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Recension Histoire

Aux origines de la guerre d’Algérie

À propos de : C. Mauss-Copeaux, Algérie, 20 août 1955 : Insurrection, répression, massacres, Payot.


par Claire Marynower , le 31 août 2011


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Le 20 août 1955, dans un petit village du Nord-Constantinois, des dizaines d’Européens sont massacrés. Une des conséquences en sera l’extension de l’état d’urgence à l’ensemble du territoire ; mais la propagande de guerre, les rumeurs, le manque de sources ne contribuent pas à éclaircir l’événement. Une historienne a mené l’enquête.

Recensé : Claire Mauss-Copeaux, Algérie, 20 août 1955 : Insurrection, répression, massacres, Paris, Payot, 2011, 23 €.

Que s’est-il passé le 20 août 1955 dans le Nord-Constantinois ? Que savons-nous vraiment de cet événement que la plupart des synthèses [1] s’accorde à définir comme un tournant dans la guerre que les troupes françaises menèrent aux nationalistes algériens ? Qu’y a-t-il derrière les grandes dates et autres « tournants de la guerre » égrenés dans les manuels ? En cette date anniversaire de la déposition, au Maroc, du sultan Ben Youssef deux ans plus tôt, un soulèvement du FLN fit 123 victimes (militaires et civiles), en majorité « européennes » [2], et déclencha une répression sanglante qui s’abattit durant plusieurs semaines sur la population civile algérienne. De cet événement dont on sait qu’il a motivé l’extension de l’état d’urgence à l’ensemble du territoire, on ne connaît finalement que peu de choses. L’auteure cherche ici à retrouver l’événement, à le restituer mais aussi à le replacer dans son contexte colonial, et se livre à un véritable travail d’archéologie d’un moment guerrier.

Le travail de Claire Mauss-Copeaux, qui rattache l’événement à l’étude de la relation coloniale qu’elle qualifie d’« apartheid de fait, larvé, honteux » (p. 24), peut rappeler à cet égard les récents opus de Raphaëlle Branche [3] et de Jean-Pierre Peyroulou [4], qui tous deux remontent dans le temps long de la colonisation pour expliquer un événement violent du processus de décolonisation algérien. Ainsi s’attache-t-elle à décrire les gestes du quotidien colonial : la gifle, le tutoiement, sont autant d’éléments qui alimentent l’humiliation des colonisés. En temps de guerre, à partir de 1955, les violences extrêmes deviennent elles-mêmes « banales » (p. 62) : avant le 20 août 1955 dont on explique souvent qu’il a mené à la radicalisation de l’affrontement, « les autorités françaises […] ont recouvert d’un vernis de légalité l’enfer qu’elles imposaient à la population algérienne » (p. 69).

Le problème que soulève l’auteure, au moment de dresser un bilan de cette opération du FLN et de sa répression, est celui des sources. À plusieurs reprises, dans l’ouvrage, elle évoque les « lobbies mémoriels », « mémorialistes » et autres « activistes de la mémoire » [5], toute cette littérature de « sites internet pieds-noirs » qui, le plus souvent, donne du 20 août 1955 des versions pour le moins partiales. Retrouver l’événement, c’est aussi inventer de nouvelles sources, en particulier le témoignage recueilli sur place, en Algérie. C’est cette enquête de terrain, et les entretiens en particulier qu’elle a permis, qui confère à son travail sa nouveauté et son côté saisissant.

Chemin faisant, Claire Mauss-Copeaux fait un sort aux diverses fictions qui ont circulé sur l’insurrection nationaliste, faisant état de supplices terribles auxquels les nationalistes auraient soumis les populations. Au-delà des qualifications et des mots qui se sont imposés – dans l’armée française puis dans les médias – pour décrire l’événement, en particulier celui de « massacre généralisé » perpétré par les Algériens dans la région du Nord-Constantinois, l’auteure revient sur l’événement en détail. Remontant le fil des archives, des témoignages, des registres d’état civil, elle établit une conclusion fondamentale : le « massacre » du Nord-Constantinois, terme dont la formulation implique la massivité et la sauvagerie, n’a pas eu lieu.

Deux villages ont bien abrité des meurtres d’Européens : El Alia et Aïn Abid, où 42 civils « européens » sont morts. C’est dans l’étude précise des événements tels qu’ils se sont déroulés dans ces deux localités, à partir desquelles un récit de massacre a été extrapolé illégitimement à l’ensemble de la région, que l’auteure apporte des développements essentiels, au-delà des éléments désormais connus sur la guerre d’Algérie. Revenant sur les conditions du témoignage, elle met le doigt sur l’une des raisons de la diffusion d’exagérations et autres généralisations abusives : le mélange, chez ceux qui ont raconté, entre « fantasmes » (p. 129) et souvenirs réels. Les témoignages évoquent en particulier l’émasculation des victimes et le « stéréotype de la femme éventrée » (p. 130), alors que l’auteure prouve que de tels actes n’ont pas été perpétrés. Il aurait été intéressant de se pencher plus avant, d’ailleurs, sur les raisons profondes et les ressorts psychologiques de ces « fantasmes » centrés sur la question de la maternité et de la virilité.

Reste que dans le village d’El Alia, 34 victimes civiles ont bien été abattues, tandis que 7 ont été tuées ce même 20 août 1955 à Aïn Abid [6]. Pour démêler le vrai du faux, Claire Mauss-Copeaux entreprit le « voyage en Algérie » (p. 134) et retrouva la trace de témoins français et algériens, civils et combattants. La démarche micro-historique propre aux pages que l’auteure consacre aux deux enceintes uniques du massacre, apporte les éclairages les plus intéressants du livre. Chemin faisant, elle permit à l’auteure d’apprendre qu’une partie de la population d’El Alia était originaire de Sétif, ville qu’ils avait dû quitter après la répression de mai 1945, et que « le combat a[vait] été l’occasion de régler ses comptes » pour une partie des habitants. De vieilles rancœurs forgées par le quotidien colonial et ses violences ordinaires, par le souvenir de la répression de l’insurrection de 1945, se mêlent pour tenter de donner une explication au massacre de civils français qu’a abrité ce village. Le meurtre d’un des combattants par un habitant « européen » semble avoir déclenché l’émeute : à la recherche de celui-ci, des hommes entrent dans les maisons avec armes de fortune et armes à feux, et ne le trouvant pas, tuent femmes et enfants. « Probablement pas programmé » (p. 160) par les combattants du FLN, le massacre a participé du débordement d’une violence incontrôlée, accomplie par des militants nationalistes mais aussi par de simples villageois. Quant à Aïn Abid, où 7 civils furent tués, l’assassinat d’une famille entière semble avoir été prémédité, et pensé comme une vengeance contre le chef de cette dernière qui avait, quelques mois plus tôt, dénoncé un nationaliste algérien.

« Violent message que des insurgés ont lancé aux autorités françaises » (p. 170), ces deux massacres trouvent des éléments d’explication dans l’ordre colonial tel qu’il s’était jusque là imposé. De cet événement tragique mais somme tout circonscrit, la propagande du gouvernement général et les rumeurs ont fait un massacre généralisé dans l’ensemble du Nord-Constantinois. L’auteure revient ensuite sur les représailles, dont on sait combien elles furent disproportionnées – environ 7500 victimes civiles selon des évaluations françaises officieuses –, étendues à l’ensemble de la région, et qu’elles marquèrent une étape dans l’entrée dans la « sale guerre ». Des Européens obtinrent légalement de s’armer et formèrent, comme à Guelma dix ans plus tôt [7], des milices qui pratiquèrent impunément de véritables chasses à l’homme.

Il faut saluer le travail de Claire Mauss-Copeaux qui a reconstitué avec détail l’événement, de la prise de décision à la répression, confronté les témoignages, retrouvé le fil de la vraisemblance sous le voile persistant des rumeurs. Sa démonstration, bien qu’exposée de façon parfois peu claire, dans des chapitres dont le grand nombre – une trentaine – nuit à la fluidité de la lecture, est tout à fait convaincante. La réfutation du qualificatif de « massacre » pour rendre compte de l’ensemble des événements survenus le 20 août 1955 rend à l’insurrection nationaliste sa dimension politique et stratégique, contenue également dans la violence armée. C’est là que le livre trouve sa raison d’être et son originalité, quand d’autres développements semblent plus convenus, voire peu justifiés – comme ces diatribes récurrentes contre les « lobbies pieds-noirs » dont on voit mal ce qu’elles apportent.

par Claire Marynower, le 31 août 2011

Pour citer cet article :

Claire Marynower, « Aux origines de la guerre d’Algérie », La Vie des idées , 31 août 2011. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Aux-origines-de-la-guerre-d

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Notes

[1De Bernard Droz et Évelyne Lever,Histoire de la guerre d’Algérie, Paris, Seuil, 1982, à Sylvie Thénault, Histoire de la guerre d’indépendance algérienne, Paris, Flammarion, 2005.

[2La population «  européenne  » désigne les Français d’Algérie, séparés dans le droit de ceux qu’on désigne alors par l’expression «  Français musulmans d’Algérie  ».

[3Raphaëlle Branche, L’embuscade de Palestro, Paris, Armand Colin, 2010.

[4Jean-Pierre Peyroulou, Guelma, 1945 : Une subversion française dans l’Algérie coloniale, Paris, La Découverte, 2009.

[5Expressions que l’on peut regrouper sous l’appellation générique, forgée par la sociologue Marie-Claire Lavabre, d’«  entrepreneurs de mémoire  ».

[6Soit un total de 41 victimes civiles françaises dans ces deux villages. Le total de 123 victimes contient aussi les morts militaires (31) et celles d’Algériens combattants et civils (21), le nombre de victimes civiles «  européennes  » s’élevant à 71 au total. Les conditions des 30 décès survenus en dehors des deux villages d’Aïn Abid et El Alia sont pour la plupart encore inconnues (p. 118).

[7Jean-Pierre Peyroulou, op. cit.

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