée à l’économiste français Jacques Rueff : « l’Europe se fera par la monnaie ou ne se fera pas ». Effectivement la question traverse les décennies : le SME crée un ECU, European Currency Unit, dont l’acronyme rappelle volontairement la monnaie française datant du Moyen-Âge tout en offrant un acronyme censé en anglais ; quand le chancelier allemand Helmut Schmidt s’époumona contre la politique monétaire américaine de la fin des années 1970, il déclara : « il est urgent que les Européens disent aux Américains : ça ne peut pas continuer comme ça. » Le point de référence du chancelier allemand n’était pas national, mais régional, à l’échelon européen.
Cet épisode de la fin des années 1970 révèle l’autre facette de l’affirmation de l’Europe sur la scène internationale, à savoir sa dimension involontaire.De façon générale, le contexte international, à savoir l’effondrement du système de Bretton Woods et l’avènement de taux de change flottants a clairement contribué à pousser les décideurs européens à chercher une solution régionale européenne à l’instabilité monétaire internationale. En 1977, la politique monétaire américaine conduit, sciemment, à faire baisser la valeur du dollar, ce qui provoque l’ire du chancelier allemand. Celui-ci s’inquiète en effet d’une possible réévaluation du Deutsche Mark, qui pourrait par suite conduire à déséquilibrer l’économie allemande. C’est cette exaspération vis-à-vis de la politique monétaire américaine qui pousse Helmut Schmidt à finalement chercher à organiser une réponse européenne, car la taille critique de la CEE était plus importante, plus puissante, et politiquement plus viable, que celle de la seule Allemagne de l’Ouest.
Monnaie unique ou monnaie commune ?
L’unification monétaire de l’Europe a donc eu deux motivations claires : la consolidation de la CEE et de son marché commun ; et l’affirmation — volontaire ou non — de l’Europe sur la scène internationale. Ceci nous rappelle pourquoi la construction monétaire de l’Europe est devenue un sujet majeur ; mais comment juge-t-on de la viabilité d’une zone monétaire ? Avant de tenter de répondre à cette question il faut toutefois apporter une précision : nous parlons ici d’une monnaie unique. Mais après tout pourquoi n’a-t-on pas créé une monnaie commune ? Toute une série d’options furent évoquées au cours des débats et négociations diverses qui ont porté sur la construction monétaire de l’Europe : le flottement libre des monnaies, la création d’un système de changes fixes (type SME), la création d’une monnaie unique (euro) et donc, une dernière option, à savoir l’introduction d’une monnaie commune.
Quelle différence y a-t-il entre une monnaie commune et une monnaie unique ?La monnaie unique est, par définition, la seule en circulation : son émission remplace tout autre type de monnaie existant jusqu’alors. C’est ce qui s’est passé lors de l’introduction de l’euro en 2002 : franc français, Deutsch Mark ou encore lire italienne ont été remplacés par une seule et même monnaie, l’euro. Une monnaie commune, à l’inverse, ne remplace pas les monnaies nationales. C’est d’ailleurs pour cela qu’on l’appelle également monnaie « parallèle », car elle circule en parallèle aux monnaies existantes. Tout au cours des cinquante à soixante dernières années, cette proposition fut régulièrement avancée, mais sans succès. Le Manifeste de la Toussaint de The Economist l’a par exemple suggéré le 1er novembre 1975 ; les britanniques l’ont également proposé au cours des négociations sur le Traité de Maastricht. L’idée qui sous-tend cette logique est que les mécanismes de marché vont permettre — ou pas — à la monnaie commune de s’imposer naturellement, selon l’adage voulant que « la bonne monnaie chasse la mauvaise ». D’un point de vue symbolique et d’un point de vue opérationnel la monnaie unique semblait offrir toutefois plus d’avantages, et c’est donc cette option qui fut finalement privilégiée.
Optimalité et viabilité
La monnaie unique ayant finalement été adoptée, comment donc évaluer de sa viabilité ?Un des éléments de base est la théorie des zones monétaires optimales(ZMO). Qu’est-ce qu’une ZMO ? Une ZMO est une zone — c’est-à-dire un groupe de régions ou de pays — où l’utilisation d’une monnaie unique est optimale — c’est-à-dire ne crée pas de perte de bien-être. Le débat sur les zones monétaires optimales est né en 1961 avec la parution d’un article éponyme écrit par Robert Mundell. Mundell a identifié deux critères fondamentaux d’optimalité d’une zone monétaire : la mobilité des facteurs de production (capital et travail) et la symétrie dans les réactions aux chocs externes. Par la suite, d’autres économistes affineront l’analyse et ajouteront de nouveaux critères à cette liste, parmi lesquels le degré d’ouverture économique (Ronald McKinnon, 1963), le degré de diversification de la production (Peter Kenen, 1969), l’intégration financière (James Ingram, 1977), la convergence des taux d’inflation (Gottfried Haberler, 1970 ; Marcus Fleming, 1971). [2]
L’Europe est-elle une ZMO ? Elle n’est clairement qu’une zone monétaire sous-optimale, aussi bien dans les années 1950 qu’aujourd’hui, avec des nuances différentes bien évidemment. Plusieurs critères posent problème au premier chef desquels la mobilité du travail, qui est très faible comparée à d’autres zones monétaires, tels les États-Unis ; et l’intégration fiscale, qui est pour ainsi dire inexistante. D’autres critères, sans être absents, sont relativement difficiles à évaluer. La question de la symétrie des chocs est difficile à analyser compte tenu de l’hétérogénéité de la zone euro ; et la diversification est assez élevée, hormis éventuellement pour certains petits pays de la zone. Mais en revanche, de nombreux critères ne posent pas de problème particulier : la zone euro est très ouverte ; l’intégration financière est complète (depuis la fin des années 1980) ; la mobilité du capital est assurée (depuis la fin des années 1980) ; et la convergence des taux d’inflation est globalement acquise depuis les années 1990.
Cette présentation succincte montre que la zone euro n’est certes pas une ZMO au sens strict. Mais faut-il être une zone monétaire optimale pour être une zone monétaire viable ? Viabilité et optimalité sont après tout deux concepts différents : est optimal ce qui est le plus favorable ; est viable ce qui est susceptible de durer, de continuer d’exister, d’aboutir. La CEE puis la zone euro représentent à tout le moins une zone monétaire potentiellement viable, pour peu que les critères faisant défaut puissent être améliorés. Comment a-t-on donc cherché à améliorer la viabilité de ce qui deviendra la zone euro au cours de l’histoire de la construction européenne du dernier demi-siècle ? De multiples mesures ont cherché à renforcer ce qu’on appelle la « convergence » des économies au sein de l’UE. Ces mesures furent de deux grands types, techniques et politiques. Parmi les mesures techniques on peut penser à toutes les politiques d’ajustement, même modestes, qui ont été mis en place avant la création de l’euro : les prêts de la Banque européenne d’investissement (BEI) ; la politique régionale ; la politique agricole commune.
D’un autre côté plusieurs mesures politiques ont visé à renforcer la cohérence du potentiel bloc monétaire européen. Parmi celles-ci, on peut relever la création du Conseil européen en 1974, réunissant les chefs d’État et de gouvernement des États membres et cherchait à donner un leadership plus fort à la CEE/UE ; l’élection au suffrage universel direct du Parlement européen à partir de 1979 participe d’une logique similaire, à savoir le renforcement de la construction politique européenne, et par là même, de la cohérence globale de la zone monétaire qu’elle représente. [3]
Mais malgré toutes ces mesures, la CEE/UE demeurait une zone monétaire sous-optimale. Les mécanismes de stabilisation, ou transferts de ressources des pays les plus riches vers les pays les moins développés ne concernaient que des montants tout à fait modestes et pas nécessairement d’une grande efficacité. De plus, toute augmentation de ceux-ci rencontraient une opposition farouche de la part des contributeurs potentiels (le plus souvent l’Allemagne, à un moindre degré la France). Le budget européen n’a ainsi jamais représenté guère plus d’1% du PIB européen au cours des 50 dernières années, là où le budget fédéral américain est d’environ 20%.
Depuis la création de l’euro,et surtout depuis le début de la crise de la zone euro, de nouvelles mesures ont été mises en place afin d’améliorer la convergence.
Mesures prises depuis 2009- Le Système européen de supervision financière (SESF), mis en place en 2011, se charge de la supervision et de la régulation bancaire de l’UE.
- Le Mécanisme européen de stabilité (MES), entré en vigueur en 2012, vise à gérer les crises financières de la zone euro.
- Le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), entré en vigueur en 2013, vise à améliorer la gouvernance économique européenne.
- L’Union bancaire, progressivement mise en place à partir de 2014, comprend un Mécanisme de Supervision unique (MSU) ainsi qu’un Mécanisme de Résolution unique, pour la zone euro.
- Les mesures et programmes adoptés par la Banque Centrale européenne (BCE) et qui témoignent de l’évolution de son rôle : le LTRO (Long-term refinancing operations, prêts de long terme accordés par la BCE aux banques) en 2011 et 2012 ; les OMT, (opérations monétaires sur titres, Outright Monetary Transactions), à savoir le rachat de dette illimité par la BCE sur le marché secondaire de la dette souveraine annoncé fin 2012 (qui succède au SMP, Securities Market Programme).
Au-delà de ces aspects plutôt techniques, d’autres mesures ont également visé à renforcer la dimension politique au cours des dernières années. La mise en place du Traité de Lisbonne, qui créé le poste de Président du Conseil européen, est censée donner plus de stabilité et de visibilité à l’institution. Les élections au Parlement européen de 2014, avec pour la première fois des vraies têtes de liste européennes, transnationales, ont pour objectif de conférer plus de visibilité et de légitimité à l’homme ou la femme qui pourrait devenir président ou présidente de la Commission européenne.
Les avantages et les défauts de ces différents mécanismes donnent lieu à des débats nourris dont il ne s’agit pas de rendre compte ici. Malgré ces divers mécanismes qui viennent d’être créés, on peut déjà relever que le budget européen peine toujours à dépasser les 1% : sa dimension redistributive et stabilisatrice en cas de crise économique reste donc toujours très limitée ; l’intégration fiscale est toujours très faible ; et surtout les mécanismes qui viennent d’être mis en place doivent encore faire leurs preuves.
D’un point de vue politique, on notera que l’introduction du poste de président du Conseil européen ne semble pas avoir renforcé de façon considérable la visibilité de l’institution ; et que malgré les nouvelles dispositions du Traité, il reste à voir si le candidat ou la candidate arrivé(e) en tête des prochaines élections européennes deviendra effectivement président(e) de la Commission européenne puisque le Conseil européen aura un rôle à jouer dans le processus de décision.
La zone euro est-elle donc viable ? On ne peut que constater qu’un certain nombre des problèmes soulevés aujourd’hui ne sont en fait pas vraiment neufs. La question de l’endettement public et du déficit publics tels qu’ils se posent aujourd’hui ne sont certes pas comparables avec ce qui s’est produit autrefois. Il n’en reste pas moins que beaucoup de défis qui se posent avec acuité aujourd’hui sont en fin de compte des questions qui sont d’abord et avant tout des problématiques centrales pérennes du débat sur la construction de l’Europe monétaire, et qui ont toujours été présentes à l’agenda européen, même avant la création de la CEE. Le problème est que ces défis n’ont pas été résolus dans le passé ; cette incapacité à les avoir résolus à temps n’est toutefois pas directement imputable à l’euro. Trois aspects principaux se dégagent : les débats autour de la convergence économique, et donc de la gouvernance économique (budget européen, mesures pour soutenir la croissance) ; la question des mécanismes financiers soutenant le fonctionnement des systèmes de change hier, de la monnaie unique aujourd’hui (on peut penser notamment à la question de la mutualisation d’une partie des dettes publiques et la création d’eurobonds, c’est-à-dire de titres de dette publique européens) ; et finalement la question de la supervision et de la régulation bancaire, l’un des problèmes centraux étant que les activités des banques qui doivent être supervisées/régulées ne connaissent pas les mêmes frontières que l’organisation administrative de l’Europe.
Cette dernière question illustre bien un des défis centraux de la construction monétaire de l’Europe, tout au long du XXe siècle et même avant, à savoir la tension entre régionalisation et mondialisation. Sur le fond, la question de base n’a jamais vraiment changé, et reste la suivante : comment organiser les relations économiques et monétaires d’un groupe de pays dont les échanges mutuels sont intenses, dans un monde en mutation ? La construction monétaire de l’Europe est en partie une réponse régionale au désordre monétaire international, à la liberté de circulation des capitaux au niveau international, afin de préserver une stabilité intra-européenne. Les années 1960, 1970, 1980 et 1990 ont bien montré que le marché commun pouvait être considérablement déstabilisé par les fluctuations monétaires. Ces décennies ont surtout souligné à quel point les États membres de la CEE/UE sont vulnérables aux chocs internationaux et à la politique économique des États-Unis en l’absence de bloc monétaire européen. La question n’est donc pas seulement de savoir si la zone euro est viable d’un point de vue endogène ; mais surtout de réaliser que c’est l’absence de zone euro qui, dans le monde d’aujourd’hui où les capitaux circulent librement, ne serait vraisemblablement pas viable pour les États membres qui la composent.