vendredi 8 février 2008
par Thierry Pech
Bernard Poulet et Vincent Giret annoncent la fin des journaux et de la presse d’information, du moins sur support papier ; leur pessimisme s’étend au relais que pourrait constituer Internet, ce qui laisse ouvertes certaines interrogations.
Recensé : Bernard Poulet, Vincent Giret, « La fin des journaux », Le Débat, n° 148, janvier-février 2008.
Une mort annoncée
« La fin des journaux », sans point d’interrogation : la thèse défendue ici est clairement pessimiste quant à l’avenir de la presse d’information en général et de la presse papier en particulier. En s’appuyant sur une très riche documentation (principalement américaine cependant), les auteurs commencent par montrer pourquoi le modèle économique qui associait information et publicité est « cassé », comme en témoigne, par exemple, la chute des ressources publicitaires des grands quotidiens. En effet, ce que traduit l’érosion croissante de ces recettes, ce n’est pas un simple transfert de parts de marché vers les nouveaux médias (Internet en particulier), mais bel et bien une baisse continue de la consommation d’informations, laquelle vaudrait également pour les « JT ». Autrement dit, « la fin des journaux » croise la thèse de la « fin de la télévision » chère à Jean-Louis Missika, et fait signe en direction d’un crépuscule plus général et plus préoccupant pour la vie de nos démocraties : celui de l’âge des news. Ce déclin de l’information est-il freiné par le développement (très inégal selon les pays) des journaux papier gratuits ? Les auteurs n’y croient guère : généralement associés à un style d’information assez sommaire et ludique, ceux-ci contribuent au contraire à durcir un peu plus la concurrence faite aux producteurs d’information de qualité.
La réaction stratégique à cette grande dépression consiste dans la convergence, c’est-à-dire dans la constitution de grands groupes multimédias (sites web, TV, radios…). On voit là le seul moyen de financer la fabrication de l’information par des rédactions professionnelles onéreuses. Cette production se trouve alors adossée à tout un bouquet d’activités où l’offre de divertissement tend à dominer. Mais l’information elle-même y occupe une place de plus en plus secondaire. En outre, ces grands groupes sont soumis à des exigences de rentabilité et de création de valeur que les entreprises d’information ne sont pas capables de satisfaire.
Les auteurs se risquent ensuite à un exercice de prospective prudent dont les arêtes sont entièrement contenues dans les analyses qui précèdent. Ils suggèrent ainsi la probable expansion de la gratuité dans les années qui viennent (au moins aussi longtemps qu’il coûtera moins cher de générer des recettes publicitaires que de conquérir des lecteurs payants), la disparition plus ou moins rapide du papier au profit du tout virtuel ou du papier électronique, la résistance des magazines papier spécialisés…
Internet en question
La lecture de ce papier soulève toutefois quelques interrogations : où sont les producteurs d’information aujourd’hui ? Ne faut-il pas aller les chercher aussi en dehors des organes professionnels du journalisme ? Les auteurs ont raison de souligner le manque de fiabilité de très nombreux sites qui prétendent informer, critiquer et construire le débat public sur la toile. Néanmoins, cette critique reste moins documentée que le reste de leurs analyses. Et l’on peut faire l’hypothèse que se développent aujourd’hui sur l’Internet de nouveaux outils d’information de qualité, plus décentralisés mais pas nécessairement moins exigeants. Le problème capital n’est pas de savoir si de tels acteurs existent ou non, mais plutôt de se demander comment une « opinion publique » peut se former dans un contexte de dispersion et de fragmentation de l’offre d’information ? Quels sont les outils qui, demain, nous permettront de discuter tous ensemble de la même chose en même temps ? Les auteurs posent la question dans des termes voisins à la fin de leur papier. Gageons que c’est à ces questions qu’ils consacreront leurs prochains efforts.