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Dossier / Le sens des catastrophes

La catastrophe et l’État-providence

À propos de : R. Huret, Katrina, 2005. L’ouragan, l’État et les pauvres aux États-Unis, Éditions de l’EHESS.


par Lydie Cabane , le 29 avril 2011


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L’ouragan Katrina n’est pas une catastrophe naturelle : c’est la conséquence, comme le montre Romain Huret, du désengagement de l’État-providence américain qui a conduit à privatiser la protection des populations, et en conséquence à abandonner les plus démunis.

Recensé : Romain Huret, Katrina, 2005. L’ouragan, l’État et les pauvres aux États-Unis, Paris, Éditions de l’EHESS, 2010, 234 p.

Katrina, 2005 raconte l’ouragan survenu à la fin de l’été 2005 à la Nouvelle Orléans. Mais plus profondément, il raconte ce que ce désastre révèle : les fractures sociales résultant d’années de privatisation des formes de solidarité sociale à la suite des réformes conservatrices de l’État-providence américain. Les eaux portées par l’ouragan et entraînées par la rupture des digues ont mené à la destruction de la Nouvelle Orléans : 80% de la ville a été inondée, 1300 personnes ont péries, 1,5 millions de personnes ont été déplacées, quelques 150 000 personnes abandonnées sur place parce qu’elles n’avaient pas les moyens de quitter la ville par elles-mêmes [1]. La catastrophe est sociale, bien plus que naturelle. Comme l’ont montré plusieurs travaux, elle est le produit d’une longue histoire de racisme et d’exclusion sociale, de machines économiques de développement urbain aveugles aux périls de la nature et d’ingénieries techniques qui, en tentant de contrôler les risques d’inondation par des digues, fabriquent la vulnérabilité de la ville par la fragilité de ces dispositifs et leurs conséquences perturbatrices sur l’écologie locale (érosion et affaissement du territoire en-dessous du niveau de la mer) [2]. À la question lancinante de savoir comment un tel désastre a été possible, Romain Huret, en s’arrêtant sur les formes de protection des citoyens aux États-Unis au XXe siècle, apporte dans cet ouvrage un éclairage important : c’est l’abandon des pauvres par l’État, suite aux réformes conservatrices, qui a fait de Katrina ce désastre social.

Éclairer la catastrophe par l’histoire

Faire l’histoire d’une catastrophe contemporaine est-il possible ? L’auteur énonce avec précaution les « doutes méthodologiques » (p. 17) auquel est confronté l’historien face à un tel événement : de nombreuses sources écrites ont été détruites durant le cataclysme ; la charge émotionnelle dont sont empreints l’évènement et ses témoignages rendrait délicate une analyse objective et distanciée ; enfin, l’accès aux sources administratives contemporaines demeure limité, et ce d’autant que la polémique autour de la faillite de l’intervention gouvernementale et l’abandon de la Nouvelle-Orléans s’inscrit dans un contexte sécuritaire qui renforce les pratiques de confidentialité. Rendre compte de l’épaisseur de l’évènement semble relever du défi pour l’historien ne travaillant qu’à partir d’archives, quand bien même Romain Huret a recours à un très large spectre de sources primaires (films, journaux, archives et rapports officiels, etc.), et secondaires (les témoignages d’habitants pour la plupart recueillis par des centres de recherches aux États-Unis). Néanmoins, on peut se demander si le recours à d’autres méthodes ne permettrait pas ici de pallier ces limites méthodologiques : l’histoire orale, les entretiens sociologiques ou la pratique du terrain constituent des méthodes solides pour étudier de telles situations et rendre possible la formulation de résultats probants, par exemple à propos de la faillite des dispositifs de gestion des catastrophes [3].

Cependant, cette restriction ne pose pas d’obstacles majeurs au projet de l’auteur car finalement la catastrophe, plutôt qu’un objet, constitue une porte d’entrée pour relire l’histoire de l’État-providence aux États-Unis ; elle offre un « point de contact épuré » (p. 223) qui révèle les transformations des relations entre l’État et les citoyens, la prise en charge des pauvres, et c’est là que l’éclairage de l’historien prend tout son intérêt en proposant un travail d’« histoire sociale de l’État, reliant l’histoire politique des institutions et les mondes sociaux » (p. 223). D’une part l’auteur s’attache à retracer comment l’empilement des mémoires inscrites dans la culture populaire construit le sens de l’évènement vécu par les Noirs de la Nouvelle Orléans comme un acte de racisme supplémentaire, et par les pauvres comme un abandon par l’État. D’autre part, il se tourne vers l’histoire de l’État-providence américain pour expliquer l’incapacité des institutions à protéger les habitants de la Nouvelle Orléans face à l’ouragan. La thèse centrale du livre est ainsi que la privatisation de la gestion des risques en rompant la « logique associative entre Washington et les citoyens, entre l’État fédéral et l’ensemble des échelons de pouvoir disséminés dans le système fédéral américain » (p. 222) est la cause principale du désastre social et politique qui s’est joué à la Nouvelle Orléans.

Les catastrophes et la genèse de l’État-providence américain : une origine oubliée

À la lueur de l’histoire des ouragans qui ont rythmé le XXe siècle américain, Romain Huret revient sur la nature de l’État-providence dont les principes trouvent en partie leur origine dans l’assistance aux victimes des catastrophes naturelles. Cette genèse oubliée permet de comprendre la philosophie de ce qu’une juriste américaine appelle « l’État compatissant » [4] : un État qui ne vient que ponctuellement au secours des plus démunis en situation de détresse.

En 1927, un ouragan dévaste la Louisiane faisant quelques 250 morts et plus de 700 000 évacués. Les secours qui se mettent alors en place reposent, dans le droit fil de la tradition américaine, sur la charité locale et privée, et notamment celle de la Croix Rouge. C’est à cette occasion cependant qu’Herbert Hoover, alors ministre du Commerce et chargé d’organiser l’aide aux sinistrés, met en place les principes fondateurs de l’État-providence qu’il développera par la suite, une fois président : « une intervention étatique pour garantir la sécurité technique des populations ; une intervention privée pour venir en aide aux populations » (p. 108), selon une logique associative, où le gouvernement fédéral coordonne l’aide aux victimes. La prise en charge n’a qu’une vocation temporaire et exceptionnelle, elle est une libéralité, critiquée par les élites sudistes craignant dans cette intrusion fédérale une remise en cause de leur statut, mais aussi en raison du « caractère coercitif et policier » (p. 108) de l’assistance aux Noirs enfermés dans des camps.

À l’État associatif des années 1920, succède l’État-providence des années 1960 qui étend la protection des civils. L’ouragan Betsy (1965) voit les secours arriver très rapidement dans la Nouvelle Orléans une nouvelle fois dévastée ; l’État joue toujours un rôle de coordonnateur mais renforce ses programmes d’assistance aux victimes de catastrophe : distribution de coupons alimentaires, aide aux chômeurs, et aide aux propriétaires, etc. Ainsi, au travers chacun de ces désastres s’établissent progressivement des mécanismes d’une assistance aux victimes, régulée par l’État et attendue des citoyens. Or, comme le souligne l’auteur, « si Katrina est perçu comme extraordinaire, c’est précisément en raison de cette rupture par rapport à une tradition compatissante américaine » (p. 221).

La privatisation des risques, l’État contractuel et l’abandon des pauvres

Katrina, en mettant à nu la faillite de l’intervention de l’État américain, révèle les « fractures démocratiques de l’Amérique contemporaine » (p. 95) engendrées par les transformations politiques des trois dernières décennies. L’État-providence a selon Romain Huret cédé la place à un « État contractuel » qui se caractérise par une « volonté de privatisation de l’autorité publique et une priorité accordée à la sécurité nationale » (p. 191).

L’explication du désastre réside dans trente années de privatisation que résume le mot d’ordre de l’Amérique contemporaine : « Take care of yourself  », une injonction aux individus à gérer par eux-mêmes les risques sociaux et donc à les privatiser. C’est cette logique de responsabilisation et de contractualisation des relations entre l’État et les citoyens qui mène à l’abandon des plus démunis. Cette tendance se retrouve dans de nombreux domaines, avec notamment la réforme de l’assistance sociale qui promeut les principes du workfare votée en 1996 sous la présidence Clinton. La présidence Bush permet de mener à bien le projet conservateur de réforme des dispositifs sociaux en les privatisant, ainsi par exemple lors de la réforme de l’assurance maladie de 2003. Ces transformations aboutissent à la création d’une sous-classe de pauvres (underclass), invisible, oubliée des débats experts comme le rappelle l’auteur à juste titre. Or, c’est précisément l’invisibilité sociale qui produit les catastrophes dans les villes américaines, de par l’isolement des individus en situation précaire et, en raison des réponses inadéquates des gouvernements locaux [5]. Cette logique trouve ses racines dans les conceptions américaines de la pauvreté selon lesquelles, pour être secourus, les pauvres doivent être méritants [6]. À cet égard, Katrina révèle bien une rupture : les populations de la Nouvelle-Orléans sont abandonnées parce qu’elles sont noires, pauvres, exclues ; elles sont dépeintes en « mauvais pauvres » plutôt qu’en victimes à secourir.

Cette logique de l’État contractuel se retrouve dans les réformes de la gestion des catastrophes menées depuis les années 1980 et qui vont aboutir à une incapacité structurelle à répondre aux situations exceptionnelles telles que Katrina. La FEMA (Federal Emergency Management Agency), est le fruit de l’intégration en 1979 de la Défense Civile (institution créée en 1950 dans le contexte de la Guerre froide pour préparer la population aux attaques aériennes et atomiques) et de la gestion des catastrophes naturelles, dans une « approche tous risques » (all-hazard management). L’élection de Ronald Reagan en 1980 entraîne un redéploiement vers les risques politiques (terrorisme) et une focalisation sur les enjeux de sécurité intérieure, au détriment de l’assistance lors des catastrophes naturelles, ce qui a pour résultat une grande inefficacité de l’agence dès la fin des années 1980 et une réduction des budgets de la prévision et de la gestion des catastrophes. Les années 1990 voient cette tendance s’accentuer, en dépit de la parenthèse Clinton dont bien des réformes s’inscrivent largement en continuité avec celle des conservateurs : « l’État-providence instauré par F.D. Roosevelt s’estompe au profit d’une forme plus compassionnelle et exceptionnelle d’assistance » (p. 176).

Ces transformations s’accentuent à la suite du 11 septembre 2001 et de la création du Department for Homeland Security (DHS) qui réunit toutes les activités liées à la sécurité intérieure. Cette réorganisation profonde des missions de sécurité de l’État américain entraîne une grande confusion, dénoncée à de nombreuses reprises, qui ralentit les circuits de décisions essentiels dans l’urgence des catastrophes. Surtout, domine dès lors une logique sécuritaire au service de la lutte anti-terroriste qui prive la gestion des catastrophes naturelles de ses hommes, de ses fonds et de pouvoir de décision. À cela s’ajoute la privatisation d’une partie des services d’urgences. Elle est souhaitée par ses acteurs, dont Michael Brown directeur de la FEMA à partir de 2003, qui y voient une solution au manque de moyens de l’intervention étatique. Ces évolutions conjuguées aux insuffisances des gouvernements locaux, que révèle pourtant un exercice d’entraînement à une inondation à la Nouvelle Orléans un an auparavant, constitueront autant d’éléments impardonnables au moment de Katrina. Comme le suggère Romain Huret, « l’incompétence de la FEMA n’est pas due à une fragilité bureaucratique et organisationnelle ; elle est liée à un choix politique parfaitement assumé par l’administration » (p. 164) : en droite ligne avec les évolutions décrites ci-dessus, la FEMA n’est plus une agence de secours, elle a maintenant pour but « d’aider à la sécurisation de l’espace avant d’intervenir » (p. 164-165) et de laisser l’assistance aux seules autorités locales et privées ; or dans le déluge ces dernières sont incapables d’intervenir, les autorités sauvent leur peau et fuient la ville. Cet abandon de l’assistance aux victimes est accentué par une « militarisation » de l’État avec une modification du Posse comitatus qui avait pour objectif de limiter le pouvoir militaire de Washington en le soumettant au contrôle des États fédéraux, disposition critiquée et amoindrie par les conservateurs après le 11 septembre.

Ce que les catastrophes nous disent de l’État

La privatisation des risques et l’abandon des pauvres constituent sans conteste un des mécanismes explicatifs les plus convaincants de Katrina : non seulement l’État n’a pas les moyens d’agir, mais les citoyens auxquels il est demandé de se protéger par eux-mêmes ne le peuvent pas, puisque ceux qui restent sont justement ceux qui ne disposent pas des ressources suffisantes pour se protéger contre la catastrophe. Si l’étude des transformations politiques est tout à fait pertinente et saisissante, la thèse selon laquelle la nature compatissante de l’État serait rompue par cette dynamique de privatisation ne va pourtant pas sans poser quelques difficultés, ne serait-ce que par l’importance des continuités que le livre révèle : le racisme dont témoignent les actes violents à l’égard des Noirs en 1927, la présence militaire en 1965 constituent bien des éléments qui se retrouvent à chaque catastrophe.

Premièrement, cette thèse suppose de différencier une période d’intervention de l’État-providence de la période contemporaine qui se distinguerait par les logiques de privatisation et d’individualisation. Or, si l’on considère les principes fondateurs de la gestion des catastrophes (et non simplement de l’assistance post-catastrophe), les choses apparaissent plus complexes. En effet, lorsque s’établissent les prémisses de la gestion des catastrophes à partir de la défense civile dans les années 1950, l’objectif est de « distribuer [7] » aux individus, aux communautés, aux États la préparation aux catastrophes (plans de secours, abris, etc.). La sécurité déployée dans ces dispositifs repose donc déjà sur le principe de « l’auto-protection par les individus [8] » et les communautés. Le tournant sécuritaire et conservateur va réduire les capacités de l’État à prendre en charge les individus démunis (via l’évolution des politiques sociales et urbaines), mais fondamentalement, les dispositifs techniques de gestion et d’assistance en temps de catastrophe reposent tout autant qu’avant sur des principes aveugles aux inégalités sociales entre individus et entre communautés. En particulier, cette approche des catastrophes prend mal, voire pas du tout, en compte les vulnérabilités sociales, c’est-à-dire l’inégale répartition des risques dans l’espace et l’inégale capacité des individus à « s’en sortir » en situation de risque extrême.

Plus profondément, si la démonstration du rôle de l’assistance post-catastrophe dans la genèse de l’État-providence est convaincante, on peut néanmoins se demander si cette assistance technique n’a pas tout autant contribué à faire de Katrina une telle catastrophe : les libéralités viennent certes au secours, mais s’avisent bien de ne pas modifier l’ordre social et urbain, soigneusement protégé par les élites. Par exemple, l’aide financière pour les logements dévastés est réservée aux propriétaires, ce qui exclut de ce type d’assistance ceux qui ne possèdent rien, les locataires, et contribue à reproduire les inégalités. Tout comme les mesures techniques engendrent la vulnérabilité de la ville et de ses populations – puisque ce sont très précisément les digues censées protéger la ville qui, en se rompant, provoquèrent l’inondation et qui, en modifiant l’écosystème de la région, entraînèrent l’érosion des défenses naturelles de la Nouvelle Orléans, mettant en situation de risque les populations habitant les territoires les plus vulnérables. En bref, si l’assistance en temps de catastrophe participe à la formation de l’État-providence, elle contribue aussi à façonner les structures sociales inégalitaires et les risques.

Par ailleurs, un élément qui, bien que mentionné par Romain Huret, ne semble pas suffisamment pris en compte, est la structure fédérale de l’État américain qui, du point de vue de la gestion des catastrophes, joue un rôle tout particulièrement important. En effet, la délégation de cette fonction au niveau local ne s’est pas opérée seulement en direction des individus mais aussi en direction des gouvernements locaux et des États. Cette délégation s’inscrit dans une longue tradition de limitation de l’intervention du gouvernement fédéral et de création de contre-pouvoirs – qui prend tout son sens dans le contexte de la Guerre froide, où la « préparation » civile aux catastrophes est conçue comme un moyen d’éviter la constitution d’un trop puissant complexe militaire à Washington. Cette perspective a de longue date réduit le rôle du gouvernement fédéral à un support en dernier recours, comme le rappellera le rapport de la Maison Blanche sur Katrina. Le retrait de l’État fédéral sous le coup de l’évolution conservatrice amenuise et transforme le rôle du « chef d’orchestre », ce qui pose effectivement de sérieux problèmes quant à la capacité d’un système fédéral complexe à répondre à une situation d’urgences, surtout lorsque les échelons locaux ne sont plus en capacité d’agir suite aux coupes budgétaires des années 1980. Cependant, il n’y a pas de rupture majeure quant à l’idée que le premier acteur qui doit intervenir est l’échelon local.

Enfin, si la libéralité dans les catastrophes est une thèse pertinente, elle reste une vision enchantée de l’État-providence dans la mesure où elle ne considère que la seule dimension d’assistance en semblant renvoyer tous les enjeux de sécurité intrinsèques aux catastrophes du côté de la militarisation. Or, la notion de la militarisation soulève de nombreuses questions : la militarisation de quoi précisément : de l’État, de la gestion des catastrophes, du DHS ? Quelle forme de sécurité est déployée dans ces dispositifs ? La soumission hiérarchique de la FEMA aux objectifs du DHS entraîne bien une domination des questions sécuritaires au détriment de la préparation aux catastrophes et un recours croissant aux acteurs et aux ressources militaires, ce qui peut s’apparenter à un processus de militarisation. Néanmoins, les questions d’organisation conservent leur importance propre en dépit des objectifs politiques : les problèmes de coordination, conflits de juridiction, confusion organisationnelle constituent de réelles difficultés pour les acteurs du domaine, qui renvoient à des problèmes chroniques dans le système américain, notamment en raison de la structure fédérale.

En outre, cette thèse suppose une opposition entre compassion et militarisation de la gestion des catastrophes. Mais n’y a-t-il que de la compassion dans la prise en charge des individus dans les catastrophes ? En effet, si la gestion des catastrophes mobilise les politiques sociales, l’assistance privée et publique pour venir en aide aux victimes, elle, vise également à assurer la sécurité menacée par la désorganisation de l’État. Ces deux motifs ne sont pas nécessairement opposés, mais plutôt corrélés. C’est très explicitement ce que cherchait à faire la défense civile : coordonner des formes d’assistance sociale au niveau local pour préparer aux urgences et mobiliser la population à des fins de sécurité ; principes qui se retrouvent dans la gestion des catastrophes naturelles à partir des années 1970.

Romain Huret conclut son ouvrage en empruntant à Richard Titmuss l’image du don de sang comme métaphore des politiques sociales, qui illustre parfaitement ces formes d’interventions ponctuelles et limitées de l’État-providence américain. Mais les travaux de Titmuss sur l’État-providence sont aussi éclairant pour comprendre l’ambigüité qui vient d’être soulignée : l’assistance sociale pendant la Seconde Guerre mondiale au Royaume-Uni (qui aura beaucoup contribué à la formation de l’État-providence anglais), avait selon lui pour but de rendre les inégalités sociales acceptables pour que la population consente à l’effort de guerre ; et de façon révélatrice ces politiques étaient couplées au développement des formes de gestion de l’urgence via la défense civile qui avait pour objectif de préparer la population aux attaques aériennes [9] , techniques qui vont se diffuser à partir de ce moment là. En résumé, l’ouvrage de Romain Huret excelle à caractériser les logiques de l’État-providence américain et à montrer comment l’État social fait partie des éléments qui « produisent » les catastrophes ; même si, ce faisant, il néglige l’ambigüité de l’État, et les questions de sécurité qui se jouent dans les catastrophes.

par Lydie Cabane, le 29 avril 2011

Aller plus loin

  • sites web du Social Sciences Research Council américain qui réunit des courtes analyses des chercheurs américains les plus en pointes sur les questions de risques et catastrophes afin d’éclairer Katrina.
  • Lien vers la recension de l’autre ouvrage de Romain Huret (La fin de la pauvreté ? Les experts sociaux en guerre contre la pauvreté aux États-Unis) sur La vie des idées.

Rapports officiels

  • The Federal Response to Hurricane Katrina : Lessons Learned. The White House (2006).
  • A Failure of Initiative : Final Report of the Select Bipartisan Committee to Investigate the Preparation for and Response to Hurricane Katrina. US House of Representatives (2006).{{}}

Pour citer cet article :

Lydie Cabane, « La catastrophe et l’État-providence », La Vie des idées , 29 avril 2011. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/La-catastrophe-et-l-Etat

Nota bene :

Si vous souhaitez critiquer ou développer cet article, vous êtes invité à proposer un texte au comité de rédaction (redaction chez laviedesidees.fr). Nous vous répondrons dans les meilleurs délais.

Notes

[1Comfort Louise, «  Cities at Risk : Hurricane Katrina and the Drowning of New Orleans  », Urban Affairs Review, vol. 41,n° 4, 2006, p. 501-516.

[2Freudenburg William, Gramling Robert, Laska Shirley et al., Catastrophe in the Making : The Engineering of Katrina and the Disasters of Tomorrow, Washington DC, Island Press, 2009, 209p.

[3Voir par exemple, Tierney Kathleen, «  Recent Developments in U.S. Homeland Security Policies and Their Implications for the Management of Extreme Events  », in Enrico Louis Quarantelli, Russell Dynes, Havidan Rodriguez (dir.) Handbook of Disaster Research, New York, Springer, 2006, p. 405-412.

[4Landis Dauber Michele, «  The Sympathetic State  », Law and History Review, vol. 23, n°2, 2005, p. 387-442.

[5Klinenberg Eric, Heat Wave : A Social Autopsy of Disaster in Chicago, Chicago, University of Chicago Press, 2003

[6Sur ce point, on pourra se référer aux précédents travaux de l’auteur :Romain Huret, La fin de la pauvreté  ? Les experts sociaux en guerre contre la pauvreté aux États-Unis (1945-1974). Paris, Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, 2008.

[7Collier Stephen et Lakoff Andrew, «  Distributed preparedness : the spatial logic of domestic security in the United States  », Environment and Planning D : Society and Space, vol. 26, 1, 2008, p. 7–28.

[8US National Secrity Resources Board, United States Civil Defense, Washington, 1950.

[9Titmuss Richard, Essays on the welfare state, London, Allen and Unwin, 1958, 262p, et Titmuss Richard, Problems of social policy, London, H. M. Stationery Off., 1950, 596p.

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